Stéphane Gendron ne s’ennuie pas du « quotidien de la télé et des médias ». Mais le coloré ancien maire d’Huntingdon continue à être préoccupé par le sort de son prochain. Tel celui des agriculteurs, dont il est question dans le documentaire La détresse au bout du rang, à venir sur Canal D. La Presse en a discuté avec M. Gendron.

La fuite en avant. Foi de Stéphane Gendron, cette expression résume le sort actuel de nombreux agriculteurs québécois aux prises avec une industrie boiteuse, car minée de mille et une contraintes. Au point où plusieurs d’entre eux ferment leur exploitation. Et, pire encore, quelques-uns mettent fin à leurs jours.

Ce qui se passe au Québec n’est pas unique. La détresse des agriculteurs existe aussi aux États-Unis ou encore en Europe. Récemment sorti au Québec et inspiré de faits réels, le long métrage de fiction Au nom de la terre témoigne de cette réalité en France.

« Ce n’était pas ainsi avant, lance M. Gendron, qui a toujours côtoyé le monde agricole et exploite maintenant une ferme de luffa, chanvre et gourde. Quand j’étais petit, nos terres n’étaient pas régies par autant de normes. La mondialisation est responsable de beaucoup de choses. On ne contrôle plus rien. »

Il donne en exemple le prix du lait sur lequel les producteurs, souligne-t-il, n’ont pas un mot à dire.

Les prix baissent. Et comme ils baissent, la seule façon de s’en sortir est de grossir. C’est ça, la fuite en avant ! Les agriculteurs réhypothèquent la ferme familiale pour avoir de l’argent et grossir.

Stéphane Gendron

PHOTO FOURNIE PAR BELL MÉDIA

Stéphane Gendron assiste à la vente d’un cheptel. Une autre ferme laitière est en voie de cesser ses activités.

Or, s’endetter pour grossir ne signifie pas la fin des problèmes. Il faut faire avec toutes sortes de variables : la météo, les bris mécaniques, etc. Récemment, la COVID-19 a ralenti l’arrivée de travailleurs étrangers, si importants au moment des récoltes, et le rythme de certaines usines de transformation.

C’est ce que l’on voit dans le documentaire dans lequel M. Gendron et le réalisateur Éric Blouin donnent la parole à quelques producteurs concernés. L’un, épuisé et père de jeunes enfants, vend son troupeau de vaches avant que la situation ne dérape davantage. Une productrice, mère de six enfants et deux fois divorcée, a des pensées suicidaires. Une jeune femme qui avait lancé avec succès une entreprise fromagère avec son conjoint pleure la mort de ce dernier qui s’est enlevé la vie. Soyez avertis : les images sont poignantes.

D’autres passages, plus légers, de ce documentaire de 45 minutes sont aussi très instructifs. On y rencontre par exemple une psychologue qui analyse les racines du mal. Elle évoque le fait que les producteurs doivent être bons dans tout. Ils doivent maîtriser trop de compétences pour une petite entreprise, dit-elle.

D’autres nient que leur travail ne va pas bien et tournent le dos à leur situation en travaillant encore plus fort. Ce qui ne fait qu’accentuer la détresse. Que plusieurs d’entre eux n’extériorisent pas leurs émotions n’aide pas non plus.

« Un des passages les plus forts du film survient lorsque je parle avec le fils de la productrice de lait, Geneviève, qui a songé à s’enlever la vie, dit M. Gendron, la voix étouffée par l’émotion. Son fils n’avait jamais rien su de cela. Ce qui illustre les tabous et les silences dans nos familles. »

Selon les recherches de M. Gendron, une dizaine d’agriculteurs se suicident chaque année au Québec. Et trois fermes cesseraient leurs activités chaque jour.

« La situation est épouvantable dans les fermes laitières, lance M. Gendron. C’est aussi difficile dans le porc et le maraîcher. Mais ça va très bien dans le poulet et les œufs. »

La détresse au bout du rang est le cinquième documentaire auquel Stéphane Gendron participe. Tous, dit-il, le concernaient de près ou de loin. « J’aime prendre un sujet que je vis personnellement et par lequel monsieur et madame Tout-le-Monde vont se sentir interpellés. Je crois que je fais ça dans le respect des gens. »

La détresse au bout du rang, diffusé le jeudi 3 septembre à 22 h sur Canal D.