Si nous étions aux États-Unis, ça ferait longtemps que le clown Patof, qui a amusé les téléspectateurs petits et grands à Télé-Métropole dans les années 1970, aurait eu son documentaire. Mais au Québec, il faut vraiment des gens dévoués pour se lancer dans ce genre de projet, et sans Serge Desrosiers, neveu de Jacques Desrosiers, qui incarnait Patof, le personnage serait probablement resté dans les limbes (et l’inconscient troublé d’un public vieillissant).

En fait, il y a des pans entiers de la culture populaire québécoise qui demeurent à explorer, et je saute sur à peu près tous les films qui s’y consacrent. Ces derniers temps, nous avons été gâtés avec Les derniers vilains, de Thomas Rinfret, sur la carrière des lutteurs Mad Dog Vachon et son frère Paul The Butcher, ou Jukebox, de Guylaine Maroist et Éric Ruel, sur l’influence incroyable du producteur Denis Pantis, qui a créé un showbiz « made in Québec » en dominant les palmarès québécois avec plein de succès francophones souvent traduits de l’anglais dans les années 1960.

PHOTO DANIEL VILLENEUVE, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Serge Desrosiers, neveu de Jacques Desrosiers, dans le documentaire Mon oncle Patof

Mon oncle Patof, réalisé par Sandrine Béchade et produit par Serge Desrosiers, nage dans les mêmes eaux, sans toutefois avoir la même profondeur que ces précédents documentaires. Disons que je suis pas mal restée sur ma faim.

D’abord, c’est un format court pour la télé de 52 minutes dans lequel il y a beaucoup de remplissage, où l’on voit Serge Desrosiers avoir bien du plaisir à enfiler le costume de son oncle, alors qu’on aurait aimé entendre davantage les participants comme les frères et sœur de la famille Desrosiers, Dominique Michel qui a vécu avec lui les cabarets, l’historien Robert Aird, le journaliste Sylvain Cormier ou l’animatrice Monique Giroux (qui a déjà été mairesse de Patofville !).

À la défense de ce court reportage, il faut dire qu’il existe très peu d’images d’archives de Patof — c’est un vrai crime, tout ce qui a été perdu des débuts de la télé québécoise, quand on y pense.

En revanche, il existe encore beaucoup de disques et de produits dérivés de ce qui aura été une folle manne financière pour Desrosiers avant que Patof soit un peu le fossoyeur de sa carrière de comédien ; l’une des dernières fois qu’on l’a vu avant sa mort précoce d’un cancer à 57 ans, c’est dans le film Le party, de Pierre Falardeau, où il était par ailleurs excellent. Le plus ironique est qu’il n’a jamais vraiment voulu incarner ce clown et faire carrière dans les émissions jeunesse.

Quiconque a déjà fouillé dans les ventes-débarras à la recherche de disques bizarres et rigolos a pu tomber sur ceux de Patof, dont les couvertures, manifestement faites à une époque où on ne passait pas trop de temps sur le graphisme, sont souvent effrayantes, pour être honnête. On dirait un mélange de Krusty le clown des Simpson et Pennywise du film d’horreur It.

Comment expliquer un tel engouement pour Patof, qui faisait déplacer les foules d’enfants avec leurs parents et vendre un paquet de trucs avec sa face dessus ? Même moi, j’ai eu mon pyjama Patof quand j’étais bébé ! Ce sont Sylvain Cormier et Monique Giroux qui mettent le doigt dessus : pour le gros fun sale que procurait Patofville, ce qui était assez mal vu par ceux qui regardaient Sol et Gobelet ou La Ribouldingue. « Tout ça semblait vouloir m’apprendre quelque chose, alors qu’au Canal 10, zéro pédagogie », explique Cormier.

On revient à la vieille rivalité entre Télé-Métropole et Radio-Canada, qui se poursuit encore de nos jours, et c’est bien ce qui me fait rigoler. Quand j’ai parlé de Patof à des gens de mon entourage, plusieurs m’ont dit qu’enfants, leurs parents refusaient qu’ils regardent le Canal 10, ce lieu de perdition surnommé Télé-Métropauvre (le groupe Les Cyniques l’appelait Télé-Nécropole), alors que chez nous, on ne se privait pas de regarder des gens s’entasser dans une voiture pour battre un record à l’émission Les Tannants.

Ceux qui ne sont pas encore revenus de l’histoire de l’agression sexuelle d’un bichon maltais à Denis Lévesque n’ont rien vu de ce qui se produisait au Canal 10 à l’époque, dans des brainstormings qui duraient le temps d’un café.

À Patofville, où Patof se chamaillait avec Monsieur Tranquille, il y avait plein de sous-entendus pour les adultes qui ne passeraient pas la rampe aujourd’hui. C’est en tout cas ce que mes parents m’ont dit, ce que confirme le documentaire, car mes souvenirs sont flous, et j’étais plus de la génération Passe-Partout, l’émission qui a définitivement tassé Patof, comme Patof a éclipsé le Capitaine Bonhomme dans ce cruel monde de la télévision.

Le plus émouvant de Mon oncle Patof est Pierre, « l’ami » de Jacques Desrosiers pendant plus de 20 ans, celui qui possède tous les artéfacts de la période Patofville, et qui finit par dire avec une infinie pudeur que Desrosiers était homosexuel, ce qui était impossible à afficher à l’époque. On retient une larme lorsque Serge Desrosiers lui fait entendre la chanson Mon ami Pierrot, qui prend un tout autre sens. C’est cliché, mais dans ce cas-ci, c’est vrai : derrière le maquillage grossier, le clown était triste. Oh Patof Blou…

Mon oncle Patof, samedi 17 avril à 22 h 30 sur ICI Télé et offert sur ICI TOU.TV