Une personne sur deux se représente seule devant les tribunaux. Pourquoi ? C’est ce que tente de comprendre Pierre Craig qui, cinq ans après avoir quitté La facture, revient au petit écran avec Le procès, un documentaire sur le système de justice qui serait inaccessible, inéquitable et conçu pour renforcer la loi du plus fort.

Après 13 ans à l’animation de La facture, vous auriez pu tourner la page sur le thème des injustices. Pourquoi continuer de mettre en lumière les failles de la société ?

L’équipe de l’émission a reçu environ 250 000 appels à la justice en 20 ans. Ces gens-là s’adressent à nous parce qu’ils ne sont pas reçus, entendus et acceptés par les cours de justice. Selon ce que j’ai pu observer, la plupart de ces histoires individuelles ont un point en commun : elles se heurtent au mur séparant les citoyens de notre système de justice. Comme Daniel Weinstock le dit dans le documentaire : « Si le système de justice ne sert qu’aux riches et aux puissants, sa fonction devient alors inutile, car il ne sert dans ce cas qu’à confirmer la loi du plus fort. » Je ne peux pas accepter ça.

Quel est le principal enjeu de l’autoreprésentation, outre le défi de comprendre des lois complexes pour des personnes non formées en droit, le risque de faire des erreurs et la difficulté de composer avec les procédures mises en place par des avocats professionnels ?

L’autoreprésentation se vit dans un contexte où le Barreau du Québec exerce un monopole de l’acte juridique, ce qui fait en sorte que les gens qui se représentent seuls n’ont accès, concrètement, à aucune aide réelle. Les centres de justice de proximité sont des institutions extraordinaires, mais ils n’ont pas les moyens de faire ce qu’ils voudraient. Dès leur création, il y a une décennie, le Barreau ne voulait pas voir d’avocats là-dedans, mais plutôt des agents gouvernementaux d’information pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de conseils juridiques donnés. C’est un gros problème.

En regardant le documentaire, on comprend que les grands bureaux d’avocats ont une énorme influence sur le Barreau et que ce dernier s’oppose à des initiatives pouvant aider les citoyens à mieux naviguer dans le système de justice et à des remises en question de la tarification. Comment pensez-vous que le Barreau va réagir ?

Le Barreau peut faire deux choses : éteindre le feu et continuer ses activités comme avant ou saisir l’occasion pour se poser des questions. Par exemple, dans un rapport du Barreau publié en 2011, le comité affirmait que la tarification horaire ne correspondait plus à la réalité socioéconomique du Québec. J’ai aussi appris que le bâtonnier de l’époque s’était fait huer quand il avait proposé d’en discuter. Cela dit, j’ai parlé avec assez d’avocats pour savoir que plusieurs d’entre eux sont plus progressistes qu’on le pense.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Paul-Matthieu Grondin, ex-bâtonnier du Québec

Si on analyse le non-verbal de Paul-Matthieu Grondin — bâtonnier de 2017 à mai 2021 — durant votre entrevue, on peut avoir l’impression d’un grand malaise chez lui. Qu’est-ce que ça dit à vos yeux ?

Et s’il était un bâtonnier qui voulait amener le Barreau beaucoup plus loin en matière d’accès à la justice, mais qu’il s’était fait bloquer ? Et s’il était mal à l’aise de défendre une chose qu’il n’avait pas vraiment eu envie de défendre ? Je ne fais qu’émettre l’hypothèse, parce qu’on ne peut pas faire de procès d’intention. Beaucoup de personnes vont le critiquer après avoir regardé le documentaire, mais il a peut-être été, dans son langage non verbal, relativement honnête à l’écran.

Vous donnez la parole à des intervenants de haut calibre, comme Claire L’Heureux-Dubé, qui a été juge à la Cour suprême, et Richard Wagner, actuellement juge en chef. Pourquoi leur participation est-elle importante ?

J’appuie le documentaire sur des juristes, et non sur des journalistes ou des militants. En 2013, les juristes les plus éminents du pays ont rédigé un rapport concluant que le système était inaccessible pour énormément de gens et qu’on était incapable d’y remédier comme il le faut. La même année, l’Association du Barreau a conclu que le système de justice était trop mal en point pour qu’une réparation de fortune puisse suffire. Qu’il y avait trop de personnes laissées pour compte. Que les coûts étaient inacceptables. Et que l’injustice était trop profondément ancrée dans la structure même du système pour que des réformes à la pièce puissent changer grand-chose. Le problème fondamental est le mur de l’argent.

Le procès sera diffusé le mercredi 29 septembre à 20 h sur les ondes de Télé-Québec.