(Paris) Comme un air de déjà-vu : lancés dans une course effrénée aux abonnés, les géants du streaming vidéo investissent désormais massivement dans le recyclage d’anciennes séries à succès, actant l’ère de la série « blockbuster ».

Les années 1990 ont eu Le prince de Bel-Air, l’année 2022 aura sa suite, Bel-Air. La plateforme Peacock (groupe NBCUniversal) diffusera dès le 13 février une nouvelle version de cette série culte, qui avait révélé Will Smith.

Même tonalité ou presque avec How I met Your Father — diffusée sur Hulu depuis le 18 janvier et qui arrivera le 9 mars sur Disney+ —, reprise de la série phare des années 2000 How I Met Your Mother. Ou avec House of the Dragon (sur HBO Max dans le courant de l’année 2022), fondée sur l’univers de la série phénomène Game of Thrones.

Frasier, True Blood, Pretty Little Liars… Que ce soit à travers un « spin-off » (l’histoire d’un personnage secondaire d’une série), un « reboot » (série existante qui revient avec une nouvelle distribution et une intrigue parfois légèrement différente), ou un « préquel » (comment les personnages en sont arrivés là), l’heure est au recyclage.

« Guerre du contenu »

Pas nouvelle, cette pratique qui consiste à miser sur un « blockbuster » déclinable à l’infini était plutôt l’apanage du 7e art. Mais, depuis quelques années, le petit écran s’en est lui aussi saisi, à sa manière.

La fin d’année 2021 n’a pas fait exception avec l’épisode « retrouvailles » de la série culte Friends ou la nouvelle saison de Sex and the City diffusée début décembre. Toutes deux sur HBO MAX (filiale de WarnerMedia), qui a lancé l’automne dernier son déploiement dans plusieurs pays d’Europe.

« On assiste à une vraie guerre du contenu entre les plateformes », soutient auprès de l’AFP Jean Chalaby, sociologue des médias à la City University de Londres.

Netflix, Amazon Prime, Disney, HBO Max, Apple TV+… Tous veulent se tailler la part du lion d’un marché dopé par la crise sanitaire. Mais y a-t-il de la place pour tout le monde ? « Le public n’est pas infini et n’a pas les moyens de cumuler trois ou quatre abonnements », souligne le sociologue.

Mastodontes vs « outsiders »

C’est dans ce contexte que l’idée de la franchise a fait son chemin. « Elles sont un capital sur lequel s’appuyer pour aller chercher de nouveaux abonnés », analyse auprès de l’AFP Rajinder Dudrah, qui enseigne au département médias de l’université britannique de Birmingham.

De potentiels nouveaux abonnés souvent nostalgiques de leur jeunesse, souligne auprès de l’AFP Andrew Connor, maître de conférence à l’Université d’Édimbourg, qui a travaillé dans le département séries de la BBC.

Pour lui, l’argument émotionnel des retrouvailles d’un public avec une série culte a été pensé par les plateformes. Et de pointer : « Dans le cas de How I Met Your Mother, le public typique de l’époque était des ados. Aujourd’hui, ce sont des trentenaires en capacité de s’offrir un abonnement à une plateforme ».

Car leur modèle économique repose principalement sur le nombre d’abonnés, qui doit constamment augmenter.

Netflix, malgré ses 220 millions d’abonnés, en a fait l’expérience et vécu une journée cauchemardesque en Bourse le 21 janvier en raison de prévisions de croissance jugées décevantes.

Surtout, les franchises permettent de limiter les risques financiers. « Lancer une nouvelle série, ça coûte beaucoup d’argent et le succès n’est pas garanti. Avec une franchise, le risque est quasiment nul », assure M. Chalaby.

Reste une question : la création originale est-elle vouée à s’éteindre sous le poids de ces mastodontes ? « Il y aura toujours une place pour l’innovation », assure Andrew Connor, pour qui « la pandémie a montré qu’il y avait de la place pour les programmes atypiques ».

Et de rappeler le destin planétaire de l’« outsider » sud-coréen Squid Game ou la telenovela colombienne La Reina del Flow, qui s’est classée dans le top 10 d’une trentaine de pays dans le monde.