Toutes les deux semaines, La Presse convie des artisans de l’industrie audiovisuelle à nous parler de leur métier derrière la caméra. Aujourd’hui, nous discutons avec la journaliste et animatrice Noémi Mercier.

Depuis un an déjà, Noémi Mercier est cheffe d’antenne nationale du bulletin de nouvelles Le Fil, du lundi au vendredi, sur Noovo. Cette journaliste au brillant parcours, bardée de récompenses, a touché tant à l’écrit (Québec Science, L’actualité) qu’à la radio (ICI Première) et à la télévision (Dans les médias). Discussion subjective sur les coulisses du métier.

R. Le 29 mars 2021, vous vous êtes lancée dans le vide à la barre du bulletin de nouvelles de 17 h à Noovo. Vous faisiez vos débuts à titre de cheffe d’antenne au quotidien, tout en collaborant à la création d’une salle de nouvelles toute neuve. Un an plus tard, le rythme est-il aussi effréné ?

Q. J’ai une collègue qui aime dire qu’on court un marathon chaque jour... mais à la vitesse d’un sprint ! Dans l’un de mes films préférés, Broadcast News, il y a cette scène où Joan Cusack court comme une folle à travers les bureaux avec la cassette d’un reportage, qu’elle livre à la régie du studio à la toute dernière seconde. L’adrénaline ressemble à cette scène célèbre... sans cassettes VHS [rires]. On est aussi une très jeune et petite équipe. Bien que le groupe CTV nous donne un bon coup de main, on n’a pas les ressources ni les moyens de nos concurrents.

R. Et l’apprentissage a été difficile ?

Q. L’apprentissage est constant. Sans exagérer mon importance – car c’est un travail d’équipe –, le succès du Fil dépend du lien affectif que le public développe (ou pas) avec un chef d’antenne. Je me souviens du courriel d’un téléspectateur fâché à la fin de ma première semaine en ondes. J’avais oublié de dire bonsoir en ouverture d’émission. Il me trouvait froide, hautaine, avec mes invités en studio. Son message m’a fait réfléchir... Il ne me connaît pas. Je rentre dans son salon chaque jour à 17 h. Je lui demande de m’écouter, de me faire confiance, durant une heure... sans le saluer ! Depuis, le mot « BONSOIR » est écrit en majuscules sur mes fiches.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Selon Noémi Mercier, un journaliste doit toujours aller à la rencontre de l’autre. « Tu ne fais pas du journalisme pour confirmer ce que tu penses déjà. »

R. À 45 ans, vous êtes (presque) la doyenne de votre équipe. Y a-t-il un manque de gens d’expérience dans la salle de nouvelles ?

Q. À mes yeux, l’âge et l’expérience ne vont pas nécessairement ensemble. La plupart de mes collègues sont dans la jeune trentaine, et ils sont extrêmement compétents ! Ils savent qu’on va utiliser tout leur potentiel. Oui, on est une salle jeune et on a tous des choses à apprendre. Mais l’âge n’est pas un gage de talent ni de métier.

R. Noovo s’est-il donné un mandat différent des autres salles de nouvelles au pays ? C’est l’impression qu’on a en vous regardant, autant dans le ton en ondes que par le choix des sujets.

Q. Si on essaie d’imiter les grosses salles de nouvelles, on va avoir l’air « cheap ». Alors il faut faire les choses autrement. On s’est donné pour objectif de « personnaliser » la présentation des nouvelles. On ne veut pas cacher la personnalité du journaliste pour raconter mécaniquement les histoires. Ça ne veut pas dire d’étaler nos états d’âme en ondes. Juste sentir que c’est un être humain, et non un robot, qui transmet la nouvelle.

R. Certains diront que c’est s’éloigner de l’objectivité journalistique, du devoir de réserve…

Q. Au lieu d’« objectivité », je préfère le mot « neutralité », ou « exactitude », ou parler d’équilibre des points de vue. Je viens du journalisme magazine. Un milieu moins dominé par cette orthodoxie. En magazine, on veut sentir le regard du journaliste à travers la couverture d’un sujet.

R. Le public est de plus en plus méfiant envers les médias au Québec et ailleurs. Ne risque-t-il pas d’avoir encore moins confiance au reporter s’il est subjectif ?

Q. Au contraire, il va se rapprocher du public en exposant son point de vue. Est-ce que le public est moins bien informé parce qu’un journaliste affiche sa subjectivité ? Je ne pense pas, car la subjectivité peut compléter, voire enrichir l’information. Encore là, ça ne signifie pas parler de soi. Le journaliste doit toujours aller à la rencontre de l’autre. Tu ne fais pas du journalisme pour confirmer ce que tu penses déjà.

R. Au début de ma carrière, en 1990, je m’intéressais beaucoup aux sujets de la communauté gaie. Or, des collègues m’ont dit de faire attention aux étiquettes, de couvrir d’autres sujets. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’un jeune journaliste ne s’empêchera pas de couvrir des sujets qui le concernent directement.

Q. Heureusement que les choses ont changé ! Ça n’a pas d’allure de dire ça ! Est-ce qu’un hétérosexuel s’empêche de toucher aux sujets qui touchent les familles de la classe moyenne qui ont une maison en banlieue ? On aborde tous un sujet à partir d’une perspective façonnée par notre expérience de vie. Pour un homme blanc de la majorité, ça peut sembler « woke » de parler de racisme. Mais si tu as une couleur de peau différente, un accent étranger, c’est juste normal. Voilà pourquoi il faut une diversité de perspectives dans les médias.

R. Il y a quelques jours, vous avez remporté un prix Dynastie de l’excellence noire dans les médias, dans la catégorie animatrice télé de l’année. On a fait un bout de chemin depuis quatre, cinq ans. Il reste beaucoup à faire ?

Q. C’est important, les reconnaissances, la diversité et la visibilité des minorités à l’écran. C’est beau d’informer et conscientiser les gens au phénomène du racisme. Or, la prochaine étape, la clé du changement, c’est d’inviter des gens de la diversité pour parler d’autre chose que de la couleur de leur peau. Il faut faire entrer dans l’imaginaire collectif qu’un Québécois peut avoir l’air de beaucoup d’affaires, avec des couleurs et des accents différents. Je suis née ici, d’origine haïtienne à moitié. Ma mère est arrivée au Québec en 1965. Or, il y a encore des gens qui me demandent d’où je viens !