Toutes les deux semaines, La Presse convie des créateurs de l’industrie audiovisuelle à nous parler de leur métier derrière la caméra. Et aussi des défis de la création télévisuelle à l’ère des nouvelles plateformes. Aujourd’hui, nous discutons avec la directrice artistique et conceptrice de décors Dominique Desrochers.

Dominique Desrochers est derrière le look vintage de la populaire série de François Létourneau C’est comme ça que je t’aime. Formée sur les plateaux des vidéoclips québécois après la naissance de MusiquePlus, elle a entre autres travaillé avec son frère, le réalisateur Alain Desrochers, avant de bifurquer vers la télé et le cinéma. Son nom est au générique tant de séries d’époques (Les pays d’en haut, Musée Éden) que de séries contemporaines (Plan B, Minuit le soir). Elle a reçu six prix Gémeaux et une dizaine d’autres citations en carrière.

Q. En septembre dernier, presque tout le département artistique de C’est comme ça que je t’aime a été récompensé lors de la Soirée des artisans des Gémeaux, en récoltant sept prix. Vous mentionnez souvent votre « merveilleuse équipe », en parlant de votre travail. Est-elle votre fierté ?

R. Je ne suis rien sans mon équipe. L’esprit d’équipe, c’est ce que j’aime le plus de mon métier. Je suis très chanceuse, car il y a une magie, une harmonie au sein de l’équipe de cette série. On ne se parle pas entre les départements (parce qu’on n’a pas le temps), mais quand, par exemple, je vois les costumes arriver sur le plateau, c’est comme si on les avait dessinés ensemble.

Q. Comment résumerait-on votre tâche à la conception d’un film ou d’une série ?

R. Mon travail, c’est de donner la vision du décor selon la perception du réalisateur. Avec l’apport du directeur photo, qui est essentiel. Il n’y a pas de beau décor sans bon directeur photo ; c’est lui qui met le vernis, la touche finale, sur la toile. Je peux faire un décor magnifique, s’il est mal éclairé, c’est du gaspillage. Pour C’est comme ça que je t’aime, on ne s’est pas inspirés des revues des années 1970, mais de notre mémoire, avec nos vieilles photos de famille. Au départ, le réalisateur Jean-François Rivard voulait que ce soit intemporel. Pour s’éloigner de la caricature soulignée au crayon gras des années 1970.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Scène de la première saison de C’est comme ça que je t’aime, avec Patrice Robitaille et François Létourneau (au premier plan) ainsi que Karine Gonthier-Hyndman et Marilyn Castonguay

Q. Est-ce plus difficile travailler sur une série d’époque que sur une fiction contemporaine ?

R. C’est plus difficile refaire un décor d’époque, parce qu’on n’a pas beaucoup de moyens au Québec. Or, je suis au service du projet. Ce que je cherche avant tout, c’est le bon scénario et les bonnes personnes avec qui je vais travailler sept jours sur sept. Je carbure aux coups de cœur, aux projets qui m’emballent. Mon prochain contrat, c’est la série Fragments, de Serge Boucher, qui sera réalisée par Claude Desrosiers, avec qui j’ai collaboré pour Fragile.

Q. Vous avez travaillé sur près de 75 vidéoclips au début de votre carrière. Est-ce une bonne école pour un concepteur de décors ?

R. Pour moi, et pour d’autres comme Patrice Vermette, ç’a été une excellente école ! Avec l’arrivée de MusiquePlus et des clips au Québec, nous étions un groupe d’amis qui avaient étudié au baccalauréat en cinéma ou en communications à l’Université Concordia, au milieu des années 1980. Après le bac, j’ai commencé à concevoir des décors de publicités et de clips. J’en ai fait pour mon frère Alain Desrochers et aussi pour Érik Canuel, André Turpin, Lyne Charlebois, Podz… Avec les clips, on avait une liberté créative qu’on n’a pas nécessairement sur de grosses productions. On a pu s’éclater, expérimenter et inventer. Plusieurs créateurs de cette gang de Concordia ont percé par la suite dans le milieu du cinéma et de la télévision.

Q. L’angoisse, lorsqu’on supervise le décor d’une série d’époque, c’est d’oublier un détail anachronique. Tout le monde a le souvenir de la montre au poignet d’un gladiateur dans Ben-Hur…

R. Oui ! [Rires] Je suis souvent déçue quand je vois le produit final. Je me dis que j’aurais pu faire mieux à tel endroit, en faisant une retouche ici, en changeant un accessoire là. Ça peut être une poignée de porte d’armoire qu’on voit en gros plan. Je croise les doigts pour que ce soit juste moi qui la remarque…

Les six premiers épisodes de la deuxième saison de C’est comme ça que je t’aime sont en ligne sur l’Extra d’ICI Tou.tv. Les quatre suivants le seront dès le jeudi 10 mars.