En six épisodes produits par Ryan Murphy pour Netflix, le réalisateur Andrew Rossi (À la une du New York Times) brosse un portrait intime d’Andy Warhol, à partir de l’ouvrage publié par Pat Hackett en 1989, deux ans après la mort de l’artiste. Avec ses mots et sa voix, reproduite grâce aux techniques de l’intelligence artificielle, cette série lève le voile sur un artiste légendaire. Et un homme mystérieux. Aux témoignages de personnalités ayant connu Warhol comme John Waters ou Rob Lowe, s’ajoutent ceux des biographes, conservateurs et spécialistes de son œuvre. Décryptage warholien en cinq mots clés.

La célébrité

Andy Warhol a été le précurseur de la téléréalité. Parce qu’il a prédit que tout le monde aurait ses 15 minutes de gloire bien avant la naissance des réseaux sociaux. Mais aussi parce qu’il reste, à ce jour, le grand maître de la mise en scène de soi. Si Warhol avait vécu à l’ère d’Instagram, il aurait pu en montrer à tous les Kardashian de ce monde !

Pour lui, la célébrité a été un moyen, et pas une fin. Au début des années 1980, durant l’âge d’or de l’art contemporain à New York, Andy Warhol a eu cette formule pour illustrer le destin des Keith Haring et Jean-Michel Basquiat : « So famous, so fast » ! Warhol était conscient du côté éphémère de la célébrité. S’il s’en nourrissait, ce n’était pas par pur exhibitionnisme, mais par instinct de survie. Son narcissisme était une armure pour masquer ses blessures, ses complexes, sa vulnérabilité.

La jeunesse

PHOTO FOURNIE PAR LA ANDY WARHOL FOUNDATION/NETFLIX

Andy Warhol a toujours eu l’air d’avoir le même âge.

En 1950, lorsque Warhol arrive, de Pittsburgh, dans la Grosse Pomme, il a déjà l’air vieux. En fait, Warhol a toujours eu l’air d’avoir le même âge ; sa perruque aidera à immortaliser son image. Bien qu’il semble vieux avant l’âge, Warhol est attiré par les jeunes et entouré par eux. À ses yeux, « l’énergie érotique et créatrice de la jeunesse » est le carburant de l’artiste. Après avoir frôlé la mort le 3 juin 1968 (il s’est fait tirer dessus à bout portant par l’actrice Valerie Solanas dans son atelier de Union Square), Warhol va trouver refuge dans Uptown, parmi la riche élite new-yorkaise qui lui commande des portraits. Toutefois, à la fin des années 1970, il retourne dans les boîtes de nuit du « downtown » Manhattan. Il fréquente les « Club Kids », les graffitistes et l’avant-garde du moment.

L’atmosphère lui rappelle les belles années de la Factory. Il doute. Il cherche à se renouveler. « Qu’est-ce que l’art ? Est-ce que l’art vient de nos tripes, ou est-ce un produit comme un autre ? », se questionne-t-il avec Basquiat, son nouvel ami dont il loue et jalouse le talent. En duo avec le jeune peintre, Warhol organise une exposition dans une galerie de SoHo. Au lendemain du vernissage, la critique du Times va brouiller cette amitié. Le journal écrit que Basquiat est « sa mascotte »… Dans cette période, au début du sida, la gloire a aussi un goût de fin du monde.

L’apparence

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Andy Warhol aimait l’art de la transformation et la culture des drags.

Pour le pape du pop art, à l’instar du théâtre de Marivaux, l’artifice est plus vrai que vrai. Le reflet et la surface, plus révélateurs que la profondeur des choses. À travers la mode et le glamour, Warhol étudie les apparences… en se servant de l’apparence. Il aime l’art de la transformation et se qualifie de « freak ». Il s’inspire des drags et des personnes trans. Il bouscule l’identité de genres avant la naissance de la communauté LGBTQ+. Pour Warhol, dans l’art comme en société, il faut se créer sa propre identité, son image. Pour ne pas être effacé par la norme et la majorité.

La solitude

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Andy Warhol avec Jon Gould : une relation amoureuse compliquée qui s’est terminée de manière tragique.

« La plus grande chose qu’on puisse apprendre, c’est d’aimer et d’être aimé en retour », chante Nat King Cole dans la douce chanson du générique. Or, toute sa vie, Andy Warhol a été très seul. Malgré son ardent désir d’être en couple (il est entre autres question de sa relation avec le designer Jed Johnson, puis avec l’un des directeurs de Paramount Jon Gould), Warhol cultivait les amours compliqués. Avec des hétéros et des bisexuels, ou des homosexuels dans le placard. L’artiste le plus adulé, entouré et médiatisé de son époque, tant par la haute société que par la bohème artistique, était (et reste) un homme secret, mystérieux. Curieux paradoxe.

Le pouvoir

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La série The Andy Warhol Diaries interroge les privilèges dont jouissait l’artiste.

En 1986, en pleine hécatombe du sida à New York, des militants ont reproché le silence de Warhol sur la maladie qui tuait ses proches. Pourquoi n’utilisait-il pas son influence pour lutter contre la stigmatisation des homosexuels ? C’est bien mal comprendre d’où vient cet artiste. Il est né en 1928 dans une famille pauvre, immigrante (tchèque) et très catholique. Pour lui, le virus était une malédiction. Il ne pensait qu’à se protéger à tout prix. Il meurt un an plus tard, à 58 ans, mais pas du sida.

La série est aussi critique envers Warhol. Le documentariste interroge ses privilèges, son opportunisme par rapport au milieu. Ses relations ambiguës avec de jeunes marginaux qu’il pouvait exploiter à sa guise. Andy Warhol aimait beaucoup le pouvoir. Peut-être trop. Par exemple, Warhol a imposé à la rédaction d’Interview son choix de mettre Nancy Reagan en couverture du magazine. Tout en sachant que la première dame et le président Reagan représentaient TOUT ce que son équipe et lui honnissaient. L’écrivain Bob Colacello résume bien son attitude : « Andy était comme une société (“corporation”). Il donnait des deux côtés politiques. Les républicains achètent aussi des tableaux. »

Offerte sur Netflix. Regardez la bande-annonce de la série (en anglais)