La télévision en anglais séduit un nombre croissant de jeunes. Un adolescent francophone sur quatre la regarde chaque jour, révèle un nouveau rapport de l’Observateur des technologies médias qui inquiète particulièrement le milieu télévisuel québécois.

Selon cette récente analyse du marché des jeunes téléspectateurs francophones canadiens de 2 à 17 ans menée en 2021, les deux tiers regardent des contenus en anglais au moins une fois par mois. Chez les 12-17 ans, plus de 25 % affirment en consommer au quotidien.

Il s’agit d’une hausse par rapport à 2020, nous confirme l’Observateur des technologies médias (OTM). Plus encore, d’après des données non publiées recueillies au cours du dernier mois par l’organisme de recherche rattaché à CBC/Radio-Canada, cette augmentation ne touche pas seulement les 12-17 ans, mais l’ensemble des enfants.

En entrevue avec La Presse, la directrice principale, contenu et programmation, ICI Tou.TV, webtélé et jeunesse de Radio-Canada, Christiane Asselin, exprime son inquiétude. L’ascension du bilinguisme complique la tâche des diffuseurs québécois qui offrent des contenus destinés au jeune public, puisqu’ils doivent maintenant se battre contre des géants internationaux comme Netflix et Disney+.

La compétition est montée d’un cran. Avant, la langue, c’était un peu comme notre mur de protection. Les jeunes n’allaient pas voir du côté anglophone. Mais aujourd’hui, cette barrière n’existe plus. Il faut donc redoubler d’ardeur.

Christiane Asselin, de Radio-Canada

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

La série de Radio-Canada L’effet secondaire est destinée aux adolescents, un public qui regarde de plus en plus la télé en anglais.

Un socle important

Cette percée des contenus en anglais touche évidemment le classement des chaînes préférées des jeunes téléspectateurs francophones, que Télé-Québec continue toutefois de dominer. Au total, 36 % des 2-17 ans regardent ses contenus.

Les deux autres marches du podium sont occupées par Treehouse (28 %) et Disney Channel (23 %), deux chaînes unilingues anglaises. Dans l’ordre, arrivent ensuite Radio-Canada, Télétoon, Noovo, Yoopa, Disney Jr, VRAK, Télémagino, TVA, Nickelodeon, TV5/Unis TV et YTV.

PHOTO KARINE DUFOUR, FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Gabrielle Fontaine, Élodie Grenier et Jean-François Pronovost dans Passe-Partout à Télé-Québec

Ce palmarès a beaucoup frappé Marie Collin, présidente-directrice générale de Télé-Québec, une chaîne qui propose un vaste éventail d’émissions jeunesse, dont Passe-Partout, Le pacte, Génial ! et Cochon dingue.

Jointe au téléphone, Mme Collin parle d’une « source de préoccupation depuis plusieurs années ».

« L’impact des émissions pour enfants, on n’en parle pas assez. Ce qu’un jeune regarde en grandissant, c’est un socle hyper important. S’ils regardent de moins en moins de contenus québécois en français, à quoi leur attachement à notre culture va-t-il ressembler, plus tard ? S’ils n’écoutent pas notre télévision aujourd’hui, ils ne l’écouteront pas plus à l’âge adulte. »

Marie Collin a raison. Plusieurs études confirment ses propos, notamment une étude de l’Université d’Ottawa (2018) portant sur la construction de l’identité nationale des jeunes à travers la télévision.

« Il faut créer un lien avec les jeunes le plus tôt possible, souligne Christiane Asselin, de Radio-Canada. Et ce lien, on doit l’entretenir. On ne peut pas leur donner des émissions jusqu’à ce qu’ils aient 12 ans et ensuite dire : “On prend une pause. Ils reviendront nous voir quand ils auront 18 ans.” On ne peut pas sauter une génération. Parce qu’on ne pourra probablement jamais la rattraper. »

Des séries de fiction comme L’effet secondaire visent à assurer la transition entre l’enfance et l’âge adulte.

Un enjeu de découvrabilité

Le plus grand défi qui attend la télé jeunesse québécoise au cours des prochaines années est d’améliorer sa découvrabilité, c’est-à-dire sa capacité d’être repérée parmi un vaste ensemble de contenus, alors qu’on n’en faisait pas nécessairement la recherche.

C’est ce qu’estime Daniel Coutu, comédien et président des Productions Prestigo, la boîte d’émissions comme Famille magique, qu’on peut suivre sur ICI Télé. « Maintenant, tu dois rejoindre les jeunes à plusieurs endroits, particulièrement les adolescents. L’écoute des 2 à 6 ans est supervisée. Quand ils grandissent et qu’ils sont à même de faire leurs propres choix, c’est là qu’ils vont sur YouTube. Et c’est facile d’y aller, parce que c’est partout ! Sur ta tablette, sur ta console de jeu, sur ta télé intelligente... Les points d’accès sont multiples. »

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Le magicien Daniel Coutu dans Famille magique

« Quand les jeunes tombent sur notre contenu, ils y restent, poursuit Daniel Coutu. Parce que c’est une offre de qualité. Et parce qu’ils veulent se voir à l’écran, et donc entendre leur langue, leur accent, retrouver des lieux qu’ils connaissent, une réalité familière... Ils sont super intéressés, mais encore faut-il qu’ils nous découvrent une première fois. »

Pour promouvoir ses émissions auprès d’un maximum de jeunes, la direction de Radio-Canada adopte ce qu’elle qualifie d’« approche 360 degrés », qui semble donner des résultats. « On est hyper présents sur Radio-Canada Jeunesse [sur l’internet]. Sur ICI Tout.TV, on fait de belles avancées : notre écoute jeunesse a augmenté de 35 % durant la pandémie. »

Radio-Canada investit également YouTube, une plateforme grandement populaire auprès des jeunes, selon l’étude de l’OTM.

Avant, on avait une approche un peu timide par rapport à YouTube. Mais on s’est aperçus qu’en y mettant nos émissions, un plus grand nombre de jeunes pouvaient les découvrir.

Christiane Asselin, de Radio-Canada

Des tournées dans les écoles sont également organisées.

« On ne peut pas juste faire une émission, la mettre en ondes et espérer qu’elle soit aimée des jeunes, dit Christiane Asselin. On ne peut pas non plus aller dans les maisons et obliger les gens à regarder la télé en français. La seule chose qu’on peut faire, c’est être le plus présent possible avec des propriétés intéressantes. »

Selon Marie Collin, de Télé-Québe, la solution réside dans l’augmentation du contenu jeunesse fait au Québec.

« C’est difficile de concurrencer les géants quand on compte le nombre de séries qu’ils sortent par année. Il faut vraiment augmenter notre volume de production. Il faut aussi faire plusieurs types de formats : des longs, des moyens, mais aussi des courts, qu’ils peuvent partager sur leurs téléphones cellulaires. Nos gouvernements doivent s’engager. Parce que sinon, c’est David contre Goliath. »

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Pascal Morissette, Pascal Barriault, Marilou Morin et Valérie Chevalier dans Cochon dingue à Télé-Québec

Village d’Astérix

Bien qu’elle présente quelques données préoccupantes pour l’industrie télévisuelle québécoise, l’étude de l’OTM Junior comprend également des statistiques encourageantes à propos des habitudes d’écoute des jeunes francophones.

Elle révèle notamment qu’ils continuent de regarder la télévision traditionnelle même s’ils disposent d’une grande variété de sources de contenus vidéo. Les trois quarts des jeunes francophones âgés de 2 à 11 ans regardent la télévision linéaire toutes les semaines, une bonne nouvelle pour Télé-Québec, Radio-Canada, Yoopa et toutes les autres chaînes d’ici qui luttent contre YouTube, Netflix et compagnie.

« Pour l’instant, le village d’Astérix tient encore », résume Christiane Asselin.

En savoir plus
  • Les dessins animés ont toujours la cote
    Le genre le plus aimé des enfants de 2 à 17 ans qui regardent la télévision est l’animation. Dans une proportion de 61 %, selon le rapport de l’OTM. La comédie arrive au 2e rang avec 35 %, suivie de l’action/aventure avec 26 %. Viennent ensuite, dans l’ordre, le fantastique, le pédagogique, la science-fiction, les dramatiques, les jeux, les documentaires, les affaires criminelles, les téléréalités et, finalement, les sports.
    Source : OTM Junior 2021