Toutes les deux semaines, La Presse convie des gens de l’industrie pour nous parler de leur amour de la télévision. Ainsi que des défis de la création télévisuelle. Aujourd’hui, le réalisateur Stéphane Lapointe.

Films de fiction et documentaires, émissions de variétés et d’humour, captation de théâtre et séries de suspense (Patrick Senécal présente), Stéphane Lapointe est l’un des réalisateurs les plus polyvalents au Québec. Son travail a été récompensé aux Gémeaux (Tout sur moi) et aux Jutra (La vie secrète des gens heureux). Celui qui a dirigé plusieurs succès du petit écran, dont Lâcher prise et Faits divers, nous fait part de son expérience derrière la caméra.

Le 3 juin prochain marquera le 20e anniversaire de la diffusion du premier épisode de Six Feet Under, cette série culte créée par Alan Ball qui a influencé bien des créateurs en télévision. Est-ce votre cas ?

Absolument. À l’époque, j’étais un cinéphile qui ne jurait que par le cinéma. Avec Six Feet Under, tout a basculé. C’est là que j’ai vraiment été happé par les possibilités cinématographiques des séries télé. Enfin, la télé avait de l’étoffe, de la sensibilité, de l’humanité, de l’humour noir. Je jubilais tant à cause de la forme que du fond. Ça a été mon inspiration quand j’ai tourné ma première série dramatique, Hommes en quarantaine.

Dans le paysage télévisuel au Québec, il y a des œuvres qui ont été aussi révélatrices dans votre parcours ?

Ici, c’est La vie, la vie qui a été le grand changement. J’ai beaucoup aimé aussi Temps dur et Fortier. Je suis un fan de Stéphane Bourguignon, de Patrice Sauvé, de Louis Choquette… D’ailleurs, quand j’ai commencé ma carrière, je suis allé luncher avec Louis Choquette pour qu’il me donne un cours express de « Tournage de série 101 ». Je ne connaissais pas grand-chose à la réalisation…

Quels conseils vous a-t-il donnés ?

L’a b c du métier. Quand tu ne sais pas quoi faire, tu fais un champ-contrechamp sur les deux acteurs qui parlent et un plan large, et tu peux toujours t’en sortir (rires)…

Vous venez de l’humour. À 16 ans, vous étiez le plus jeune rédacteur de l’histoire du magazine Croc, puis vous avez écrit des textes pour 100 Limite, Samedi P.M., Histoires de filles. Pourquoi avoir pris vos distances avec la comédie ?

J’étais habile en humour, mais je pense que ça a été une béquille pour me faire accepter, me sentir apprécié… Car j’étais timide et solitaire. Cela dit, en étant le comique, j’avais l’impression de passer à côté de ce que j’avais envie de dire. Aujourd’hui, je me sers de l’humour pour aborder des sujets plus durs, plus graves. Le léger sur du léger, ça m’ennuie. J’aime les comédies qui auraient pu être des drames.

À l’instar de Faits divers, une série où l’humour tordu est au service d’un drame intense ?

Faits divers a été un vrai cadeau pour moi ! Le truc que j’attendais depuis toujours. C’était l’occasion rêvée d’explorer artistiquement… Avec la mise en scène, la photographie, la musique, etc. Je me passionne aussi pour la direction d’acteurs. Dans le drame, on peut aller très loin [dans le jeu], on n’est pas dans la tyrannie du rire.

Est-ce difficile de choisir le « bon » projet, d’avoir la « bonne » idée pour réussir dans votre métier ?

C’est juste de l’intuition. Un créateur veut essayer d’inventer du nouveau, d’aller plus loin. Il va chercher dans son coffre à idées. Je pense qu’on peut toujours arriver à une histoire originale, en y mettant sa couleur, sa sensibilité. Je veux m’étonner moi-même pour étonner le public. Tout a été fait, mais pas par moi !

Avec la popularité des nouvelles plateformes, avez-vous peur pour l’avenir de la télé ?

La télé va survivre… si elle devient indispensable. On ne peut pas rester assis et tenir le public pour acquis. J’aime la télé et j’ai envie qu’elle reste un point de ralliement, un lieu de rencontre pour qu’on partage ensemble. Ça m’attriste d’imaginer 8 millions de personnes qui regardent 8 millions de contenus différents sur le web, chacun dans sa bulle. Il faut que la télé soit un contrepoint à l’internet. Un endroit plus posé, qui réfléchit, qui tente d’élever le débat, de nous rendre meilleurs. Il faut toujours viser un peu plus haut.

Car le public est de plus en plus exigeant aussi. La télé québécoise, avec ses moyens, peut-elle offrir du contenu riche et audacieux, de calibre international ?

Les plateformes vont chercher les top talents. Au Québec, il faut suivre la mouvance et proposer aussi des contenus audacieux. Avec des histoires ouvertes sur le monde, complexes, qui sortent de nos cuisines. Ce qui peut aider à sauver la télévision, c’est les émissions qui doivent se consommer le jour même. Les informations, les émissions d’affaires publiques, les talk-shows. C’est urgent de dépoussiérer et de ramener Les beaux dimanches. On pourrait même être fou et… mettre ça le vendredi ou le samedi. Pour promouvoir la culture, les spectacles, la musique, le théâtre.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Stéphane Lapointe

Ses coups de cœur

Broadchurch ; Black Mirror ; Better Call Saul ; Homecoming ; ZeroZeroZero ; Devs, un thriller existentialiste captivant sur iTunes ; The Haunting of Hill House ; Real Time with Bill Maher…

Et au Québec…

L’œil du cyclone m’a fait rire. Christine Beaulieu est parfaite ! J’aime tout ce que [le réalisateur] Jean-François Rivard fait. Plan B, en un mot : brillant. Le show de danse Révolution, je trouve ça hallucinant. C’est beau, sensible, humain. Le montage est parfait. J’ai les yeux pleins d’eau tout au long. Je trouve France Beaudoin, Sébastien Diaz, Marie-Louise Arsenault lumineux et toujours intéressants à l’animation.