Condamné et emprisonné pour agression sexuelle avant d’être libéré par la Cour suprême de Pennsylvanie, l’humoriste et acteur Bill Cosby, surnommé le papa de l’Amérique, a été accusé par plus de 60 femmes. Dans une série documentaire lancée à Sundance et diffusée dès dimanche sur Showtime et Crave, le cinéaste W. Kamau Bell documente cette histoire aux relents de film d’horreur.

C’était en décembre 1991 sur le plateau de Larry King à CNN. Bill Cosby, décontracté, rieur, blagueur, raconte ses expériences avec le spanish fly, substance hallucinogène et aphrodisiaque qu’il a utilisée à répétition pour avoir des relations sexuelles avec des femmes. Cosby rit. Larry King aussi.

Nous sommes, rappelons-le, en 1991. Or, Cosby évoque les pouvoirs du spanish fly depuis longtemps. Il en parlait dans son 33-tours humoristique It’s True ! It’s True ! sorti en 1969. Et il en reparle dans son ouvrage Childhood, dont il fait la promotion sur le plateau de l’animateur Larry King.

Plus tard, Cosby utilisera un médicament appelé Quaalude pour droguer et violer des femmes, ce qui mènera à sa condamnation. Plusieurs de ces femmes en témoignent face à la caméra dans la série documentaire We Need to Talk About Cosby, diffusée à compter de dimanche soir sur Showtime et Crave après son lancement à Sundance.

Le documentaire ne s’arrête pas que sur les sévices de Cosby. Il chronique sur l’immense impact qu’a eu la carrière de ce dernier dans la communauté noire. D’aucuns ont découvert à travers cette carrière la possibilité pour une personne noire de s’inscrire au sein de la société américaine. Les révélations à son sujet ont été accueillies avec colère, horreur et un sentiment de trahison.

« Je suis à la fois heureux et pas du tout heureux d’être ici, a déclaré le réalisateur W. Kamau Bell en présentant son documentaire à Sundance. Parce que comme gamin qui a grandi dans les années 1990, je suis un enfant de Cosby. Il m’a montré qu’un gars comme moi peut être drôle et brillant. »

Le documentariste ressort cette scène célèbre de la série The Cosby Show (1984-1992) où tous les membres de la famille chantent la pièce Night and Day de Ray Charles dans une ambiance libératrice. « Tout le monde pouvait s’identifier à l’un ou l’autre des personnages », dit Bell.

La force de son documentaire tient non seulement au nombre de femmes qui témoignent, mais aussi au poids de leurs mots. Cet ensemble forme une masse critique percutante.

Outre les victimes, W. Kamau Bell donne la parole à des acteurs, producteurs, thérapeutes sexuelles, critiques de la télévision, etc. Leurs commentaires convergent vers une responsabilité de Cosby, mais aussi celle de l’industrie du divertissement, qui a fermé les yeux. Un membre de la production du Cosby Show raconte par exemple qu’à chacun des enregistrements, devant public, une agence de mannequins envoyait plusieurs jeunes femmes qui allaient par la suite dans la loge de Cosby.

Les deux premiers épisodes de la série reviennent sur les 20 premières années de sa carrière. Dans les années 1960, alors que les Noirs manifestent dans les rues pour le droit à l’égalité, Cosby devient le premier Noir en vedette dans une série (I Spy).

Plus tard, dans les années 1970 et 1980, il enchaîne les rôles au cinéma comme à la télévision (la voix de Fat Albert) tout en défendant plusieurs causes : l’éducation, la lutte contre les drogues, une place pour les Noirs dans l’histoire américaine.

Mais dans les coulisses, notamment pendant ses spectacles d’humoriste, Cosby s’en prend à plusieurs femmes à répétition. Les victimes gardent le silence.

Le troisième épisode est centré sur The Cosby Show. Quelques participantes au documentaire écarquillent les yeux en se souvenant que le bon docteur Cliff Huxtable était obstétricien et pratiquait… dans le sous-sol de sa confortable maison de Brooklyn.

Le dernier épisode se concentre sur les dernières années et les nombreuses dénonciations faites à l’endroit de Cosby. Le film revient sur le commentaire lancé le 16 octobre 2014 par l’humoriste Hannibal Buress qui, en spectacle, a qualifié Cosby de violeur. Par la suite, tout s’est enchaîné. On peut aussi voir comment Cosby joignait directement ses détracteurs et les menaçait quand des commentaires à son endroit ne faisaient pas son affaire.

Alors que les dernières entrevues étaient bouclées, fin juin 2021, Cosby est libéré. Sur le plateau du documentaire, c’est la consternation.

Un des intervenants indique comment les choses prennent du temps à changer et donne en exemple les nombreux théâtres Pantages. Leur nom fait référence à Alexander Pantages (1867-1936), acteur et producteur arrêté et condamné pour le viol d’une jeune femme de 17 ans en 1929 et acquitté dans un second procès.

Pour sa part, la journaliste et critique Maureen Ryan est cinglante : « On ne changera pas la culture du viol sans changer la culture. »

We Need to Talk About Cosby sera présentée en quatre épisodes, les dimanches à 22 h, à compter du 30 janvier sur Showtime et Crave.