« Si on avait exigé que je choisisse entre ma foi et ma carrière, j’aurais choisi ma foi. »

Ce n’est jamais arrivé. Et le 11 janvier, Ginella Massa est entrée à la CBC par la grande porte, en une ascension fulgurante. Elle est devenue l’animatrice de Canada Tonight with Ginella Massa, nouvelle émission quotidienne d’affaires publiques semblable au 24-60 d’Anne-Marie Dussault.

Qu’une animatrice de ce type d’émission porte un hijab à la CBC, c’est du jamais-vu au Canada.

Ginella Massa est abonnée aux grandes premières. En 2015, elle devenait la première journaliste à la télévision en Amérique du Nord à porter le voile. Elle travaillait alors à Kitchener pour CTV.

Un an plus tard, elle passait à City News, à Toronto, à titre d’animatrice, cette fois. Là aussi, son entrée en scène n’est pas passée inaperçue.

Quand j’ai commencé à travailler à Toronto, j’ai été renversée de voir à quel point la salle de rédaction n’avait rien à voir avec la ville dans laquelle j’ai grandi. Des gens de la diversité, on n’en voyait à peu près qu’à la cafétéria.

Ginella Massa

Âgée de 34 ans et native du Panamá, Mme Massa a immigré à Toronto alors qu’elle était enfant, avec sa mère cheffe de famille monoparentale.

Rapidement, sa mère s’est convertie à l’islam et la jeune Ginella a commencé à porter le voile alors qu’elle était à l’école primaire.

« Le voile est une composante extrêmement importante de mon identité. Je n’ai jamais songé à m’en départir. »

Et ce, même quand on a cherché à lui faire comprendre, au collège, qu’un hijab l’empêcherait de progresser dans le métier, malgré tout son talent.

Elle savait pertinemment que ce serait difficile. Aussi a-t-elle d’abord pensé aller en radio, « où [son] look ne dérangerait pas ». « Mais ma mère m’a encouragée à ne pas abandonner mon rêve de faire de la télévision. »

Elle entend très bien ce qui se dit sur elle. Qu’elle a été embauchée en raison de l’image qu’elle projette, pour que la CBC puisse se targuer d’avoir des visages de la diversité à l’écran.

« J’ai travaillé fort pour arriver où je suis. Tout ce que j’ai à dire aux gens qui formulent ces commentaires, c’est que je les invite à regarder mon émission avant d’en juger. »

Mais oui, animer une émission nationale d’une telle envergure, à une heure de grande écoute (à 20 h), vient avec une pression toute particulière dans son cas. « Les gens comme moi ne se font généralement pas offrir de tels postes. Je n’ai pas droit à l’erreur. »

Pour l’instant, les commentaires sont bons, dit-elle. Quelques chroniqueurs se sont certes insurgés qu’une femme voilée ait une telle tribune à la CBC, mais il n’y a pas eu avalanche de courriels haineux, ajoute-t-elle.

Mme Massa souligne qu’elle ne se souvient pas d’une seule fois où sa foi l’a empêchée de faire son travail. Elle a parlé dans son émission de Sex and the City, dont la suite se fera sans la comédienne canadienne Kim Cattrall, comme elle parlera au besoin de la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 »), au Québec.

À l’évidence, ce qu’elle en pense saute littéralement au visage et elle sait intimement, dit-elle, ce que les gens qui pourraient devoir enlever leurs symboles religieux peuvent ressentir.

Mais elle ne croit pas que cela soit différent de tout le reste. Malgré la théorie voulant que le journaliste soit totalement désincarné et parfaitement objectif, dans la vraie vie, rappelle-t-elle, chacun a ses expériences, son opinion, ses valeurs et son identité.

« Par exemple, les journalistes qui couvrent la COVID-19 ont certainement leur opinion sur les restrictions, sur le confinement, sur les vaccins et tout le reste. Ça ne les empêche pas de faire leur travail et de couvrir tous les angles de leur sujet. »

Le hijab vient donc certes avec un coefficient de difficulté particulier, « mais ce sont quand même toutes les femmes qui sont scrutées à la loupe à l’écran. On sourit trop, on ne sourit pas assez, on est trop maquillées, pas assez maquillées… On ne s’en sort jamais. Il y a plusieurs années, un téléspectateur s’était même plaint que ma manucure n’était pas parfaite et que si je voulais être à l’écran, il fallait que j’y voie ! »