Je refuse de m’endormir devant la télévision. Même en luttant contre une émission soporifique, je me frappe les joues en hurlant comme Camilo aux Chefs ! ou je me jette un verre d’eau au visage, telle Criquette dans Le cœur a ses raisons, pour me rendre jusqu’au générique de la fin.

Ce n’est pas vrai qu’ils auront ma peau, oh que non. Dans les dernières semaines de confinement, il m’aurait fallu l’écarteur qui sert à garder les yeux ouverts dans le film Orange mécanique pour m’éviter autant de violence envers ma petite personne. Sérieux, les claques sur la face, ça va faire, là.

Pour esquiver ces séries ronflantes et peu attrayantes, voici ce qu’il ne faut pas regarder à la télé, malgré le chant des sirènes de Netflix ou l’insistance d’un algorithme généralement bien informé.

PHOTO LOU FAULON, NETFLIX/ASSOCIATED PRESS

Amandla Stenberg et André Holland dans The Eddy

Commençons par la prestigieuse série The Eddy sur Netflix, réalisée en partie par le cinéaste Damien Chazelle, qui nous a offert les mémorables films Whiplash et La La Land. Quelle déception. 

C’est long, long, long comme un solo de trompette — dans un quintette de jazz — qui n’en finit plus de finir. Arrachez-lui son instrument quelqu’un, ça presse.

Tournée à Paris, dans un mélange boiteux de français, d’anglais et d’arabe, la minisérie The Eddy raconte la vie ordinaire des employés ordinaires d’une boîte de jazz qui en arrache. Divulgâcheur : ça ne va pas bien aller.

L’un des copropriétaires du bar, un taciturne pianiste américain joué par l’excellent André Holland (The Knick, Moonlight), souffre d’un blocage créatif et a fui femme et enfant. Seule surprise de l’histoire, sa fille adolescente débarque de New York pour le rejoindre à Paris, où elle fait les 400 coups avec un rappeur algérien. Cette relation père-fille acrimonieuse est exaspérante et très clichée.

Maints acteurs vus récemment dans des films primés, dont Un prophète, de Jacques Audiard, et Cold War, de Pawel Pawlikowski, apparaissent dans The Eddy, qui est en fait le nom du club de jazz de la série, situé dans le 13e arrondissement, près du périphérique.

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André Holland et Joanna Kulig dans The Eddy

Dans The Eddy, la forme a pris le dessus sur le fond. Oui, c’est magnifique, avec une exploration d’un Paris plus pauvre, crasseux et rugueux, mais ça repose sur un scénario qui paraît improvisé, comme une session de jazz entre aficionados. Eux autres tripent à fond. Pas nous.

Remarquez, c’était peut-être ça, le but : construire une minisérie comme un morceau de jazz expérimental insupportable. 

Au troisième épisode sur un total de huit, j’ai capitulé. Aucun personnage n’y est attachant, et tout le monde a l’air de se sortir d’une longue dépression nerveuse.

On est loin d’Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle, dont la bande sonore, signée Miles Davis, est un chef-d’œuvre.

Autre télésérie qui m’a attrapé dans ses filets, mais pas nécessairement pour les bonnes raisons : Defending Jacob (À la défense de Jacob en version française) d’Apple TV+.

D’abord, j’avais oublié que je souscrivais à ce service en ligne, merci. Ensuite, j’ai l’impression qu’en regardant le premier et le dernier épisode de Defending Jacob, je ne raterais pas grand-chose.

Adapté du roman éponyme de William Landay, Defending Jacob met en vedette Chris Evans (le Capitaine America de Marvel) et l’épatante Michelle Dockery, alias la Lady Mary de Downton Abbey. Ces deux acteurs jouent un adorable couple de bobos, parents d’un adolescent de 14 ans, le fameux Jacob du titre.

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Chris Evans, Jaeden Martell et Michelle Dockery dans Defending Jacob

Lui, un procureur adjoint, roule en Audi. Elle, qui s’occupe d’enfants de la DPJ, conduit un Land Rover. Leur magnifique maison en banlieue de Boston ressemble à celle de Celeste (Nicole Kidman) dans Big Little Lies.

Tout ce beau monde bien habillé s’aime jusqu’au jour où la police découvre le cadavre d’un adolescent dans le parc où les parents du quartier font leur « petit » 10 kilomètres du matin. La victime, qui a été poignardée plusieurs fois, est un camarade de classe de Jacob.

Vous devinez ici que la police soupçonne Jacob d’avoir commis le meurtre et procède à son arrestation. En un claquement de doigts, la famille parfaite devient la famille paria du voisinage.

Très, très lentement, on tente de comprendre ce qui s’est passé dans le parc. Le Jacob en question, qui clame son innocence, est étrange, peu aimable et renfermé. On a vraiment le goût de le brasser : “enwèye”, parle, le grand, défends-toi !

D’épisode en épisode, les deux parents tentent de percer la carapace de Jacob, en vain. Une neuropsychiatre s’y attaque aussi, en vain.

Apple TV+ n’a mis en ligne que cinq des huit épisodes de Defending Jacob. Je suis pris au piège. Car j’ai vu les cinq premières heures et je veux savoir comment l’histoire se finira, quitte à sacrifier une parcelle de santé mentale.

En temps normal, j’aurais tout débranché ça. Mais là, je m’accroche de façon désespérée. Maudite pandémie, hein ?