Scoop est entrée en ondes le 8 janvier 1992 à Radio-Canada. Plongeant des millions de téléspectateurs dans l’univers d’un grand quotidien montréalais, la série a marqué les esprits de nombreuses manières, indiquent ses acteurs 30 ans plus tard. En plus d’avoir convaincu de nombreux jeunes hommes – et surtout de nombreuses jeunes femmes – d’entreprendre une carrière en journalisme, elle laisse en héritage une technique infaillible pour réchauffer les robes de chambre le matin.

Étalée sur quatre saisons, l’action de Scoop tournait largement autour d’une reportrice vedette de L’Express campée par Macha Grenon. Fille du richissime propriétaire du journal interprété par Claude Léveillée, Stéphanie Rousseau était ambitieuse, compétente et frondeuse. Une première de classe. Autour d’elle gravitaient Lionel Rivard (Rémy Girard), l’explosif chef de pupitre, Léonne Vigneault (Francine Ruel), la rugissante cheffe du syndicat, Richard « Tintin » Fortin (Martin Drainville), la recrue maladroite, et Michel Gagné (Roy Dupuis), l’amoureux fougueux.

L’influence de l’œuvre de fiction créée par Réjean Tremblay et Fabienne Larouche est indéniable puisqu’encore aujourd’hui, Macha Grenon reçoit des témoignages de femmes qui, après avoir suivi les exploits de Stéphanie Rousseau à l’écran, ont décidé de faire des études en communications.

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Stéphanie Rousseau (Macha Grenon) et Sophie Bélair (Julie du Page)

« Scoop, ce n’était pas une série sur notre passé en tant que Québécois, c’était une série sur notre présent, affirme la comédienne. C’était une série centrée autour d’un modèle différent de personnage féminin. On sortait la femme des cuisines. Stéphanie était indépendante, elle travaillait. C’était une femme moderne des années 1990. Et c’est elle qui choisissait le gars. »

Rampe de lancement

Quand on jette un œil au générique de Scoop en 2022, on peine à croire qu’autant de grosses pointures aient partagé la vedette d’une même série. Mais en 1992, personne n’aurait qualifié sa distribution d’époustouflante, puisqu’elle était majoritairement composée de comédiens peu connus du grand public.

Ayant tenu l’affiche du Déclin de l’empire américain de Denys Arcand quelques années plus tôt, Rémy Girard jouissait d’une certaine notoriété, mais loin du niveau qui l’attendait ensuite.

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Lionel Rivard (Rémy Girard)

Pour l’acteur, Scoop représentait un « premier grand rôle ». « J’avais un personnage intéressant à jouer, commente-t-il. Au départ, Réjean et Fabienne m’avaient dit : “Rivard, c’est un homosexuel, mais les gens vont seulement l’apprendre au 13e épisode, après l’avoir adopté, après l’avoir aimé.” À cette époque, les personnages différents, ce n’était pas courant à la télévision. »

Avant 1992, Martin Drainville avait joué dans l’émission humoristique Samedi PM avec Pauline Martin, mais il n’avait jamais figuré au générique d’une série dramatique d’envergure. « Avec Scoop, je suis devenu un visage identifiable, signale le comédien. Beaucoup de gens ont commencé à m’appeler Tintin. »

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Richard « Tintin » Fortin (Martin Drainville), Manou (Fabien Dupuis) et Serge Vandal (Michel Barrette)

Pour Macha Grenon, alors mieux connue grâce à son rôle de photographe cocaïnomane éprise de Pierre Lambert (Carl Marotte) dans Lance et compte, Scoop a changé la donne. Du jour au lendemain, elle est devenue une chouchoute des téléspectateurs aux Prix MetroStar (les prédécesseurs du gala Artis).

« C’était un premier rôle, c’était une série lourde, c’était des gens de talent immense, et c’était très, très regardé, résume l’actrice. Une fois, j’étais au dépanneur et, rendue au comptoir, il y avait quatre premières pages de magazine sur Scoop. Le défi, pour moi, c’était d’apprendre à composer avec toute cette popularité. C’était d’apprendre à vivre mon métier autrement. »

Scoop a également marqué un tournant pour Francine Ruel. Au début des années 1990, l’actrice et auteure avait quelques pièces de théâtre derrière la cravate, dont Broue, qu’elle avait coécrite avec Claude Meunier, Jean-Pierre Plante et Louis Saia, mais du côté de la télé, hormis Cormoran, son CV était plutôt maigre.

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Léonne Vigneault (Francine Ruel)

Elle raconte qu’avant de passer son audition pour Scoop, elle avait appris par erreur l’identité des autres actrices convoquées pour camper Léonne Vigneault.

« C’était juste de gros noms… et elles étaient toutes minces, alors que moi, j’étais ronde. Ça m’avait donné une sorte d’élan. Ça m’avait poussée à travailler fort pour obtenir le rôle. J’étais en mission ! Parce que Léonne, c’était une femme forte en gueule, émouvante et sexy. Elle avait des choses à dire. C’était l’occasion rêvée de montrer au monde qu’une ronde pouvait être sensuelle et vivre des moments formidables. »

L’effet Mihalka

À défaut d’avoir révélé Roy Dupuis au grand public (Les filles de Caleb s’en était chargé deux ans plus tôt), Scoop a confirmé le statut de valeur sûre du ressortissant de l’École nationale de théâtre alors âgé de 27 ans. Premier acteur attaché au projet, Roy Dupuis avait initialement refusé d’y participer parce qu’il trouvait les textes « ordinaires ». Finalement, il n’a jamais regretté d’avoir accepté l’offre des producteurs.

« La gang était vraiment tripante, indique l’acteur. Et j’aimais beaucoup travailler avec George [Mihalka, réalisateur des deux premières saisons]. Il était très ouvert, très rassembleur, très souriant. Je sentais qu’il aimait ce que je faisais. Pour moi, c’était encourageant. J’avais juste le goût d’en donner plus. »

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Michel Gagné (Roy Dupuis)

Même son de cloche chez Rémy Girard, qui salue l’audace de Mihalka lors des scènes de groupe tournées dans l’ancienne laiterie Guaranteed Pure Milk, au centre-ville de Montréal, où avaient été aménagés les décors du journal L’Express.

« On avait une méthode avec George. Quand on avait le temps, et parce que l’on connaissait bien nos personnages, on commençait la scène avant le texte, en improvisant quelques répliques. Ça nous mettait dans l’ambiance. Ça amenait une sorte de fluidité. Et souvent, ces petits moments d’improvisation étaient gardés au montage. »

Joint au téléphone, George Mihalka garde un excellent souvenir de Scoop, œuvre qui tirait son épingle du jeu, croit-il. « On voulait créer une série contemporaine, différente. C’était un défi incroyable. On avait envie de montrer Montréal comme une grande ville mondiale. »

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George Mihalka en 2005

Scoop a propulsé la carrière du réalisateur, qui s’est ensuite retrouvé aux commandes de films québécois comme La Florida, Les Boys 4 et L’homme idéal, en plus d’un grand nombre de séries anglophones des deux côtés de l’Atlantique.

« Pour moi, ç’a été une porte d’entrée. Pour la première fois, j’avais la chance de créer tout le look d’une série, de choisir les acteurs… Ça m’a donné l’occasion de devenir un vrai réalisateur », souligne celui qui dirige actuellement le plateau d’Hunyadi, série à grand budget à propos d’un célèbre guerrier hongrois du XVe siècle.

Moments marquants

Quand on pense à Scoop, diverses images nous reviennent en tête : chaque fois que Lionel Rivard criait : « On tue la une ! » en pleine salle de rédaction, les balades en Porsche de Stéphanie Rousseau au centre-ville, la mort de Gabriella (Charlotte Laurier), etc.

Francine Ruel souligne la conclusion du 12e épisode, quand Léonne déclenche la grève en appelant les pressiers au terme d’une séance de négociations houleuses avec l’éditeur Paul Vézina (Raymond Bouchard). « Quand je vais avoir 200 ans, je vais encore m’en rappeler ! s’exclame-t-elle. C’est un moment de télévision que j’adore ! »

Une autre scène que l’actrice n’oubliera jamais : celle dans laquelle Rémi (Germain Houde), conjoint de Léonne, la réveille avec une robe de chambre chauffée après deux, trois tours de sécheuse.

« Les gens m’en parlent encore ! lance Francine Ruel en riant. Les hommes me disent qu’à cause de moi, leur facture d’électricité a augmenté ! Je trouve ça drôle. Ça doit aussi vouloir dire que j’ai du talent comme actrice, parce qu’au moment du tournage, la robe de chambre était froide ! »

Les scènes d’amour, plutôt explicites pour l’époque, font également partie du patrimoine de Scoop. On pense notamment à cette partie de jambes en l’air entre Manon Berthiaume (Sophie Lorain) et François Dumoulin (René Gagnon) dans une décapotable, mais surtout à celles entre Stéphanie Rousseau et Michel Gagné.

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Stéphanie Rousseau (Macha Grenon) et Michel Gagné (Roy Dupuis)

Selon Macha Grenon, de nature timide, ces extraits n’ont jamais été particulièrement faciles à tourner, mais avec Roy Dupuis comme partenaire de jeu, un acteur qu’elle qualifie de drôle, professionnel et respectueux, l’expérience était moins inconfortable. Quant à Roy Dupuis, au moment de filmer ces séquences à plateau fermé, il évitait de penser aux millions de téléspectateurs que Scoop rejoignait.

« D’un point de vue créatif, c’était des scènes que j’aimais faire. J’aimais l’idée d’aller jusque-là pour raconter une histoire, pour s’approcher d’une certaine vérité. Je sentais qu’il y avait des choses qui n’avaient pas encore été faites à la télé. Et tout était très chorégraphié, un peu comme une danse. Les gestes étaient placés et décidés d’avance. »

Encore présente

Scoop est tout sauf tombée dans l’oubli. La série complète est offerte en DVD depuis une dizaine d’années. La chaîne Unis TV a présenté sa première saison l’automne dernier. Sa deuxième sera diffusée dès jeudi.

Selon Rémy Girard, qui s’est récemment retapé les premiers épisodes, la série a très bien vieilli. « J’ai eu beaucoup de plaisir à l’écouter, toutes ces années plus tard. J’ai trouvé ça bon. Ce n’était pas gratuit. On parlait de choses réelles : l’importance de l’information, la compétition entre médias… Et j’ai cru aux personnages. »

« Les auteurs connaissaient leur sujet, ça paraissait, ajoute Martin Drainville. Et c’était franchement une bonne idée de faire une série qui parle d’un journal. Ça permet d’aborder toutes sortes d’histoires. Tu peux te permettre tous les sujets parce qu’un journaliste, ça peut enquêter sur tout. »

Unis TV diffuse la deuxième saison de Scoop à compter du jeudi 6 janvier à 22 h.