Une décennie après avoir touché la France presque entière dans Intouchables, Omar Sy défend sur Netflix une version revue et corrigée d’Arsène Lupin, le plus célèbre des gentlemen cambrioleurs. La Presse s’est entretenue avec l’acteur français, qui cultive à Los Angeles sa carrière hollywoodienne.

Le projet Lupin est né d’une question du producteur français Gaumont Télévision. De ces questions réservées à une poignée d’acteurs : Omar, qu’aimerais-tu jouer ? « Si j’avais été anglais, j’aurais dit James Bond. Mais comme je suis français, j’ai dit Arsène Lupin », explique Omar Sy, capté sur Zoom à Paris, où il fait la promotion de la série Netflix imaginée par George Kay (Criminal) et François Uzan.

Le gentleman cambrioleur de Maurice Leblanc, transformiste « toujours à l’enfume », est un « véhicule parfait », s’enthousiasme l’acteur établi à Los Angeles depuis 2012. « Un personnage avec lequel on peut traverser du drame, du vrai, du mélo, de la romance, de la tragédie, de l’action. Tout est possible. »

PHOTO EMMANUEL GUIMIER, FOURNIE PAR NETFLIX

Omar Sy dans Lupin

Tout semble en effet possible pour Assane Diop, protagoniste qui est à la fois un alter ego moderne et un admirateur invétéré d’Arsène Lupin. Au fil de péripéties plus ou moins plausibles, l’antihéros souhaite venger la mort de son père, poussé au suicide après avoir été faussement condamné pour le vol d’un collier inestimable ayant appartenu à Marie-Antoinette.

Les lupinophiles reconnaîtront dans l’intrigue une adaptation moderne du Collier de la reine, publié en 1907.

Au goût du jour

Dans un Paris grandiose et bien de son temps, cet énigmatique Diop emprunte au personnage de Maurice Leblanc « l’art et la manière », mais troque le célèbre binocle et le haut-de-forme contre les caméras-espions et les bonnets.

Le scénario est à l’avenant : le personnage d’Omar Sy n’hésite pas à escroquer un enquêteur grâce à des hypertrucaques (deepfakes) ou à commander une tonne de « burgers à point, sans oignons » pour ensuite s’éclipser dans un contingent de livreurs à vélo de Déli Eat.

En toile de fond d’une intrigue pétaradante, des enjeux plus sérieux : la paternité — Omar Sy a lui-même cinq enfants —, le harcèlement et le profilage racial.

L’action, le côté ludique, fun, on adore ça et on l’a fait pour ça. Mais en même temps, il y avait cette exigence, de la part de tout le monde, de faire quelque chose de populaire avec un propos intéressant, de pas totalement léger.

Omar Sy

« Tout le monde », ce sont les concepteurs, le réalisateur Louis Leterrier — qui a lui aussi un pied dans le cinéma américain ¿ et des acteurs chevronnés comme Ludivine Sagnier, Nicole Garcia et Hervé Pierre. « Ce n’est que des grands acteurs français, lance Omar Sy. On a été rejoints par du très, très lourd. On avait cette envie-là de présenter — oui, c’est un peu prétentieux — un best of français. »

PHOTO EMMANUEL GUIMIER, FOURNIE PAR NETLFIX

Omar Sy et Ludivine Sagnier dans Lupin

Omar Sy mise-t-il sur un important premier rôle hexagonal pour attirer davantage l’attention d’Hollywood, où il enfile des rôles modestes (X-Men, Jurassic World, Inferno) depuis 2012 ? « Il n’y a pas de mise. Je ne suis pas au casino, je suis tranquille. Je fais les choses comme elles viennent. Il n’y a pas d’espérance [dans ce sens-là]. La volonté, c’était de s’offrir une belle récréation. »

En investissant dans l’« ambitieuse » série Lupin, en partie tournée en pleine pandémie, Netflix espère que, enfin, une production française trouve son chemin jusqu’à son auditoire international de 195 millions d’abonnés. Le projet, admet Omar Sy, contient une part de chauvinisme. « On voulait montrer qu’en France, on a les acteurs, les réalisateurs, les techniciens, les décors et les histoires pour faire de grandes choses. » De grandes choses « qui s’exportent », ajoute-t-il.

Rien de personnel

Rieur, expressif, frontal, Omar Sy en a long à dire lorsqu’il aborde quelques critiques émises dans l’Hexagone sur le recours à un acteur noir, issu de l’immigration, pour défendre un Lupin contemporain. « En le jouant, c’est une donnée que je ne pouvais pas exclure, commence-t-il par dire. Il y avait quelque chose pour moi d’assez naturel et organique. »

Emporté par ses propres observations, l’acteur adopte un ton plus sérieux. « Ce qui me surprend, c’est la réaction en face, que ça surprenne tellement que Lupin puisse avoir ce visage-là aujourd’hui. Moi, mon Lupin, il ressemble à ça, mais je reste dans le cadre. Je suis désolé, je reste dans le cadre. »

Je pense que Maurice Leblanc serait très content de ce Lupin-là. J’ai respecté la charte. Ce qui m’étonne, c’est la surprise des autres.

Omar Sy

Omar Sy s’arrête, se retient lui-même, inquiet de trop en dire. Avant l’entrevue, les journalistes ont été bien avisés : pas de questions personnelles.

Dommage, il y aurait eu là un terreau grand comme trois pays.

Le Sénégal de son père peul, qu’il a arpenté en 2018 pour le road movie Yao.

Les États-Unis, où il a pris pays et pancarte au nom du mouvement Black Lives Matter.

Puis la France de sa naissance, qu’il aime et qui l’aime malgré l’éloignement. L’acteur qui a grandi à Trappes, en banlieue parisienne, figure au deuxième rang des personnalités préférées des Français, selon le palmarès 2020 du Journal du dimanche.

Un peu à l’image d’Arsène Lupin, Omar Sy embrasse des identités complexes sans jamais vouloir se révéler totalement. « Lupin, c’est personne et c’est tout le monde à la fois, acquiesce-t-il. Bien sûr que je suis multiple, mais j’espère que vous l’êtes aussi. Tout le monde l’est. »

PHOTO FOURNIE PAR TWENTIETH CENTURY FOX

Omar Sy dans L’appel de la forêt

Bientôt dans un film québécois ?

Fait cocasse : à deux reprises, Omar Sy a prêté ses traits à un personnage québécois. Ce fut le cas récemment au côté d’Harrison Ford dans L’appel de la forêt, film sur la quête d’un prospecteur d’or au Yukon. « J’ai du respect pour mes cousins québécois, alors je n’ai pas voulu faire l’accent », dit-il. En revanche, dans Safari, en 2009, l’acteur s’est risqué à quelques « capoté » et « en masse », intonations risibles à l’appui. « Je suis désolé ! » Bercé tout comme lui par les cultures française et américaine, le Québec ne serait-il pas un terrain de jeu intéressant pour un prochain projet ? Sa réponse se veut aussi un message aux réalisateurs d’ici : « Dites-leur que je suis partant. »

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