Bell Média met la hache dans le financement des projets francophones d’un important fonds destiné à soutenir la production cinématographique et télévisuelle canadienne, une décision décriée par les acteurs du milieu qui craignent pour la survie de certaines entreprises.

« Compte tenu des circonstances liées à la COVID et du besoin d’investir dans la relance de Noovo (ex-V), Bell Média nous a informés le 25 août dernier qu’elle n’était pas en mesure de s’engager à contribuer au Programme français, hors cadre de ses obligations réglementaires, au-delà du 31 août 2020 », écrit le Fonds Harold Greenberg dans un communiqué.

Le Fonds affirme qu’il est forcé d’arrêter de financer dès mardi plusieurs de ses programmes étant donné qu’il ne recevra plus aucun financement de Bell Média ou de tout autre contributeur à compter du 1er septembre.

Seul le volet Production de long métrage de fiction continuera d’examiner les demandes reçues jusqu’à lundi. Les responsables estiment que ce volet pourrait tout de même financer quelques projets d’ici à la fin du mois de février 2021 grâce aux sommes non dépensées, aux retours sur investissements et aux intérêts sur placements.

Le Fonds Harold Greenberg explique que ce sera « la fin d’une belle aventure » qui aura duré 25 ans et au cours de laquelle il a investi plus de 50 millions dans 1500 projets, principalement de longs métrages de fiction, mais également dans des documentaires, des émissions pour enfants, des évènements spéciaux, des émissions musicales et des vidéoclips.

Le communiqué, qui a d’abord été diffusé vendredi en fin de journée sur le site web de Bell Média – qui héberge le site du Fonds –, a depuis été retiré, une situation que La Presse canadienne n’a pas réussi à clarifier.

« Une bombe »

Comme pour bon nombre d’acteurs du milieu, le communiqué de Bell Média a eu l’effet d’« une bombe » pour la productrice de films Fanny-Laure Malo, qui estime que les subventions du Fonds « n’étaient pas un coup de pouce, ils étaient essentiels ».

Elle juge qu’il « relèvera presque du miracle » d’établir une structure financière viable et qui permette de payer dignement les artisans.

« Je ne sais pas si on va pouvoir survivre », a-t-elle lancé en entrevue, soulignant être « plus qu’à sec » en ce moment.

Mme Malo reproche également à Bell Média de quitter le navire maintenant. « Avec la COVID, s’il y en a qui n’ont pas eu de perte de leur chiffre d’affaires, c’est bien les câblodistributeurs et les diffuseurs du web », a-t-elle indiqué.

Elle s’explique surtout mal pourquoi cet acteur majeur « se retire sans crier gare », ce qui est « un drame » pour toutes les compagnies de production qui ont signé des contrats avec des auteurs.

Même son de cloche chez Étienne Hansez, producteur et fondateur de Bravo Charlie, maison qui a notamment produit le film Chien de garde, qui a représenté le Canada dans la course aux Oscars en 2019.

« Si je n’avais pas eu le financement du Fonds Harold Greenberg […], le film n’aurait pas eu le nombre de jours suffisant pour atteindre la qualité que recherchait la cinéaste. »

D’un point de vue financier, la décision est « catastrophique » puisque le financement provenant de ce fonds représentait de 10 % à 20 % de la structure financière de ses films.

En fin de compte, le grand perdant, c’est la culture cinématographique québécoise où cette décision va créer un « trou énorme », selon lui.

Bell Média se défend

La fin du soutien au Fonds Harold Greenberg n’a pas été annoncée à la dernière minute, s’est défendu Marie-Anna Murat, une porte-parole de Bell Média, lors d’une conversation téléphonique avec La Presse canadienne.

« Tous ceux concernés étaient au courant, a-t-elle ajouté. Ce n’est pas une surprise. »

L’expiration cette année des « avantages tangibles » résultant de l’acquisition d’Astral par Bell Média, dont fait partie le soutien au Fonds Harold Greenberg, est une information « de notoriété publique » qui faisait partie de la transaction.

Dans une déclaration écrite transmise par courriel, Mme Murat a ensuite indiqué que « Bell Média reste engagé à continuer de soutenir, développer et acquérir la production cinématographique québécoise par le biais de Super Écran et de Crave. Pour l’année 2021, Bell Média a déjà investi dans 26 films d’ici et nous nous sommes déjà engagés pour le cinéma en 2022 ».

M. Hansez, qui espérait que Bell Média confirme qu’il n’abandonnerait pas complètement le cinéma québécois, est « encore plus inquiet » à la suite de cette réaction.

Il fait remarquer que le Fonds Harold Greenberg finance la création, et non l’acquisition et la vente sur une plateforme, sans compter que les sommes investies ne sont pas du tout de la même ampleur.

« Moi, quand je recevais 300 000 $ sur un film comme Chien de garde avec une structure financière de 1,5 million, ce n’est pas la même chose que quand le film est vendu ensuite sur Super Écran pour plusieurs dizaines de milliers de dollars. C’est incomparable ! »

Tant Mme Malo que M. Hansez ont affirmé qu’ils venaient d’apprendre la nouvelle.