Deux fois par mois, La Presse convie des créateurs de l’industrie audiovisuelle à nous parler de leur métier. Et aussi des défis de la création télévisuelle à l’ère des nouvelles plateformes. Aujourd’hui, nous discutons avec la comédienne et scénariste Florence Longpré.

La tête d’affiche de la nouvelle série Audrey est revenue a gagné le cœur du grand public en jouant la désopilante Gaby Gravel dans Like-moi ! Or, Florence Longpré est aussi une scénariste aux mille projets pour la télé, le théâtre et le cinéma. Elle vient de terminer une comédie dramatique, réalisée par Philippe Falardeau, sur les travailleurs saisonniers et les enjeux du monde agricole au Québec, intitulée Le temps des framboises. Elle peaufine aussi le scénario de son premier film, coécrit avec sa complice de M’entends-tu ? Pascale Renaud-Hébert. De plus, l’actrice fera partie de la distribution de La confrérie, qui sera en ondes sur Noovo en janvier.

Q. Vous êtes d’abord actrice. L’écriture est arrivée assez tard, en 2012, au théâtre, avec la pièce Chlore, écrite à la demande de vos amis interprètes Debbie Lynch-White et Samuel Côté. Aujourd’hui, votre nom apparaît au générique de plusieurs séries. Est-ce que l’auteure est en train de prendre le dessus ?

R. Non. Comédienne, c’est un métier extraordinaire ! Mais tu dépends énormément des autres pour travailler. Écrire, je peux faire ça seule chez nous, dans un café, n’importe où. J’ai écrit M’entends-tu ? sur mon téléphone, parmi les poules (!), sur le tournage des Pays d’en haut.

Q. Vos textes pour la télé sont cosignés. Vous avez collaboré avec Pascale Renaud-Hébert, Guillaume Lambert, Suzie Bouchard. Pourquoi toujours écrire à quatre mains ?

R. D’abord, parce que toute seule, je ne pourrais pas mener autant de projets à la fois. Ensuite, parce que je trouve l’industrie de la télé très tough. On doit mener beaucoup de batailles comme scénariste. Je me sens plus en confiance pour mener ces combats à deux.

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Florence Longpré et Mélissa Bédard dans M’entends-tu ?

Q. Quels types de combats ?

R. Toutes sortes d’affaires. Ça peut concerner la mise en marché ou l’affiche d’une série comme les sujets, la structure des épisodes, la progression dramatique… Mes séries ont du succès. Les gens aiment ce que je fais. Ça ne m’empêche pas d’avoir à défendre mes idées. Pour moi, ce que j’écris est assez accessible au grand public, pas très niché. Or, parfois, je sens que mes textes font peur aux décideurs.

Q. C’est peut-être parce que vos séries présentent un univers original. Un Québec en marge, qu’on voit peu sur nos écrans, tant du côté du décor, des lieux que du côté des personnages. D’où vient cet intérêt pour les laissés-pour-compte de la société ?

R. Je ne sais pas d’où me vient cette fascination pour ces gens. Je les trouve beaux, intéressants. Déjà dans ma première pièce, Chlore, je parlais d’une fille tétraplégique, sans voix, qui vit recluse dans le sous-sol de sa maison. Dans ma deuxième, du spectre de l’autisme. Ce sont des univers riches émotionnellement, philosophiquement, dramatiquement.

Q. C’est important de montrer la lumière à travers la faille, la fleur dans le fumier, l’espoir par-delà le drame ?

R. Je déteste le cynisme ! Je crois qu’on peut arriver à briser la chaîne de la misère humaine. La toxicomanie, la violence, la délinquance, c’est un engrenage. Qu’est-ce qui fait qu’on s’en sort, qu’on débarque de cet engrenage ? La réponse est souvent dans une rencontre, un évènement, la découverte d’une passion. La graine qui changera la donne dans une vie.

Q. Dans votre cas, c’est la rencontre avec Marc Brunet pour Like-moi ! Vous avez dit que le rôle de Gaby Gravel avait changé la vie de la comédienne, mais il a aussi donné des ailes à la scénariste…

R. Marc Brunet est un grand auteur. J’ai tellement appris de lui, en répétant ses textes. Ils ont développé mon oreille. Maintenant, quand j’écris de la comédie, je le sais si une scène est drôle ou pas. Je l’entends en l’écrivant. C’est comme des notes de musique.

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Denis Bouchard et Florence Longpré dans Audrey est revenue

Q. Le succès vous a donc donné une légitimité pour écrire ?

R. Je ne veux pas avoir l’air prétentieuse, mais j’ai environ 14 bonnes idées par semaine. Ça « pop » constamment dans ma tête ! Et les idées qui me hantent durant des mois, je les pousse à fond. Comme j’ai plusieurs projets de front, j’essaie de consacrer une journée à un seul projet, puis le lendemain, à un autre. Sinon, c’est dur pour le cerveau.

Q. Il y a beaucoup de tiroirs dans votre tête ?

R. En effet, et ce n’est pas toujours facile au quotidien. Par chance, quand je suis sur le bord du surmenage, que je me réveille au milieu de la nuit, mon chum me dit de faire attention et d’aller me reposer au chalet… Pour fermer mes tiroirs.

Q. Est-ce qu’une autre de vos priorités est de montrer la diversité à la télé ?

R. Oui, c’est important, et pas juste la diversité culturelle. Une diversité de couleurs, d’âge, d’interprètes, de visages, de cheveux…

Q. Cette année, on assiste à un retour du balancier dans le milieu du cinéma. Une grande majorité de projets subventionnés sont réalisés par des femmes. La représentation des femmes à l’écran, est-ce une lutte que vous menez aussi ?

R. Pour moi, être féministe, ce n’est pas un combat ni une guerre des sexes. C’est correct, réjouissant, de voir plus de projets de femmes acceptés en 2021. Il faut rattraper le retard. Mais il faut aussi de la mixité. J’ai travaillé avec Guillaume Lonergan, Nicolas Michon, Guillaume Lambert, Philippe Falardeau… Ce sont tous des gars qui savent porter les récits des femmes, qui nous traitent avec beaucoup de respect dans le travail, sur les plateaux. Ils sont aussi féministes. Il faut des hommes au centre de nos histoires. Dans M’entends-tu ?, je voulais que [le personnage] de Mehdi Bousaidan soit le pivot de la finale du dernier épisode ; pour ne pas juste montrer ce qui va arriver aux filles. On ne s’en sortira pas si on n’est pas tous ensemble.

Cette entrevue a été éditée par souci de concision.

M’entends-tu ? est offerte sur Netflix (les deux premières saisons) et sur le site de Télé-Québec.
Audrey est revenue est offerte depuis le 18 novembre sur le Club illico.
Le temps des framboises sera diffusée sur le Club illico, à partir du 14 avril 2022.