(Istanbul) Sur l’écran de sa télévision, le spectateur voit plusieurs personnes parlant à tour de rôle face à leur ordinateur portable. La scène peut rappeler une visioconférence d’entreprise, mais il s’agit d’un dialogue entre acteurs dans une série turque tournée en pleine crise du coronavirus.

Les Turcs sont connus pour leur engouement pour les « diziler », les séries télévisées locales. Et il était hors question pour les producteurs de Tutunamayanlar (Les marginaux) d’arrêter le tournage du feuilleton, diffusé en heure de grande écoute depuis janvier sur la principale chaîne publique de Turquie, où la COVID-19 a fait plus de 4500 morts sur quelque 165 000 cas recensés.

Pour respecter les règles de distanciation sociale, les six derniers épisodes de la série ont été tournés sur la base d’un nouveau scénario où pratiquement tous les dialogues se font via la plateforme de visioconférence Zoom. Et les acteurs jouent leur rôle seuls dans des endroits différents.

La vedette de la série, Dogu Demirkol, est le seul acteur à se rendre sur le plateau de tournage à Beykoz, sur la rive asiatique d’Istanbul, alors que ses collègues interprètent leur rôle depuis leurs maisons.

M. Demirkol, qui campe le personnage de Tarik, un jeune chômeur qui enchaîne les échecs dans la vie, affirme que l’équipe s’est adaptée au nouveau mode de tournage.

PHOTO YASIN AKGUL, AGENCE FRANCE-PRESSE

La vedette de la série, Dogu Demirkol, est le seul acteur à se rendre sur le plateau de tournage à Beykoz, sur la rive asiatique d’Istanbul, alors que ses collègues interprètent leur rôle depuis leurs maisons.

« Ni costume ni maquillage »

« Il n’y a personne à côté de moi. Moi je joue de mon côté et les autres font de même. Parfois nos dialogues s’emmêlent et il faut donc qu’on fasse attention pour ne pas empiéter sur les répliques des collègues », explique-t-il dans la grande maison en bois qui sert de plateau de tournage.

« Les sensations ne sont pas les mêmes, on sent que c’est un peu artificiel, mais on s’amuse quand même », ajoute-t-il.

Sur le plateau, des techniciens portant des tenues de protection fixent l’angle de la caméra et procèdent aux réglages nécessaires avant de se retirer vers une cabine d’où ils opèrent à distance.

« Un nombre limité de personnes viennent ici. On ne porte pas de costume et personne ne s’occupe de notre maquillage ou coiffure », affirme M. Demirkol, qui a acquis une renommée internationale pour son rôle dans Le Poirier sauvage du réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan.

Quand le tournage commence, M. Demirkol regarde la caméra contrôlée à distance et dit ses lignes. Les autres acteurs font de même sur Zoom. Le réalisateur supervise le tournage depuis une autre ville, également à l’aide du logiciel de visioconférence.

M. Demirkol a opté pour un tournage sur le plateau, contrairement à ses collègues, en raison de l’importance de son rôle dans la série.

« Si je reste assis moi aussi, cela voudra dire que toute la distribution est assise. Et cela va ajouter à l’ennui des téléspectateurs enfermés chez eux. Comme ça au moins ils voient à la télé quelqu’un qui bouge », explique-t-il.

« Marque de fabrique »

PHOTO YASIN AKGUL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Effectuer le tournage tout en respectant les règles sanitaires ne fut pas de tout repos pour les équipes techniques œuvrant sur le plateau.

Le produit final a reçu un accueil plutôt positif auprès des téléspectateurs.

« La série est parvenue à me faire rire en ces temps difficiles », dit l’un d’eux, Emrah Gurel, un Stambouliote.

« Et je n’ai pas trouvé bizarre l’utilisation de Zoom, bien au contraire. Cela sonne d’autant plus vrai que nous aussi nous utilisons Zoom actuellement pour parler à nos amis », ajoute-t-il.

Effectuer le tournage tout en respectant les règles sanitaires ne fut pas de tout repos pour les équipes techniques œuvrant sur le plateau.

« C’est difficile de travailler en portant les tenues et équipements de protection, mais on s’y est habitué tant bien que mal », confie Yener Yalcin, un assistant.

Les séries turques, qu’elles portent sur les exploits militaires de l’Empire ottoman ou mettent en scène d’interminables histoires d’amour, ont connu un succès fulgurant ces dernières années dans le monde arabo-musulman et au-delà.

Le dernier exemple en date est le succès rencontré par la fresque Résurrection : Ertugrul, du nom du père du fondateur de l’Empire ottoman.

« Les séries turques sont devenues une marque de fabrique et nous avons une part importante dans cette industrie au niveau mondial », souligne Basak Aykut, directrice artistique des Marginaux.

« Et je ne pense pas que la situation actuelle va nuire à ce secteur, car aussi longtemps que les gens sont enfermés chez eux ils vont regarder la télévision », pronostique-t-elle.