Marilyn Castonguay est finaliste à deux prix Gémeaux d’interprétation, dimanche, pour ses rôles dans C’est comme ça que je t’aime, de François Létourneau et de Jean-François Rivard, et Alix et les Merveilleux, émission jeunesse qui revisite l’univers d’Alice au pays des merveilles. Entretien avec l’une des comédiennes les plus douées de sa génération.

Elle est toute menue, Marilyn Castonguay. Derrière cette apparente fragilité se trouve une force tranquille qu’elle insuffle à ses personnages. Depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre, en 2010, la comédienne de 35 ans collectionne les rôles de femmes fortes. Au cinéma, elle était lumineuse de résilience en compagne de Michel Dumont (Marc-André Grondin) dans L’affaire Dumont, de Podz, troublante de vérité en infirmière témoin de Jéhovah dans Miraculum, du même réalisateur, formidable de subtilité dans Matthias et Maxime, de Xavier Dolan.

Y a-t-il un rôle qui lui collera davantage à la peau que la fascinante Huguette de C’est comme ça que je t’aime ? La brillante et rocambolesque nouvelle télésérie de François Létourneau et de Jean-François Rivard (Les invincibles, Série noire), en ondes depuis mercredi à Radio-Canada, est en lice pour 15 prix Gémeaux dimanche, dont celui du meilleur premier rôle féminin pour Marilyn Castonguay. L’actrice, qui a grandi à L’Isle-aux-Coudres – où Pierre Perrault a tourné sa fameuse trilogie –, module avec brio les états d’âme de cette femme au foyer de Sainte-Foy qui rejette violemment le carcan machiste imposé par son minable mari (Létourneau) et son époque (les années 70). Une carabine à la main et toute la gamme des émotions dans son visage…

« Huguette, c’est un de mes plus beaux rôles, dit-elle. C’est un rôle d’une grande complexité, dans tous les sens du terme. Autant dans son combat intérieur pour se trouver, dans le combat féministe pour s’émanciper, s’épanouir et se libérer de son couple, que dans la manipulation de la carabine ! »

Huguette, quand j’ai lu le scénario, c’était évident qui elle était pour moi. J’avais confiance que je l’avais bien comprise. Ça fait toute la différence.

Marilyn Castonguay

Huguette est une femme qui doute constamment d’elle-même, même si elle est aussi très assumée et déterminée à ne pas s’en laisser imposer. Elle découvrira qu’elle a « l’œil du tigre », comme dirait Sylvester Stallone, se surprenant elle-même de la violence de sa colère sourde. Que personne ne s’avise de traiter Huguette de « petite madame »…

Pour interpréter cette mère de famille mutine qui a dû endurer le machisme flagrant et décomplexé de l’époque, Marilyn Castonguay s’est notamment inspirée de sa mère. « Ma mère était très féministe, même si ce n’était pas un mot qu’elle employait ! dit-elle. J’ai été élevée à pouvoir m’organiser toute seule et à prendre ma place, alors que j’étais entourée de garçons. C’est sûr que j’étais parfois choquée par les réactions d’Huguette. J’avais envie qu’elle prenne sa valise et qu’elle s’en aille de chez elle ! J’avais envie de lui donner cette force-là et de la comprendre en même temps dans sa vulnérabilité. C’est peut-être un peu ésotérique, mais quand tu joues un personnage, tu l’accompagnes dans le chemin qui est le sien. »

La comédienne peut se consoler en se disant que l’auteur François Létourneau a l’habitude de se réserver les rôles les plus méprisables dans ses propres séries. Menteur, immature, égoïste, infidèle, son personnage d’« adulescent », Gaétan, rivalise de lâcheté avec celui de P-A des Invincibles (ou encore avec Antoine Doinel dans les films de Truffaut). Dans une scène délicieuse de C’est comme ça que je t’aime, Gaétan dit à Huguette qu’il appuie les revendications des femmes et comprend leur désir d’émancipation, mais lui demande de lui faire chauffer une gaufre…

« Les mononcles sont moins socialement acceptables aujourd’hui, constate Marilyn Castonguay. Ils sont plus cachés. Mais ils existent encore ! J’en ai entendu, des hommes de 30 ans, faire des blagues sur le fait que la place de la femme est à la maison à faire du ménage… »

Si le rôle d’Huguette sera de toute évidence marquant dans sa carrière – la deuxième saison de C’est comme ça que je t’aime doit en principe être tournée l’été prochain –, Marilyn Castonguay ne risque pas d’être cantonnée à un seul type de personnage. À preuve, le solo époustouflant qu’elle a livré à La Licorne l’hiver dernier : Les filles et les garçons, de Dennis Kelley, dans une traduction de Fanny Britt.

Marilyn Castonguay y est quasi méconnaissable dans le rôle d’une jeune femme qui se livre au public avec un humour truculent et vulgaire avant de basculer progressivement vers le drame. Elle explique comment elle a quitté une vie de débauche, rencontré son mari, réalisé le rêve de devenir productrice de cinéma, est devenue mère, avant que le bonheur ne tourne au cauchemar. Voulait-elle vraiment des enfants ? Est-elle une bonne mère ?

La capacité de Marilyn Castonguay d’émouvoir, seule sur scène pendant deux heures, est phénoménale. Son regard s’embue soudainement, un rictus dans son visage laissant deviner la douleur. On en sort, grâce à elle, le souffle coupé.

« Ça fait 10 ans que j’ai fini l’École [de théâtre], dit-elle. Ça m’a pris tout ce temps pour affronter ce rôle-là avec confiance, avec l’impression d’être en possession de mes moyens. C’était vertigineux : 63 pages de texte, toute seule au monde. Allais-je en être capable ?

J’ai pris une semaine pour y penser. Puis je me suis dit que si j’avais un solo à faire dans ma vie, ce serait celui-là !

Marilyn Castonguay

Le fait de tourner simultanément, au cours des mois précédents, des séries aussi différentes que C’est comme ça que je t’aime et Alix et les Merveilleux, émission jeunesse de Télé-Québec qui lui vaut aussi d’être finaliste au gala des prix Gémeaux ce week-end, a rendu le défi de ce monologue moins effrayant, dit-elle.

Juste avant la fin de la toute dernière représentation de la pièce, en février, un homme s’est étouffé dans la salle. On a dû rallumer les lumières. Marilyn Castonguay a discuté avec le spectateur, s’est assurée qu’il allait bien, puis a terminé son monologue, juste à temps pour se rendre à l’aéroport et prendre l’avion pour Berlin, où C’est comme ça que je t’aime était présenté en primeur mondiale dans le cadre de la Berlinale. À son retour au Québec l’attendait le Grand Confinement. « Ça m’a obligée à m’arrêter, ce qui n’est pas quelque chose que je fais facilement », confie-t-elle.

Les filles et les garçons, qui pourrait être présentée en reprise à l’automne, propose à l’instar de C’est comme ça que je t’aime, quoique sur un autre registre, une réflexion sur l’évolution des sociétés patriarcales et les mécanismes du pouvoir en place. Est-ce que nos sociétés ont été faites sur mesure pour l’homme ? Huguette aurait certainement sa petite idée là-dessus…