Le hip-hop est roi dans l’univers musical, pourtant il est encore rare de le voir sur nos écrans. La fin des faibles, toute première compétition de rap télévisée au Québec, veut changer la donne, en mettant des rappeurs en vedette sur une chaîne publique. La Presse a suivi certaines étapes de cette production d’envergure, que Télé-Québec diffusera dès le 1er mars.

Les premiers moments de la compétition

Nous sommes le 29 novembre 2020, au cabaret Lion d’Or. Il est environ 10 h et la première ronde d’auditions de La fin des faibles débute sous peu. L’équipe de production, dirigée par le réalisateur Baz (Laurence Morais Lagacé), est sur place pour capter ces premiers moments de la compétition. Baz, qui vit sa première expérience du genre, est le choix parfait pour cette production – toutes les personnes interrogées par La Presse le confirment. Celui qui « baigne dans le rap depuis toujours » et a réalisé de nombreux vidéoclips de rap (pour Alaclair Ensemble, White-B, High Klassified) voit dans ce mandat l’occasion de montrer ce qu’est vraiment le rap, qui a encore mauvaise presse auprès de certains ou qu’on ne voit que d’un unique point de vue.

PHOTO ROBERT SKINNER, LAPRESSE

Le réalisateur Baz au centre

À chaque fois que le rap est montré à la télé, c’est pour montrer le bon petit Blanc, le petit gentil, le FouKi, le Loud. Moi, je veux montrer que ce n’est pas juste ça. […] Tous ceux qui rappent ont leur réalité, c’est le reflet de ces réalités. Il faut le montrer plutôt que de le balayer sous le tapis et de faire croire que le rap n’est qu’une chose.

Baz, réalisateur de La fin des faibles

L’animateur mélomane Pierre-Yves Lord, qui prendra les rênes l’émission, croit lui aussi qu’« un équilibre doit se faire ». « On se demande pourquoi les jeunes désertent la télé. Il faut avoir le courage de leur présenter du contenu qui leur ressemble et prendre les gens qui viennent avec, dit-il. C’est extrêmement audacieux de la part de Télé-Québec et ça me rend fier qu’une chaîne publique embarque dans ce projet-là. »

Des juges de renom

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Souldia sera un des juges de la compétition, aux côtés de Sarahmée et de Koriass.

Les lumières sont tamisées et des projecteurs éclairent la scène du Lion d’Or ainsi que les trois juges installés juste en face, qui attendent l’arrivée du premier candidat. Benoît Beaudry, Guillaume Gingras et Jaime Emilio Maldonado sont les cofondateurs du volet québécois de la compétition de rap End of the Weak. C’est sur ce concept international que se base la production télévisée d’Urbania La fin des faibles. « Ça m’a interpellée que les gars d’End of the Weak, que je connais depuis des années, soient impliqués dans le processus, affirme la rappeuse Sarahmée. Ça m’a rassurée, parce qu’on fait une émission de ce genre-là pour la toute première fois. » Lors de la deuxième phase du concours, Sarahmée, Souldia et Koriass reprendront le flambeau de juges et couronneront le ou la vainqueur de la compétition.

Ils amènent la diversité qu’on trouve dans le rap. Ils nous font aussi sortir de Montréal, puisque Souldia et Koriass sont de Québec.

Annie Bourdeau, productrice de La fin des faibles

La fébrilité est dans l’air

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Des candidats attendent leur audition.

Dans le vestibule, séparé de la salle par un rideau, la fébrilité flotte dans l’air. Certains des candidats répètent leurs rimes à demi-voix. D’autres font les cent pas dans le mètre carré que leur permet la distanciation d’usage. Une fois les mains désinfectées, les masques distribués et les photos d’auditions prises, on explique aux cinq rappeurs le déroulement du tournage. Tout sera documenté. « Ne vous souciez pas de la caméra en coulisses, faites comme si elle n’était pas là », leur dit Léonie Monette, coordonnatrice de production. Les concurrents peuvent aussi se filmer avec leurs téléphones et envoyer leurs journaux vidéo à la production. Ce qu’on cherche, c’est de la proximité et de la vulnérabilité. De l’authenticité, aussi.

Le succès pour rejoindre le plus grand nombre, à mes yeux, c’est vraiment de se concentrer sur l’humain, son histoire. La façon dont j’ai toujours tourné le rap, c’est en étant plus cru, moins léché, avec des caméras très proches pour cet aspect de proximité.

Baz, réalisateur de La fin des faibles

Place au rap

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Le rappeur Basics aux auditions de La fin des faibles

La fin des faibles fait ce qu’aucun autre n’avait tenté avant. Il y a La voix et les Star Académie de ce monde, mais une compétition de rap pour le grand public, au Québec, c’est inédit, remarque Annie Bourdeau. Le concept est né d’une idée qui mijotait depuis longtemps chez Urbania : donner la vedette à ce style que le mainstream tarde à adopter. Quelque 120 rappeurs et rappeuses tenteront leur chance aux auditions à Montréal, Québec et Gatineau. Plus de 400 personnes ont répondu à l’appel. Des artistes qui font leurs premiers pas dans le milieu, mais aussi des vétérans venus montrer au grand public de quoi ils sont capables. Parmi eux, Basics, 34 ans et champion d’End of the Weak Québec depuis 2017. S’il est habitué aux concours de rap, c’est celui qui semble le plus nerveux, ce matin-là. Et pour cause : c’est la première fois qu’il fera une performance en français (et il s’en sortira très bien). C’est la règle, La fin des faibles est une compétition francophone. « C’est la volonté de Télé-Québec de promouvoir la langue française, dit Annie Bourdeau. Ça demande à certaines personnes de se dépasser, d’être davantage créatives. »

Accroître sa confiance

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La rappeuse Amighoste

Quelques mois plus tard, le 7 février 2020, on tourne les troisième et quatrième épisodes de l’émission, au New City Gas. L’équipe de La fin des faibles s’est approprié le grand bâtiment industriel de l'établissement de Griffintown. Le nombre d’artisans sur place a augmenté depuis les auditions. Cette fois, on tourne la deuxième ronde de la compétition. Les 16 participants retenus vont traverser une série de quatre épreuves, par groupes de quatre : l’interprétation d’un texte, sur une musique de leur choix, un a capella, une improvisation et, finalement, une battle. Un seul candidat sera choisi lors de chaque émission pour participer à la grande finale. Au fond du couloir du rez-de-chaussée, dans la grande loge des concurrents, LeMind, Baddsoya, JAM et Amighoste s’apprêtent à s’affronter. Amighoste, la seule candidate féminine de la journée et une des quatre femmes de la compétition, a très peu d’expérience de scène. C’est avec l’organisme d’aide en alphabétisation qui la soutient qu’elle a commencé à rapper, il y a moins d’un an, et qu’elle a décidé de s’inscrire à La fin des faibles.

J’écoutais du rap, ça faisait déjà partie de ma vie. Mais je ne sais pas comment écrire des textes et je n’ai même pas terminé mon école, donc je n’étais pas super confiante. Mais la première fois que j’ai spitté, j’ai vu le regard d’approbation des gens. J’ai vu que je suis capable de bâtir ma confiance à travers le rap.

Amighoste, une des quatre femmes de la compétition

Un beau terrain de jeu

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DJ Killa-Jewel

À l’étage du New City Gas se trouve le plateau de tournage. Les murs de béton servent à merveille l’ambiance hip-hop qu’on a voulu créer en studio. Du grillage et des graffitis ont été ajoutés au décor, tout comme l’écran géant au fond de la pièce et l’imposant escalier menant à la grande scène. « C’est un superbe terrain de jeu qu’on leur donne », s’émerveille Pier-Yves Lord en regardant tout autour de lui. De la mezzanine du studio, Baz surveille le tout, lance quelques instructions, lorsqu’il n’est pas directement sur le plateau. Les candidats montent sur scène les uns après les autres, les juges commentent leurs performances. Souldia, Koriass et Sarahmée forment un trio qui « marche », constate cette dernière. « On a des sensibilités différentes et ça fonctionne. » À l’animation, Pierre-Yves Lord espère quant à lui être « une courroie de transmission pour les juges, quelqu’un de sécurisant pour les compétiteurs », mais aussi « un facilitateur pour les téléspectateurs qui pourraient à la base ne pas se sentir attirés par une compétition de rap ».

Rapper en toute circonstance

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Poète Black entouré de trois autres concurrents : Britanny Rose, Woodman et D-track, en répétition

En plus de devoir livrer une performance et gérer le stress qui vient avec, les candidats doivent composer avec les caméras, le rythme rapide et les multiples prises. « Le plateau est impressionnant, c’est très gros. Moi, avoir une caméra dans ma face et qu’on me dise “Go, rappe ta chanson”, je ne sais pas si je pourrais, confie Sarahmée. Ça prend beaucoup de courage. […] Les gens vont le voir, il y des [candidats] qui vont se démarquer, mais il n’y a jamais de maillon faible dans les groupes de participants. Ce sont des gens qui ont du talent, mais aussi du potentiel. » Deux épisodes sont mis dans la boîte dans une (longue) journée de tournage, qui débute en matinée pour se terminer bien après l’heure du couvre-feu. Dès le 1er mars, les téléspectateurs pourront constater le résultat de tout ce travail et, surtout, partir à la rencontre des rappeurs et rappeuses de La fin des faibles. « Pour moi, la diversité, ce n’est pas juste une question de couleur, c’est aussi une question de parcours, de façon de penser, de mode d’expression, dit Pierre-Yves Lord. Si on veut être fidèle à notre désir de diversité, il faut aussi accepter le fait qu’il n’y a pas juste des chansons de Sylvain Cossette ou des duos avec Serge Lama qui ont leur place à la télé. »