Je mentirais si je disais que j’ai grandi avec le rap. J’ai attrapé le train assez tard, entre autres parce que mon petit frère ado était à fond dans ce courant musical que je trouvais vraiment trop bavard et qu’il m’infligeait à longueur de journée.

Mais tranquillement, c’est devenu le style dominant de la musique aujourd’hui, impossible d’y échapper, ni d’y résister, en particulier lorsqu’on est sensible aux textes, à la poésie, aux rythmes, aux échantillonnages ainsi qu’à « l’attitude ».

Il y a donc quelque chose de réjouissant à voir arriver l’émission La fin des faibles à Télé-Québec, d’autant que le rap québécois a explosé dans la dernière décennie. Comme on laisse si peu de place à ce genre à la télévision et dans les radios d’ici, tant mieux si une série télé lui est entièrement consacrée. La fin des faibles, inspirée de la célèbre compétition internationale End of the Weak, qui a son chapitre québécois depuis 2011, est l’occasion rêvée de vulgariser le rap auprès du grand public, où l’on trouve encore beaucoup trop de gens qui le limitent à une musique de gangs — j’exagère à peine, le Québec a vraiment du retard sur un phénomène parfaitement implanté depuis longtemps. Pendant combien de temps on a chialé contre l’absence de visibilité du rap à l’ADISQ ? On se souvient de l’irruption du collectif 83 au gala de 2002, qui dénonçait déjà le manque de soutien envers le hip-hop par l’industrie…

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Plateau de tournage de l’émission de rap La fin des faibles, au New City Gas. Le concurrent Poète Black, entouré de trois autres concurrents, Britanny Rose, Woodman et D-Track, au cours d’une répétition.

On peut ne pas être sensible au rap, mais on peut s’instruire un peu afin de changer son regard sur ce qui fait vibrer des millions d’amateurs dans le monde. La simple histoire de ce courant musical est passionnante, comme pour le jazz ou le rock, et les productions se sont multipliées pour lui donner ses lettres de noblesse. Il suffit de regarder la remarquable série documentaire Hip-Hop Evolution ou la magnifique série de fiction The Get Down, des films comme Straight Outta Compton ou 8 Miles pour s’initier à cet univers.

Ce qu’il y a de particulièrement intéressant avec La fin des faibles, c’est qu’on y fait du rap en français. D’ailleurs, quelques participants expérimentés y font leurs premières armes dans la langue de chez nous, car c’est la langue vivante de la rue et de la vie de tous les jours qui s’y exprime la plupart du temps. Avec ce titre, La fin des faibles, il faut comprendre que prendre le micro et la parole est une prise de pouvoir, qui vient avec ses risques.

Il faut vraiment du courage pour monter sur scène et improviser des vers sur un beat ; le rap est quelque chose qui exige la fusion du corps et de l’esprit, un exercice aussi intellectuel que physique, où l’on est seul dans l’arène.

Pas étonnant que certains bloquent en plein milieu d’une performance, et je dois dire que j’ai été stressée pour chacun des participants, qui ont dû apprivoiser un environnement télévisuel intimidant au Lion d’Or au cours des auditions, environnement encore plus impressionnant pour la compétition officielle au New City Gas.

Dans le premier épisode présenté lundi dernier, on a concentré les auditions (plus de 400 personnes avaient soumis leur candidature) pour retenir 16 concurrents qui devront s’affronter dans les prochaines semaines sous le regard des juges Koriass, Sarahmée et Souldia, qui forment un trio franchement séduisant et pertinent. Les concurrents ont d’abord été choisis par les cofondateurs du End of the Weak québécois, Benoit Beaudry, Guillaume Gingras et James Emilio Maldonado, qui ont fait l’écrémage en scrutant les textes, le flow, l’interaction avec les caméras et le charisme sur scène des participants. Il faut donner un show, après tout.

C’est réalisé par Baz en pleine pandémie, avec les consignes sanitaires que l’on sait, la caméra est au plus près des corps, l’énergie et la chaleur humaine sont préservées. À l’animation, le sympathique Pierre-Yves Lord est le lien avec le public « mainstream », celui qui explique aux néophytes les codes du genre. Nous demeurons dans les paramètres d’une émission de compétition, mais dans un tout autre esprit que La voix ou Star Académie qui, personnellement, ont fini par me lasser à la longue, même en y mettant les grands moyens. Ça fait du bien, un peu de rugueux, autre chose que des « covers » (c’est-à-dire de la réelle création), et si on aime les « underdogs », nous voilà servis.

Ce qui m’a franchement plu est la diversité des candidats, dont l’âge varie de 20 à 40 ans. Ils viennent de Montréal, Québec, Drummondville, Gatineau, Vaudreuil-Dorion ou Saint-Jean-sur-Richelieu, certains sont prof, artiste, avocat ou étudiant, mais tous ont la flamme du rap. Sarahmée souhaitait qu’il y ait des femmes qui se présentent en auditions, parce qu’elles sont toujours sous-représentées dans le milieu, et il y en a eu, elles sont 4 sur 16 candidats retenus : Ruby (infirmière), Kayiri (qui a fait le conservatoire et est boxeuse !), Brittany Rose (très charismatique) ainsi qu’AmiGhoste, arrivée au rap par ses cours d’alphabétisation et dont la présence sur scène est pas mal formidable. Il y a des pointures déjà établies, comme Basics (champion de End of the Weak Québec depuis 2017), les frères Houdini et Racoon ou D-Track, deux souverainistes affichés (Baddsoya et Helmé), l’émouvant LeMind, le puissant J. A.M, les originaux Le Gicko, Monk.E, Poète Black et Woodman, qui ont une dégaine à part.

Lequel d’entre eux sera couronné le meilleur MC et représentera le Québec à New York pour la grande finale d’End of the Weak ? Il est vraiment trop tôt encore pour lancer les paris, et on ne sait pas encore si l’émission trouvera son public, mais je serai au rendez-vous, car on découvre là quelque chose qui manquait cruellement à la télé.

La fin des faibles, les lundis et mercredis, 20 h, à Télé-Québec