Une 17e saison tourmentée se termine ce dimanche pour Tout le monde en parle, émission phare de Radio-Canada qui a perdu son fou du roi, Dany Turcotte, et se conclut alors que l’un de ses coproducteurs chez Avanti, Luc Wiseman, a été arrêté pour agression sexuelle sur une personne mineure et production de pornographie juvénile, notamment. Entrevue bilan avec l’animateur Guy A. Lepage (réalisée pour l’essentiel avant l’arrestation de M. Wiseman).

Marc Cassivi : Je voulais te parler du bilan que tu fais de cette saison très particulière de Tout le monde en parle, qui se termine avec des accusations graves contre ton ex-coproducteur, Luc Wiseman. Te sens-tu trahi par lui ?

Guy A. Lepage : Oui, je me sens trahi. Mais ce n’est pas ça l’important. Wiseman n’a jamais participé à aucune décision de Tout le monde en parle. Il n’a aucune importance dans ce projet. On l’a kické out. Guillaume Lespérance [son coproducteur] et moi, on va gérer la marde. Mais cette histoire me dégoûte et je pense sans arrêt à la jeune victime alléguée. Elle a tout mon appui et toute ma compassion. Je salue son courage. Ensuite, je pense aux employés d’Avanti. Dévastés et incertains de leur avenir. Ils n’ont rien à voir dans cette histoire. Tout comme les employés de Juste pour rire et de Salvail à l’époque. Des victimes collatérales. Des dizaines de vies brisées. C’est épouvantable. Si j’étais plus jeune, j’ajouterais une émoticône de bonhomme qui vomit.

M. C. : Pour revenir à l’émission, vois-tu toujours autant d’avantages au direct ?

G. A. L. : En temps de pandémie, le direct devient essentiel parce que l’actualité bouge au quart de seconde. Pour moi, comme animateur, c’est super le fun. Mais comme producteur, ça m’oblige à limiter mes choix d’invités, parce qu’il y a des invités qui ne se ramassent pas, qui prennent du temps avant de répondre ou qui s’éparpillent. Au montage, je pouvais ramener ça à l’essentiel. Ce que je ne peux plus faire.

M. C. : Ça prend des invités qui « pitchent », comme on dit dans le jargon…

G. A. L. : L’entrevue dure 15 minutes. Ce n’est plus un 30 minutes que je peux réduire de moitié en montage par la suite. Je ne peux plus me permettre d’essayer des choses, d’aller ailleurs au hasard. On n’a pas de temps pour ça. Et comme je n’ai évidemment pas le contrôle sur les invités qui restent, je ne sais pas ce qu’ils vont dire. Des fois, ils prennent un temps infini qui devrait être alloué aux autres. Guillaume Lemay-Thivierge qui parle pendant six minutes à la place d’Éric Duhaime, ce n’est pas l’idée du siècle. En montage, j’aurais câlicé ça aux vidanges. J’étais vraiment en tabarnak ! Je n’ai pas pu finir mon entrevue. Il était bien content, Duhaime, de s’en aller en sachant que je n’avais pas eu le temps de poser les trois ou quatre questions les plus difficiles. Mais les avantages du direct sont réels. C’est comme une « nouvelle émission » qu’on fait tous ensemble. J’ai beaucoup de plaisir à faire ça, mais c’est aussi une grosse responsabilité. Il ne faut vraiment pas que je me trompe.

M. C. : Vous serez de retour en direct, avec ou sans public ?

G. A. L. : Je ne sais pas si le public sera de retour en septembre, mais je n’aime pas les demi-publics. C’est comme si venir voir ton émission n’intéressait pas assez les gens. Il n’y a rien de pire que trois ou quatre personnes éparpillées sur des bancs vides. Mon choix personnel, ce serait en direct avec un public complet. Ce serait le fun pour les coanimateurs invités. Il y aurait des réactions spontanées à leurs gags. Des fois, ils ont une super bonne répartie et il n’y a que moi qui réagis parce que l’invité ne trouve pas ça drôle ! J’ai hâte qu’il y ait du monde.

M. C. : Tu parles des coanimateurs. Est-ce qu’il y a déjà une décision prise pour remplacer Dany Turcotte la saison prochaine ?

G. A. L. : La décision n’est pas prise, mais il y a vraiment des personnes qui m’ont impressionné. Anaïs [Favron] est tellement frondeuse. Elle a un front de bœuf et se contre-câlice des réactions du monde. J’adore ça. C’est un peu mon tempérament. Alexandre Barrette m’a bien fait rire. Il a beaucoup de rythme, à contretemps. Il déstabilise avec la façon dont il parle. J’adore ça. En même temps, je me demande si je ne devrais pas me payer la traite de temps en temps et inviter quelqu’un pour une seule émission, comme Louis [Morissette] dimanche [le 16 mai], juste pour s’amuser ; un ami avec qui je m’entends très bien. Guillaume [Lespérance, coproducteur de l’émission] et moi, on réfléchit à ça.

M. C. : Quel regard poses-tu aujourd’hui sur le départ de Dany ? Tu en as parlé à chaud quand c’est arrivé. Tu avais l’air plus ou moins surpris. Avec quelques mois de recul, tu en penses quoi ?

G. A. L. : Pour moi, la priorité a toujours été comment se sentait Dany. Tout être humain a le droit de dire, dans une relation amoureuse ou professionnelle, qu’il a fait le tour du jardin, qu’il en a assez, qu’il n’est plus heureux, plus malheureux qu’heureux, ou que ça l’empêche de dormir. Dany était dans cette situation-là. C’est quelqu’un de très sensible, qui est accro aux réseaux sociaux, et qui est incapable de ne pas aller voir ce qui lui ferait mal. Il a le grand privilège de pouvoir quitter son emploi. Pour moi, il a pris la décision en toute liberté. C’est un peu comme un joueur de hockey qui prend sa retraite. Tu as beau lui dire qu’il pourrait jouer un an de plus, s’il est tanné de jouer au hockey, c’est le temps de partir. Dany était tanné de jouer au hockey. Ça m’a fait beaucoup de peine, mais j’ai continué à coacher le club avec un joueur en moins. Au début, je me suis dit que je finirais la saison seul, mais je me suis rendu compte qu’après avoir parlé d’un sujet dur, je n’avais personne avec qui ventiler. J’aurais pu continuer comme ça, mais je préfère avoir quelqu’un avec moi.

M. C. : Tu parles du rapport de Dany aux réseaux sociaux. Ton #jemencâlice [des trolls] a fait bien jaser, il y a deux semaines. Tu t’en « câlices » à quel point et depuis quand ?

G. A. L. : Ça ne me faisait rien même au début, Marc ! Moi, je ne suis pas un politicien. Je travaille pour les gens qui ont voté pour moi. Ceux qui n’ont pas voté pour moi et qui ne sont pas contents, qu’ils changent de poste. Tout le monde en parle a un fanbase de 1 à 1,3 million de personnes, encore après 17 ans. RBO a un énorme fanbase, Un gars, une fille aussi. J’ai toujours eu un énorme fanbase. Je reconnais aux gens le droit de ne pas m’aimer et de ne pas aimer ce que je fais. C’est leur droit le plus total. Mais à partir du moment où tu veux m’insulter et que tu n’as même pas la décence de mettre ton nom et ta photo, pour moi, t’es un étron. T’es personne. Tu n’existes pas. Ça ne perturbe pas le travail que je fais. Jamais, jamais. Ça ne m’atteint pas. Pas plus les conspirationnistes que les extrêmement woke qui t’expliquent que chaque mot que tu dis, t’as pas le droit de le dire.

M. C. : Je vois que tu en lis quand même, parce que parfois, tu réponds sur Twitter. Mais ça ne te dérange pas…

G. A. L. : Vraiment pas. Ce qui me dérangeait au début de Tout le monde en parle, c’est quand on m’accusait d’être malhonnête dans les entrevues. Ça me fâchait parce que c’est notre intégrité professionnelle qui est en jeu et j’avais peur que si on écrivait ou qu’on disait ça, certains décident de ne pas venir à l’émission. Au fil des années, on a tellement fait d’entrevues avec des gens dont je ne partage absolument pas les opinions, mais qui voyaient que ce qu’ils avaient dit d’intéressant était conservé au montage, que le mot s’est passé que je ne backstabbais personne. Quand cette réputation a été établie, je n’ai plus eu à défendre notre intégrité. Si vous n’êtes pas contents, regardez autre chose.

M. C. : Quand tu invites Maripier Morin, tu sais sans doute, d’expérience, que ça va faire réagir. Quand tu as lu la lettre de Safia Nolin, qui te reprochait de l’avoir invitée, comment as-tu réagi ? Tu es soucieux que Safia Nolin puisse en être blessée ?

G. A. L. : Oui, je comprends ça. Et je lui ai répondu poliment dans une courte lettre. Maripier Morin, on ne l’a pas invitée parce qu’elle est cute ou parce que c’est moins grave quand c’est une fille qu’un gars. On l’a invitée parce qu’il y a déjà trois producteurs qui la font travailler et qu’elle était nommée dans un gala du public [la soirée Artis]. Elle travaille autant que moi, Maripier, en ce moment ! Donc, tout le monde en parle… Quand est sortie l’enquête de La Presse, on s’est dit, Guillaume et moi, qu’on l’inviterait si les accusations étaient du même type et dataient de la même époque que ce qu’on connaissait déjà. Si ç’avait été autre chose, on ne l’aurait pas invitée. Je ne cautionne pas les 4500 invités que j’ai reçus à Tout le monde en parle. Il n’y a aucune des questions que j’ai posées à Maripier que j’aurais aimé qu’on me pose dans ma vie. Ce n’est pas nous qui avons décidé que tout le monde en parlait. Et puis, il faut donner la chance au coureur. Elle n’a tué personne. Elle est en cheminement. Selon moi, son cheminement ne fait que commencer. Elle est loin d’être arrivée et je pense qu’elle le sait. Mais je n’en sais pas davantage. Je ne suis pas un psychologue et je ne suis surtout pas son psychologue.

M. C. : C’est la dernière émission de la 17saison de Tout le monde en parle dimanche. Tu vas te rendre à 20, à 30 saisons ? Vois-tu la fin ?

G. A. L. : Quelqu’un m’a dit récemment : « Lepage, Tout le monde en parle, ça va finir bientôt ? » J’ai répondu : « Je te confirme que tu as raison. On a dépassé la moitié ! » Il en reste moins devant que derrière. Un jour, ça va s’arrêter, en effet. [Rires]