Rock et Belles Oreilles (RBO) célèbre ces jours-ci ses 40 ans d’existence. Si le mythique groupe faisait toujours des sketches aujourd’hui, il s’en permettrait tout autant, selon Guy A. Lepage.

Marc Cassivi : Il y a 30 ou 40 ans, RBO suscitait déjà la controverse avec toutes sortes de sketches. Est-ce que vous pourriez pratiquer le même genre d’humour aujourd’hui, malgré la réponse immédiate des réseaux sociaux ? Sauriez-vous soutenir cette pression-là ?

Guy A. Lepage : Marc, on vargerait là-dedans ! Autant dans les conspirationnistes que dans les microagressés. Les deux m’énervent profondément. Ce ne serait pas gentil. Depuis quelque temps, on nous demande si on aurait fait tel ou tel sketch en 2021. Quelle mauvaise question ! On n’aurait pas fait ce sketch-là parce qu’il n’aurait pas été d’actualité. Faire Super Jésus en 1985, quand il y avait encore un fond religieux au Québec et qu’on prenait des congés de quatre jours pour aller à l’église, ça punchait. Mais un sketch de Jésus en 2021, qu’est-ce que tu veux que ça nous câlice ? Ça n’a aucun intérêt. Personne ne va vouloir m’excommunier parce que je fais Jésus alors qu’en 1987 ou 1988, on a eu une alerte à la bombe au Nouveau-Brunswick parce que je l’imitais. Ce sont de mauvaises questions.

M. C. : En même temps, à la mi-mai 2021, votre fameux sketch Anti-Palestine est tout aussi pertinent et potentiellement controversé…

G. A. L. : Le sketch n’a pas vieilli d’un poil, ce qui est extrêmement déprimant. Pour les Palestiniens qui n’ont pas leurs maisons, pour les Israéliens modérés qui veulent trouver une forme de cohabitation, pour les gens pacifiques qui habitent ce petit coin de terre que tout le monde revendique, qui veulent élever leur famille et avoir des rapports cordiaux avec leurs voisins de n’importe quelle allégeance. C’est d’une tristesse sans nom que ces gens-là soient pris en otages par les extrémistes de chaque côté. Agnès Gruda l’a bien expliqué dimanche [le 16 mai à Tout le monde en parle]. Ce ne sont pas les Juifs, mais l’État d’Israël. Ce ne sont pas les Palestiniens, mais le Hamas. C’était ça quand on a fait Anti-Palestine à l’époque. Les noms ont changé, mais c’est la même affaire. C’est un des très grands sketches de RBO. Je suis bien content d’y être associé.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

RBO en 1989

M. C. : Il reste qu’il y a des sketches hilarants, comme Le hockey des aveugles, avec les Cataractes de Shawinigan et les Glaucomes de Saint-Léonard, qui passeraient moins bien aujourd’hui, c’est certain. Il y en a qui diraient que c’est du capacitisme…

G. A. L. : Récemment, quelqu’un m’a demandé comment je réagissais par rapport aux jeunes qui se sentent constamment microagressés. Je m’en micro-câlice ! Vraiment. Ça ne m’intéresse pas pantoute. De vrais drames, il y en a tellement. De vraies agressions, de vraies injustices qui nous sautent dans la face. Quand ce sont des microagressions de gens qui n’aiment pas la façon dont tu es assis dans un autobus, qui n’aiment pas la façon dont tu les regardes ou dont tu portes ton chapeau, c’est du crisse de niaisage. Je n’ai pas de temps utile à perdre avec ça. Si j’écrivais des sketches de RBO, je vargerais là-dedans à grands coups de batte. Mais ça se pourrait qu’on ne renouvelle pas notre jeune public, disons… Ça peut arriver. Ils ont le droit de ne pas aimer ça. Je paraphrase Ricky Gervais : tu as le droit de dire ce que tu veux. L’autre peut y réagir en disant qu’il aime ça ou pas, qu’il est d’accord ou pas, qu’il se sent agressé ou pas. À ça, tu as le droit de répondre : « Je comprends, je vais faire attention puisque je t’ai blessé » ou « Je m’en câlice et je continue pareil ». Je fonctionne beaucoup comme ça.

M. C. : Avec tout le monde ?

G. A. L. : C’est sûr que si je me retrouve devant un individu, tout seul, qui ne représente rien d’autre que lui-même, et qui me dit : « Cette chose-là me fait de la peine », et que j’aime cette personne, je vais faire plus attention. Mais c’est du cas par cas. Si je trouve qu’elle a de la peine pour rien et que ce n’est vraiment pas important à mes yeux, je n’en tiendrai pas compte. Comme à peu près tout le monde le fait, d’ailleurs. Sauf que maintenant, on est obligés d’expliquer ça !

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

RBO en 1992

M. C. : Mais y a-t-il une part de toi qui est plus sensible à certaines doléances ? Je le remarque de mon côté. Lorsqu’il y a eu tout le débat sur le blackface, je défendais le fait que l’on ne peut juger avec nos yeux d’aujourd’hui ce qui semblait acceptable il y a 15 ou 20 ans. Saturday Night Live faisait du blackface, aux États-Unis, il y a à peine 10 ans. Une militante me l’a reproché avec beaucoup d’insistance. Je trouvais ça injuste, mais je me demande si elle n’avait pas raison…

G. A. L. : Elle a eu tort, entre guillemets, de t’empêcher de la rejoindre. Si je fais 80 % du chemin vers toi, en reconnaissant que je comprends ton point de vue, et que tu me réponds que ce n’est pas assez, que je devrais avoir honte de penser ce que je pense, c’est que tu ne sais pas faire la différence entre tes alliés et tes ennemis. Le fameux mot en « n », que je ne pense pas avoir utilisé une seule fois dans ma vie comme une insulte, je comprends, avec tout ce qu’il sous-entend, qu’on ne le dit pas pour le fun. Mais moi, on ne peut pas m’empêcher de le dire en nommant le roman de Dany Laferrière, ou dans un cadre universitaire. Je regarde une série sur Robert Kennedy et Martin Luther King et on le dit 400 fois. Ça représente l’histoire. Il faut savoir d’où on est partis pour être aujourd’hui dans une société, disons, qui a évolué. Cibole ! Nier l’histoire, faire du « cancel culture », nier les camps nazis, nier l’Holocauste, nier le blackface, nier tout ça, ça n’a pas d’allure. Tu ne peux pas avancer. Les mêmes erreurs vont se refaire de génération en génération. Si Dany Laferrière vient à Tout le monde en parle, je vais nommer son livre sans aucune vergogne.

M. C. : Je pense que c’est aussi là que je trace la ligne. Mais je te dirais, après y avoir réfléchi, notamment avec mon fils de 17 ans, que je n’écrirai plus le mot en « n », sauf si c’est le titre d’une œuvre.

G. A. L. : Un jour, ces jeunes auront le pouvoir, ils seront nos parlementaires, ils dirigeront la société, avec leur dynamique… appelons ça, de microsensibilité. Ils ont le droit et c’est parfait. Nous, on a à apprendre de ça quand on trouve effectivement qu’on a été un peu Gros-Jean comme devant. Mais on ne va pas nier l’ensemble de notre existence, d’où on vient et ce qu’on a fait parce qu’on fait de la peine à des gens qui n’étaient même pas au monde il y a 20 ans.

M. C. : Il y a à peine un an, j’aurais écrit le mot en « n » pour dire qu’il apparaît dans une œuvre à X reprises. Je ne le ferai plus. Maintenant, j’écris « mot en n ». Il y a des compromis à faire. On y trouve chacun une logique.

G. A. L. : Je le comprends. Je ferais peut-être comme toi si j’avais à le faire. Sauf pour le titre ! Quand on sait que ça fait de la peine à quelqu’un qu’on considère, on fait attention. Je me souviens, dans RBO, on en faisait, du blackface. Évidemment, avec l’innocence de Québécois blancs qui habitent à Montréal et ne vivent pas dans un pays aussi raciste et en confrontation que les États-Unis. Il faut faire cette différence-là aussi. Quand on faisait Kool and the Gang et Shirriff les bonnes patates, on ne faisait pas des blagues de Noirs, mais des blagues de patates en poudre. Si ç’avait été un Ukrainien qui chantait la toune, ou Simply Red, on aurait aussi imité le chanteur. On a imité le chanteur de Kool and the Gang parce que c’était sa chanson. Ce n’était pas un gag sur le racisme ! J’ai imité Michael Jackson, j’ai imité des drags, des transgenres, des lesbiennes, des gens d’à peu près toutes les origines. Ça faisait partie de ce qu’on a fait. Est-ce que je me redéguiserais pour le fun, en imitant de façon grossière quelqu’un qui vient de l’Europe de l’Est, d’un pays qu’on ne peut même pas déterminer parce qu’on l’a inventé ? Probablement pas. Est-ce que je m’empêcherais de faire de vrais gags sur de vraies personnes qui ont fait de vraies niaiseries, de quelque origine qu’elles soient ? Pantoute !

À l’occasion des 40 ans de RBO, Noovo diffusera une émission spéciale d’une heure rassemblant 40 moments marquants de l’histoire du groupe, lundi prochain à 21 h, à la télé et sur le site Noovo.ca. RBO – Top 40 sera offerte sur Crave le même jour, dès 22 h.