Vincent Leclerc était inconnu du grand public lorsqu’il a obtenu le rôle de Séraphin Poudrier dans Les pays d’en haut. La série historique de Radio-Canada se conclura le lundi 8 février, au terme de six saisons. L’heure des bilans avec son interprète principal.

Marc Cassivi : La dernière fois qu’on s’est parlé, tu venais de remporter un prix Gémeaux en déclarant qu’on ne voyait pas beaucoup de visages moins connus dans les premiers rôles à la télé…

Vincent Leclerc : C’est drôle. Je viens juste de relire l’entrevue pour le fun. Il y a quatre ans, je te disais : « Je veux devenir un visage connu qu’on sera peut-être écœuré de voir parce qu’il a quatre premiers rôles dans des séries ! » Ça m’est un peu rentré dedans de lire ça. Parce qu’aujourd’hui, on m’offre des premiers rôles. Le hic, c’est que maintenant, je fais probablement partie du problème ! (Rires) C’est ce que je souhaitais un peu. Je ne suis plus un visage inconnu. C’est étrange.

M. C. : Les choses ont changé depuis ?

V. L. : Je trouve que le milieu a progressé. Je vois plus de nouveaux visages. Est-ce que c’est un choix conscient ? J’espère. Peut-être que c’est aussi parce qu’il faut choisir dans le bassin d’acteurs de la zone 1 en temps de pandémie. (Rires) Je rigole ! Je pense que c’est un choix conscient. Il y a assurément une petite évolution du côté des minorités visibles. Mais peut-être que les gens de ces différentes communautés, des minorités visibles, seraient en désaccord avec moi. Je sens une ouverture. Ça progresse à pas de tortue, mais ça progresse.

M. C. : Quel bilan fais-tu de ta propre expérience, alors que Les pays d’en haut arrive à sa conclusion ?

V. L. : Les pays, pour moi, ça a tout changé. Je le souhaitais dans mes rêves les plus fous, et ça s’est réalisé. Je le dois à Sylvain [Archambault, le réalisateur des premières saisons]. Ça a été un laboratoire pour moi, cette série-là. J’ai appris énormément. J’ai appris à me positionner aussi, en tant qu’artiste. C’est un mot avec lequel j’ai de la difficulté…

M. C. : Pourquoi ?

V. L. : Ce n’est pas de la fausse humilité, mais pour moi, un artiste, c’est quelqu’un avec une identité propre, forte. C’est Jean Leloup ! Moi, je passe d’une identité à l’autre. Je suis un interprète. Peut-être que ce sera ma quête des prochaines années. Une prise de position artistique et une prise de parole. Est-ce que ce sera dans l’écriture, dans la mise en scène, dans la réalisation ? Je n’en ai aucune idée. Mais il y a quelque chose de risqué, de courageux qui m’interpelle de plus en plus. Pendant plusieurs années, je sentais que je n’avais rien à dire. J’ai choisi un métier où quelqu’un d’autre écrit ce que je vais dire !

M. C. : Est-ce le fait d’avoir un peu plus d’assises dans ton métier d’interprète, après six saisons des Pays d’en haut, qui te permet d’allumer un feu et de dire que tu as envie d’explorer autre chose ?

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Vincent Leclerc dans une scène du dernier épisode de la série Les pays d’en haut, qui sera diffusé le 8 février.

V. L. : Pour moi, la prise de parole doit venir d’une confiance en soi. Je ne le ressens plus comme acteur, mais ça vient peut-être du sentiment d’imposteur que j’ai eu jusqu’à 40 ans. Parce que je ne venais pas des plus grandes écoles ni de Montréal et que je ne connaissais personne. Je suis parti de très loin. Ce sont peut-être de petites scories qui traînent de cette période-là. J’ai plus confiance en moi et je me sens plus accepté dans ce milieu-là. Et c’est formidable, ce qui m’arrive, les premiers rôles et les défis. Je passe d’un univers à l’autre, d’Alerte Amber à Sortez-moi de moi. Il y a un gros projet qui arrive au printemps dont je ne peux pas encore parler. Mais il y a peut-être autre chose qui doit s’exprimer autrement que par le jeu.

M. C. : Tu es parfaitement bilingue et tu joues aussi en anglais depuis le début de ta carrière. Est-ce que le fait d’avoir eu un premier rôle dans une série populaire québécoise te procure un avantage au Canada anglais, ou les deux solitudes sont-elles étanches et imperméables ?

V. L. : Je te le dis parce qu’elle ne le lira pas, mais je serais surpris que mon agente anglophone ait vu un épisode des Pays d’en haut Probablement que le succès de l’émission peut m’obtenir une audition à Toronto. Mais est-ce qu’un diffuseur ou un producteur va se dire : We need Vincent Leclerc ? Ça m’étonnerait beaucoup ! (Rires)

M. C. : Ça ne se passe pas vraiment dans l’autre sens non plus…

V. L. : Oui, mais en même temps, depuis que je suis arrivé à Montréal, j’ai toujours l’impression que lorsqu’un acteur travaille en anglais, que ce soit Karine Vanasse ou Caroline [Dhavernas] ou Laurence [Lebœuf] ou David La Haye, on trouve donc ben ça hot. Ça m’a toujours amusé.

M. C. : Ça parle de nos complexes. C’est le même rapport qu’on a à Toronto avec les acteurs canadiens qui travaillent à Hollywood.

V. L. : Et on va le sentir encore plus avec Netflix…

M. C. : Lorsqu’on quitte un rôle comme celui de Séraphin, est-ce qu’on se dit qu’on n’en aura plus d’aussi riche ou, au contraire, que c’est un tremplin ?

V. L. : Je ne me conte pas d’histoires. Il y a déjà plein d’autres choses qui sont en train de se passer pour moi. C’est magnifique. Mais je sais pertinemment que ça ne se reproduira plus. J’ai eu au-dessus de 500 scènes dans Les pays d’en haut. Et il n’y en a pas une qui se résumait à « Passe-moi le beurre ! ». J’ai vraiment essayé des affaires. Ce n’était pas toujours heureux ! Mais je n’aurai plus de partition comme celle-là. La partition de Gilles Desjardins m’a amené partout. Je lui dois énormément. On s’est amusés à se relancer d’année en année. Il me disait — et c’est un énorme compliment : « Je suis curieux de voir ce que tu vas faire avec ce que je t’ai écrit. » C’est un personnage que je vais toujours porter en moi. En même temps, il faut que je fasse attention, parce que des fois, je travaille des rôles avec ma copine et elle me dit : « Attention, ça, c’est Séraphin ! » (Rires)

M. C. : Tu as pris des mauvais plis ! Tu as une volonté consciente d’aller vers des rôles qui sont très différents de Séraphin ?

V. L. : C’est le petit côté égoïste ! Mon devoir premier, c’est d’être fidèle au rôle et à ce qui est écrit. Mais consciemment, il faut que mon deuxième devoir soit de me réinventer complètement. J’ai eu la chance que le premier rôle qui m’a mis sur la mappe soit extrêmement éloigné de moi. Ce qui arrive rarement. Ça m’a aidé. Les propositions que j’ai reçues depuis ont été très différentes. Ça m’a établi, je crois, aux yeux des décideurs, comme un acteur capable de défendre un beau rôle dramatique. J’ai cette chance-là, pour l’instant, d’être quelqu’un à qui on peut confier un défi. C’est ce que je souhaitais quand je suis sorti de l’université il y a 25 ans. Je ne veux pas être une vedette. Je veux être dans une position où je peux dire non. Et j’aimerais secrètement être quelqu’un comme Céline Bonnier, qui est pour moi notre Cate Blanchett, à qui l’on pense quand on a un rôle pas évident. J’ai encore des croûtes à manger, mais c’est ce à quoi j’aspire.

M. C. : Tu fais ce métier depuis 25 ans. Est-ce qu’il y a une partie de toi qui se dit : pourquoi on n’a pas pensé m’offrir une occasion pareille il y a 15 ou 20 ans ?

V. L. : Absolument pas ! Je suis tellement content de ne pas avoir eu mon plus grand rôle à 25 ans. Parce que c’est sûr qu’en ce moment, je serais sur le déclin ! (Rires) Est-ce que ce sera une boucle de 10 ans ? Je ne sais pas. Mais la difficulté des défis a été très progressive et je pense que j’étais prêt à chaque étape pour quelque chose d’un peu plus corsé. Un rôle m’a préparé à l’autre, et c’est très bien ainsi. Je me retrouve, au milieu de la quarantaine, dans une situation idéale. C’est un cliché, mais dans la mi-quarantaine, on le constate, toi et moi, on se sent apaisé, confiant, en pleine possession de ses moyens. Je sais que je suis extrêmement choyé. J’ai des chums dans mon métier qui n’ont pas ma chance. Ma réflexion est une réflexion de gars privilégié. Cette notion de privilège, elle est importante pour moi. Je veux la conserver. Parce que je sais d’où je viens et où j’espère aller.