Depuis le 20 janvier, ICI ARTV rediffuse les 39 épisodes des trois saisons de La vie, la vie, qui vient d’avoir 20 ans, à raison de deux épisodes tous les mercredis (19 h). L’occasion de revoir Simon (Patrick Labbé), Marie (Julie McClemens), Vincent (Normand Daneau), Claire (Macha Limonchik) et Jacques (Vincent Graton), affrontant les aléas de la trentaine. Retour sur cette série culte avec son scénariste, Stéphane Bourguignon (Tout sur moi, Fatale-Station).

Marc Cassivi (M. C.) : Je me suis rendu compte que tu avais été le tout premier interviewé de mes entrevues Tête-à-tête, il y a 15 ans.

Stéphane Bourguignon (S. B.) : C’est vrai ? De quoi on avait parlé ?

M. C. : On avait parlé de télé ! Tu m’as dit qu’à l’époque, pour toi, la télévision restait un divertissement alors que le cinéma était un art. Ton avis a changé là-dessus depuis 15 ans ?

S. B. : Oui ! La télévision a pris un peu le flambeau, pas nécessairement de l’expérimentation, mais d’une certaine manière de faire qui était réservée au cinéma.

M. C. : La télévision ose aborder des thématiques que l’on dit plus difficiles. La prise de risque est peut-être plus dans les séries télé qu’au cinéma, en ce moment…

S. B. : Esthétiquement aussi, la télé a beaucoup évolué. Ce n’est plus comparable à ce qu’elle était il y a 15 ans. Il y a des séries qui sont extraordinaires visuellement. Il y a des budgets qu’on ne voyait pas à l’époque, comme [celui de] The Crown, qui coûte quelque chose comme 10 millions par épisode ! Et puis l’offre télévisuelle est incroyable. Il y a des émissions de tellement de pays.

J’écoute encore des films. J’aime beaucoup le cinéma. Mais en télé, il y a beaucoup plus de qualité qu’avant.

Stéphane Bourguignon, auteur et scénariste

M. C. : Tu parles de budget. Au Québec, on ne peut pas dire qu’on a suivi la tendance mondiale. Les épisodes de séries ont souvent moins de budget, en dollars constants, qu’il y a 20 ans, non ?

S. B. : Je ne suis pas le mieux placé pour te parler de ça, mais je pense en effet que les budgets ont stagné dans la dernière décennie. En travaillant, on sait qu’on a ces contraintes-là. Il ne faut pas se leurrer, c’est sûr qu’on ne raconte pas les mêmes histoires. C’est sûr aussi qu’on ne le fait pas avec autant de panache qu’on pourrait le faire. L’argent, en tournage, c’est du temps. Combien de temps on va avoir pour tourner une scène. Ça influence un peu tout. Si tu comprimes le temps, tu comprimes aussi l’espace de création de tout le monde. Je vis avec une actrice et je pense que ceux qui paient le plus le prix de ces compressions, ce sont les acteurs. Ils arrivent en dernier dans le processus de tournage, quand le son et l’éclairage ont été réglés, et ils ont 10 minutes pour jouer la scène ou, sur des productions plus riches, une heure ou deux. Ils ont toute la pression de livrer leur texte rapidement pour que ça rentre dans l’horaire.

M. C. : On continue malgré tout de faire de la bonne télé…

S. B. : C’est sûr qu’on peut continuer de raconter de bonnes histoires, on peut être efficace, on peut être drôle, on peut être dramatique, on peut même être exporté ! Je ne suis pas sûr que dans ce que le public moyen recherche, il voit la différence dans ces centaines de milliers de dollars qu’il nous manque par épisode. Mais pour les observateurs un peu plus aguerris, ou qui recherchent une expérience plus esthétique, c’est sûr qu’on la voit, la différence.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Simon (Patrick Labbé), Claire (Macha Limonchik), Vincent (Normand Daneau), Jacques (Vincent Graton) et Marie (Julie McClemens), protagonistes de La vie, la vie

M. C. : Je voulais te parler de La vie, la vie parce que c’est son 20e anniversaire. Vingt ans, pour toi, c’est avant-hier ou ça fait longtemps ?

S. B. : Je n’ai jamais revu la série !

C’est un peu comme quand je regarde mon fils de 27 ans. Il est tellement grand, il a tellement sa vie que même si c’est mon fils, ce n’est plus mon enfant. C’est un gars que je connais très bien, parce que je l’ai entre autres élevé [rires]. La vie, la vie, c’est ça pour moi.

Stéphane Bourguignon, auteur et scénariste

Le fait que ce soit encore vivant, ça me rend très heureux et ça m’enchante. Et pour moi, et pour tous ceux qui ont travaillé là-dessus, et pour le public. C’est quelque chose qui nous rallie et qui nous émeut quand arrive un anniversaire. Je trouve ça très le fun, mais ça ne m’appartient plus. Ça appartient à tout le monde, et c’est parfait comme ça.

M. C. : Si tu tombais par hasard sur un épisode, tu aurais la curiosité de l’écouter, ou tu ne veux pas revoir la série parce que tu crains de trouver qu’elle a mal vieilli à certains égards ?

S. B. : C’est sûr que j’ai parfois une petite curiosité. Mon écriture a changé, je pense. Je travaille en ce moment sur un projet – dont je ne peux pas te parler –, et j’étais curieux de voir comment je réussissais à déployer dramatiquement certaines scènes de La vie, la vie. J’y ai pensé, tu sais. Je me revois dans le divan avec la télécommande dans les mains et le DVD pas loin, à hésiter. J’ai décidé de ne pas le regarder ! Mon souvenir de la série est très intérieur. C’est un moment très fort de ma vie. Il y avait une corrélation entre ma vie intime, ma vie professionnelle, ce que j’écrivais. Ça correspondait à ce qu’on était en train de faire tous ensemble. Ça m’a permis, comme c’était ma première série et que je partais à l’aventure vers l’inconnu, de travailler avec une sensation vraiment riche, précieuse et rare. Je sais que ce n’est pas un show parfait et que je grimacerais à certaines répliques que j’ai écrites…

M. C. : Tu préfères garder intact le souvenir de la création et du tournage…

S. B. : Oui, et aussi la joie et la réponse incroyable des gens. Tout ça, c’est important pour moi. Parce que je sais qu’il y a des choses que je préférerais que les gens ne voient plus [rires] !

M. C. : Tu comprends la résonance que cette série a encore, 20 ans plus tard ? C’était la première série québécoise dans laquelle bien des gens de ma génération avaient l’impression de se reconnaître de manière réaliste.

S. B. : Je l’accepte, mais je m’en étonne un peu, des fois. Il y a des choses dans cette série qui me dépassent. Je pense que l’émission avait esthétiquement une forme qui était très plaisante, dans le sens où on a trouvé dans le cinéma des procédés qu’on ne voyait pas à l’époque à la télé québécoise.

M. C. : Ça marquait une rupture pour bien des gens avec la télé de nos parents. Il y avait une modernité, à la fois dans l’esthétique et dans les thèmes abordés.

S. B. : Dans la façon de raconter, c’était différent. Je venais d’ailleurs. Je venais du roman. Je n’avais pas été nourri de télé québécoise, et c’était la même chose pour [le réalisateur] Patrice Sauvé.

On n’avait jamais fait de fiction traditionnelle. Ça nous a permis d’arriver avec un certain vent de fraîcheur, comme on ne savait pas ce qu’on faisait ! C’est la beauté de la chose qui ne se reproduit pas deux fois dans ta vie.

Stéphane Bourguignon, auteur et scénariste

Tu n’es pas alourdi par le passé, par les structures véhiculées avant toi. Tu es libre. J’ai aussi connu ça avec mon premier roman [L’avaleur de sable]. Ça permet aux gens de recevoir ce que tu proposes avec un nouvel enthousiasme. Parce que le geste est tellement spontané et ingénu, innocent, mais déterminé. À la fois une candeur et une grosse soif. Ça donne un mélange séduisant pour les gens.

M. C. : Aurais-tu le même rapport à cette série si tu n’avais pas connu d’autres succès par la suite ?

S. B. : J’ai la chance d’avoir eu L’avaleur de sable et La vie, la vie tôt dans ma carrière. On doute beaucoup, nous, les créateurs. C’est bon d’avoir eu un succès pour se rassurer, se rasseoir et se calmer, en se disant qu’on est capable d’écrire des choses correctes ! Mais il y a toujours un piège à ça, qui est de rester prisonnier de ce premier succès. Ça m’a forcé à faire des choses très différentes par la suite. Une comédie sans émotion comme Tout sur moi, puis un roman très sombre. C’était ma façon de me réapproprier ma liberté. Je ne voulais pas écrire en ayant l’impression d’avoir 800 000 spectateurs sur mes épaules à me demander : « Es-tu sûr ? » Après La vie, la vie, il y a eu un ressac. J’ai mis du temps à faire autre chose parce qu’on me ramenait constamment à ça.

M. C. : Même 20 ans plus tard, Stéphane ! [Rires]

S. B. : Ben oui ! Lâchez-moi avec ça ! [Rires] J’ai décidé d’arrêter la série parce que je ne voyais pas comment je pourrais écrire 13 autres épisodes. J’avais l’impression d’avoir tout dit. Avec le recul, je ne suis plus sûr de ça. C’est surtout que la pression était devenue trop forte, que les attentes étaient grandes et que je n’avais pas le goût d’aller gâcher tout ça avec la saison de trop. Je préférais que les gens s’en ennuient, et c’est ce qui est arrivé !