Ça commence en grand, dans une pétarade d’effets spéciaux où se mélangent l’ambiance des vieux films de science-fiction et le visuel des superproductions d’aujourd’hui. Un jeune soldat noir combat dans les tranchées, et voit le joueur de baseball Jackie Robinson démolir à coups de batte cette monstruosité tirée du livre L’Appel de Cthulhu de H. P. Lovecraft pendant que des soucoupes volantes flottent dans le ciel. En voix off, on entend : « C’est l’histoire d’un garçon et de son rêve. C’est l’histoire d’un garçon américain, et d’un rêve vraiment américain ».

Ce garçon est Atticus (Jonathan Majors), qui se réveille de ce rêve-dont-il-est-le-héros à l’arrière d’un bus dans la section réservée aux Noirs, le livre A Princess of Mars d’Edgard Rice Burroughs sur les genoux. À peine de retour de la guerre de Corée, il ne sort de son cauchemar que pour retrouver une réalité cauchemardesque, celle de l’Amérique ségrégationniste des années 50. Il n’a pas fini d’en voir de toutes les couleurs au pays des suprémacistes blancs, lorsqu’il se lancera dans un périple pour retrouver son père disparu en compagnie de son oncle George (Courtney B. Vance) et de son amie Letitia (Jurnee Smollett-Bell, la plus solide du groupe, une vraie révélation).

En quelques minutes, les bases de la série Lovecraft Country, qui a débuté dimanche dernier sur HBO, sont posées. Tout peut arriver dans cet univers fantastique traversé par les tensions raciales.

Mais quelle est la nature de l’épouvante quand vous devez affronter des monstres surnaturels entourés de monstres ordinaires qui ne vous considèrent même pas comme un être humain ?

La référence à Lovecraft n’est pas fortuite. Non seulement Atticus a-t-il lu ses romans en bon amateur de pulp fictions, mais en plus il doit se rendre dans la ville d’Ardham, qui n’a qu’une lettre de différence avec Arkham, ville fictive inventée par Lovecraft. Or, Lovecraft est reconnu pour être non seulement l’un des génies des littératures de l’imaginaire, mais aussi un raciste fini, pour qui tout ce qui n’est pas anglo-saxon et blanc est l’équivalent de la lèpre.

Chez lui, ça relève de la phobie pure et dure, d’une névrose délirante, comme on peut l’apprendre dans un petit essai fascinant de l’écrivain Michel Houellebecq, H. P. Lovecraft, contre le monde, contre la vie. Son expérience de la mixité à New York l’a quasiment rendu fou et dans ses écrits personnels, il décrit les « autres races » qu’il voit dans le métro avec autant d’imagination morbide que ses créatures fantastiques. « Cette vision hallucinée est directement à l’origine des descriptions d’entités cauchemardesques qui peuplent le Cycle de Cthulhu, écrit Houellebecq. C’est la haine raciale qui provoque chez Lovecraft cet état de transe poétique où il se dépasse lui-même dans le battement rythmique et fou des phrases maudites : c’est elle qui illumine ses derniers grands textes d’un éclat hideux et cataclysmique. » En un sens, Lovecraft Country est un clin d’œil puissant à cette part terrible de l’écrivain, qui reçoit la monnaie de sa pièce.

PHOTO FOURNIE PAR HBO

Image tirée de la série Lovecraft Country

Depuis le film Get Out, je suis tout ce qui porte de près ou de loin la griffe de Jordan Peele, en voie de devenir le nouveau maître des productions de genre aux États-Unis, et cela, comme cinéaste, producteur, scénariste et acteur (il est très drôle en hôte de la nouvelle mouture de The Twilight Zone). Il est le premier réalisateur à m’avoir vraiment fait ressentir la peur permanente que vivent les Afro-Américains, encore aujourd’hui.

Voilà pourquoi il faut toujours faire confiance au cinéma d’horreur, capable d’aller chercher par le divertissement les zones d’ombre que l’intellect et les bonnes intentions ne rejoignent pas.

Peele est l’un des producteurs, avec J. J. Abrams, de Lovecraft Country, une adaptation du roman de Matt Ruff par Misha Green (révélée par Underground), celle-ci étant la créatrice principale de la série. Green, qui connaît son cinéma, a disséminé un peu partout des hommages aux grands films populaires, et vous n’aurez pas la berlue en reconnaissant des références à Goonies, Indiana Jones ou Poltergeist. En dépit de la gravité du sujet qu’est le racisme, le plus étonnant est que l’amateur de productions de genre (que ce soit de fantasy, d’aventure, d’action, d’horreur, de fantastique ou de science-fiction) pourrait bien retrouver son cœur d’enfant !

Visuellement impressionnante et campée dans un décor qui restitue de façon magnifique le design de l’époque, cette série est un melting-pot de talents et d’idées, qui pêche parfois par excès d’enthousiasme au détriment de l’intrigue qui part dans tous les sens (c’est mon impression après avoir vu cinq épisodes), mais on ne pourra jamais lui reprocher d’être ennuyeuse tant les revirements n’arrêtent pas de nous surprendre. On veut tout inclure – fantômes, monstres, univers parallèles, magie, possession, exorcisme, sociétés secrètes etc. –, sauf qu’au final, le plus épeurant, ce sont ces Blancs racistes qui semblent tout droit sortis d’un fantasme aryen. C’est peut-être ça, le but, aussi.

Lovecraft Country, sur HBO et Crave, en français à Super Écran