Il y a 20 ans, Alain Gravel a réalisé un reportage sur quelques enfants réfugiés au Canada, rescapés des guerres au Rwanda et en ex-Yougoslavie. Avec l’arrivée de réfugiés syriens au pays, qui a relancé le débat sur l’immigration, il est retourné voir ce que sont devenus les gens interviewés à l’époque. Sa conclusion : ils sont passés d’« eux » à « nous ».

Réfugié du Rwanda, Régis a perdu une jambe en marchant sur une mine. Plusieurs membres de sa famille ont été tués. Lui-même s’est caché durant deux semaines dans des égouts pour échapper aux massacres. Aujourd’hui, il vit à Gatineau et est coiffeur-styliste dans un salon tout près du parlement canadien.

François-Xavier Hirwa, autre réfugié arrivé au pays avec deux de ses frères, a étudié à l’Université McGill et est travailleur social à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. George Chabot, qui n’avait aucune notion de français à son arrivée il y a cinq ans, travaille maintenant à la Croix-Rouge et réalise des tests de dépistage de la COVID-19 tout en poursuivant ses études.

Des exceptions ? Plutôt la règle, affirme le journaliste Alain Gravel, de Radio-Canada, qui présente ce jeudi soir, aux Grands reportages, la conclusion de récentes recherches sur l’impact et l’intégration des réfugiés dans la société canadienne. Le titre de l’émission, Les enfants de la guerre : pour changer le monde, fait écho à un reportage que M. Gravel a signé pour l’émission Enjeux il y a 20 ans.

En plus d’être retourné voir des réfugiés interviewés il y a 20 ans, il est allé à la rencontre de nouveaux arrivants, pour sonder tant leur âme que leurs conditions d’existence. Dans tous les cas, il y a un désir d’intégration à la société, de réussite.

Faire sa part aurait pu aussi être le titre de l’émission de ce soir. Revoir ces jeunes qui étaient adolescents à ma première rencontre et les voir aujourd’hui est marquant. Il y a beaucoup de profondeur dans leur réflexion. Je suis frappé de voir qu’ils disent la même chose sans pour autant se connaître.

Alain Gravel en entrevue téléphonique

Il donne l’exemple de François-Xavier, qui entrouvre à petites doses la porte de souvenirs douloureux. « Il me dit que c’est comme de l’eau. S’il ouvre trop grand la porte, il risque de se noyer, poursuit M. Gravel. Alors que dans une autre entrevue, Régis me parle de ses petits tiroirs [du souvenir] qu’il ouvre de temps à autre. »

Les « enfants de la guerre » constituent-ils un fardeau ou un atout pour la société canadienne ? demande-t-on en ouverture. Statistiques à l’appui, la réponse est : un atout. Selon une étude de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) au Canada citée dans le reportage, les réfugiés ont un taux de chômage (9 %) plus élevé (6 %) que les Canadiens de naissance, mais ils grossissent en majorité les rangs de la classe moyenne dans les cinq premières années après leur arrivée. Près du quart (23 %) gagnent entre 40 000 $ et 80 000 $ annuellement contre 27 % des Canadiens de naissance. Autre indicateur d’importance, 65 % ont acheté une propriété dans les 10 ans suivant leur arrivée contre 79 % chez les Canadiens.

Dans le reportage, une mère seule arrivée au pays il y a plus de 20 ans rappelle avoir reçu des allocations de solidarité sociale durant sept mois. Depuis, elle travaille, paie des impôts et des taxes, ayant largement remboursé ce qu’elle a reçu en aide. 

On dit souvent que les immigrants ont de la difficulté à s’intégrer. Mais on s’attarde beaucoup sur les arrivées récentes. Quand on regarde sur de longues périodes, on constate qu’ils participent. Les jeunes de moins de 15 ans en particulier ont un haut taux de réussite scolaire.

Alain Gravel en entrevue téléphonique

Y a-t-il un mauvais côté à l’histoire ? Des cas de non-réussites ? « C’est sûr que chez ceux qui sont mal encadrés, il doit y avoir des histoires tristes, répond le journaliste. Comme il y a des histoires tristes chez les Québécois. »

Mais de façon générale, il est frappé par la rapidité d’intégration des nouveaux arrivants. « Les Rwandais que j’ai rencontrés il y a 20 ans sont les Québécois d’aujourd’hui. Avant, c’était “eux”. Maintenant, c’est “nous”. Tous ensemble. »

Les enfants de la guerre : pour changer le monde, ce jeudi soir, à 21 h, sur ICI Télé.