Le premier documentaire criminel (communément appelé true crime) canadien d’Amazon est l’œuvre d’une réalisatrice montréalaise. Avec Le meurtre non résolu de Beverly Lynn Smith, Nathalie Bibeau caressait de grandes ambitions : hausser la barre d’un genre en pleine explosion.

Après avoir regardé la minisérie, qui atterrira sur Prime Video vendredi dans 240 pays et territoires du monde entier, il n’y a aucun doute dans notre esprit : Nathalie Bibeau a relevé son pari. Le documentaire criminel accroche notre attention après 10 petites secondes. Et durant quatre épisodes, il l’absorbe complètement. Le tout malgré une prémisse de départ somme toute banale, comparativement à d’autres mégasuccès du genre, comme Making a Murderer, The Keepers et autres Tiger King.

Comme son titre l’indique, Le meurtre non résolu de Beverly Lynn Smith (en version originale anglaise, The Unsolved Murder of Beverly Lynn Smith) explore l’homicide d’une jeune femme de 22 ans, tirée à bout portant chez elle à Raglan, en Ontario, en décembre 1974.

À cette époque, le crime avait profondément bouleversé cette communauté située au nord d’Oshawa. Mais jamais autant que Barbra Brown, la sœur jumelle de Beverly. Au premier épisode, elle affirme qu’encore aujourd’hui, elle éprouve de l’angoisse. On apprend également qu’elle n’a jamais listé son numéro de téléphone et qu’elle est incapable de faire confiance à qui que ce soit.

Car l’affaire est restée non élucidée pendant des décennies. Elle a fait l’objet d’une longue quête de justice, que Nathalie Bibeau relate de manière non chronologique, histoire de créer un suspense qui est sûr de scotcher le plus blasé des téléspectateurs devant son écran.

« L’affaire a bel et bien commencé le 9 décembre 1974, souligne Nathalie Bibeau. C’est au cœur de tout. Mais au cours des 48 dernières années, il s’est passé tellement de choses… On devait décider quand révéler certains détails pour montrer au public combien cette histoire est riche et multicouche, et comment elle s’est ensuite transformée en véritable monstre. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La réalisatrice Nathalie Bibeau

D’une durée de 45 minutes, chaque épisode comprend un nombre impressionnant de rebondissements. Le genre qui provoque des réactions vocales spontanées, comme une finale de saison de District 31.

Quant aux incontournables reconstitutions, elles sont loin d’être celles – parfois ordinaires – qui composent habituellement ce type de productions. Celles de Nathalie Bibeau sont impressionnistes et diablement efficaces.

On voulait un traitement cinématographique. On voulait regarder cette affaire de manière poétique et métaphorique. On n’avait pas envie d’être littéraux dans notre façon de raconter.

Nathalie Bibeau, réalisatrice

La musique pulsative, qui accompagne les séquences clés, contribue à donner au documentaire des allures de thriller policier plus grand que nature.

« Les true crime sont parfois sensationnalistes, explique Nathalie Bibeau. On voulait changer le narratif. On n’avait pas envie de glorifier le crime, mais plutôt d’attirer le regard sur l’aspect humain du dossier. »

Rendez-vous manqué

Fruit de l’association entre Amazon Studios et Muse Entertainement, une boîte de production établie à Montréal, Le meurtre non résolu de Beverly Lynn Smith sera présenté en première mondiale samedi au Festival international du documentaire Hot Docs de Toronto, qui bat son plein jusqu’au 8 mai.

Pour Nathalie Bibeau, il s’agit d’une chance d’exorciser un rendez-vous manqué. Au printemps 2020, son premier long métrage, The Walrus and the Whistleblower, qui examine la captivité des mammifères marins, devait être lancé en grande pompe au prestigieux rendez-vous torontois, mais après l’arrivée d’une certaine pandémie de COVID-19, elle avait dû se contenter d’une première virtuelle.

« J’avais le cœur brisé », se rappelle la réalisatrice.

Au bout du compte, cette sortie approximative n’a pas miné la carrière du film qui, après s’être emparé du prix du public aux Hot Docs, a voyagé dans une vingtaine de festivals dans le monde. Et Nathalie Bibeau a assisté à chacun d’eux… en restant chez elle, dans l’arrondissement d’Outremont, devant son écran d’ordinateur.

PHOTO DARREN GOLDSTEIN

Nathalie Bibeau, lors du tournage du Meurtre non résolu de Beverly Lynn Smith

Voilà pourquoi aujourd’hui, elle trépigne autant d’impatience, 24 heures avant de s’envoler pour Toronto.

« C’est tellement excitant ! Le meurtre non résolu de Beverly Lynn Smith est le résultat du travail acharné d’une petite armée. Ils étaient environ 250. Ils ont travaillé sans relâche pendant 13 mois, jour et nuit, les week-ends… Ça n’a pas été de tout repos ! »

Québécoise dans ses tripes

Franco-Ontarienne ayant grandi à Welland, près de Niagara Falls, Nathalie Bibeau est arrivée à Montréal à l’âge de 17 ans. Après avoir étudié l’histoire russe à l’Université McGill et fait une maîtrise à l’Université de Toronto, elle a mis le cap sur l’Europe. Elle a travaillé au département des Affaires étrangères en Lituanie pendant quelque temps, puis elle a tout quitté pour devenir barmaid en Irlande. Un virage à 180 degrés qu’elle qualifie de « meilleure décision en carrière ».

Ça m’a permis de côtoyer des artistes, des musiciens, etc. J’ai réalisé que c’était ma gang, ma tribu. J’avais besoin d’être créative… Mais mes parents [deux professeurs de français] étaient horrifiés !

Nathalie Bibeau, réalisatrice

De retour au pays au début des années 2000, la jeune femme a décroché un poste de productrice de documentaires à CBC Toronto. Dix ans plus tard (et alors rendue maman), Nathalie a quitté la Ville Reine pour devenir pigiste et – surtout – faire un retour aux sources en retrouvant « son » Québec.

« Déménager à Montréal, c’était une décision personnelle, indique-t-elle. Je voulais élever mes enfants en français, pour qu’ils connaissent la culture québécoise, que j’estime être ma culture même si j’ai été élevée en Ontario. Parce que dans mes tripes, je suis québécoise. »

Alors qu’elle s’apprête à tourner la page sur Beverly Lynn Smith, Nathalie Bibeau envisage la suite avec confiance. Elle pourrait délaisser le documentaire pour réaliser un long métrage de fiction.

« Ce qui m’intéresse, c’est de raconter des histoires riches, profondes et importantes. Même si c’est difficile, parfois. Même quand ça accapare mon temps, ma vie familiale, mes enfants… Je veux continuer d’attaquer ce type de projets. »

Le meurtre non résolu de Beverly Lynn Smith atterrira sur Prime Video vendredi.