« Vous risquez de passer l’été à vous creuser les méninges, jusqu’en septembre », nous a prévenu Fabienne Larouche à propos de la finale de District 31. « Ceux qui croient enterrer le passé sont condamnés à le voir revivre », a ajouté son conjoint, le producteur Michel Trudeau. À quelques heures de la diffusion de cet épisode fort attendu, La Presse a demandé à quatre maîtres de l’écriture télévisuelle – Luc Dionne, Isabelle Langlois, Fabienne Larouche et Jacques Davidts – d’expliquer l’art de bien boucler une saison ou une série.

Non, Fabienne Larouche ne gâchera pas notre plaisir en dévoilant la fin de la saison 5 de la populaire série policière qu’elle produit. « Je me retiens parce que je suis tellement enthousiaste et fière de ce que Luc [Dionne] a préparé. Il a écrit non pas une… mais trois fins toutes aussi surprenantes ! »

La productrice a même demandé aux téléspectateurs de se filmer en regardant « l’épisode surprise » de District 31, histoire d’immortaliser leurs réactions devant l’écran. Mme Larouche estime qu’il n’y a pas de trucs pour réussir une fin de saison, seulement beaucoup de travail.

Une bonne fin, c’est l’art de placer, dans les épisodes précédents, des éléments qui nous emmènent vers une finale forte et inattendue. De séduire le public, sans être racoleur, parce qu’on veut qu’il revienne nombreux la saison prochaine.

Fabienne Larouche

L’auteur de District 31 est du même avis. « Un bon dernier épisode est le prélude aux premiers épisodes de la saison suivante, dit Luc Dionne. J’essaie de camoufler mon jeu avant de boucler ma finale. Mon défi, c’est d’écrire des histoires qui semblent insolubles, de créer un casse-tête. Je veux toujours surprendre. »

Depuis le début de la quotidienne, en septembre 2016, Luc Dionne a écrit 600 épisodes. Il dit avoir encore du souffle pour la suite de District 31 : « Je ne planifie pas des mois à l’avance. Je n’ai pas de tableau dans mon bureau, de grille, et je ne connais pas le destin de mes personnages. Je travaille un peu comme un peintre qui applique des taches de couleurs et qui voit peu à peu se dessiner sa toile. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Fabienne Larouche et Michel Trudeau en 2016

Boucler en beauté

Fabienne Larouche détient un record Guinness en écriture télévisuelle pour avoir signé 1740 épisodes (!) de Virginie. L’auteure a mis le point final à plusieurs séries, comme Fortier, Trauma, Urgence. Certaines finales étaient plus spectaculaires que d’autres.

Or, selon elle, il y a trois ingrédients essentiels pour bien boucler une saison : « la surprise, l’émotion et satisfaire intellectuellement le téléspectateur ».

Or, finir une saison et conclure une série pour de bon, ce n’est pas du tout la même chose. Pour la reine de la comédie à la télé au Québec, Isabelle Langlois, il faut boucler la boucle en beauté. « Je n’écris pas du suspense comme Luc [Dionne]. J’ai besoin d’un petit feu d’artifice au final. Je ne veux pas laisser un personnage sur une patte en l’air. J’aime les fins fermées où chaque personnage a accompli sa trajectoire, où j’ai l’impression d’avoir répondu à toutes les questions soulevées dans le récit », explique l’auteure de Rumeurs et de Mauvais karma.

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Isabelle Langlois, scénariste de Lâcher prise

Aucun scénariste ne veut écrire la saison de trop. Isabelle Langlois a déjà confié avoir eu l’impression de manquer de souffle à la fin de la saison 3 de Lâcher prise, jusqu’à envisager de tout arrêter. Or, elle a signé une autre saison, parce qu’elle avait encore « beaucoup de matière et de fun à écrire ».

Si un auteur n’a plus de plaisir, il risque fort d’ennuyer les gens à la maison. À l’instar de Shéhérazade dans le conte des Mille et une nuits, Isabelle Langlois veut garder son auditoire captif, d’un épisode à l’autre. Il reste qu’un auteur n’a pas le dernier mot : il dépend du diffuseur. « C’est le diffuseur qui prend la décision de renouveler ou pas nos séries. Et on l’apprend rarement à l’avance. C’est donc important de ne pas fermer toutes les portes à la fin d’une saison », explique Mme Langlois.

Le rêve de Dallas

En se lançant dans l’aventure de la comédie Les Parent, Jacques Davidts croyait faire trois saisons tout au plus. Il en a signé… huit. Il précise que les diffuseurs demandent souvent aux auteurs de faire des fins « hybrides », juste assez ouvertes pour que l’histoire puisse rebondir, ou se terminer sans décevoir personne.

« On ne veut surtout pas un rebondissement à la Dallas pour justifier une nouvelle saison », dit-il en faisant référence à la fameuse scène du rêve, le matin où Pam s’éveille en surprenant Bobby sous la douche : « Ah ! tu n’es pas mort… Ce n’était qu’un rêve ! » « C’est le classique des classiques d’une mauvaise fin », tranche l’auteur des Mecs.

Regardez la fameuse scène de Dallas

Mort et mystère

Il y a autant de fins que d’histoires. Pour Isabelle Langlois, la meilleure fin, c’est celle qui permet d’imaginer un nouveau cycle aux personnages.

Par exemple, à la fin de Lâcher prise, Valérie [Sophie Cadieux] est devenue capable de dealer avec le chaos de sa vie. En faisant la paix avec sa mère, ses proches et, surtout, avec elle-même.

Isabelle Langlois, scénariste de Lâcher prise

Pour Jacques Davidts, une bonne fin épisodique nous fait imaginer qu’un héros peut toujours revenir dans une nouvelle histoire. « Comme la dernière image d’un album de Lucky Luke où le cowboy solitaire reprend la route vers d’autres aventures », illustre-t-il.

Mais il y a aussi des fins mystérieuses, à la Twin Peaks, pour nous laisser dans le suspense et le doute. Et une fin ultime, comme celle de la série Six Feet Under, où les créateurs ont fait une ellipse temporelle pour montrer la mort de tous les personnages principaux. Une fin plus vraie que la vie.

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Le scénariste Jacques Davidts (Les Parent, Les mecs)

Dans le cas de Jacques Davidts, il a écrit la toute première scène des Mecs en sachant comment il allait boucler sa série. « J’ai déjà en tête le début et la fin de la saison 3 [la saison 2 est écrite et son tournage commencera en juillet prochain]. Il ne me reste plus qu’à remplir le milieu », dit-il en riant.

Or, quand la série sera terminée, l’auteur passera facilement au prochain projet. « Je n’ai aucun regret en abandonnant mes personnages, conclut Jacques Davidts. Au contraire, je suis heureux de les voir partir de ma tête. Autant j’ai aimé les voir naître dans mon imaginaire, quand c’est fini, c’est une vraie libération ! »