La tendance n’est pas nouvelle, mais elle ne semble pas s’essouffler. Le crime-réalité, ou true crime, gagne du terrain, inspire au Québec et se décline désormais en séries télé, en baladoémissions et en chaînes YouTube. Un engouement là pour rester ?

« Nous sommes des centaines, au Québec, à rêver de faire le prochain Serial », confie Manuelle Légaré.

Serial, c’est la baladoémission qui a captivé des millions de personnes depuis le lancement de sa première saison, en 2014. Et qui a été suivie par une multitude de docu-crime-réalités. Dont Making a Murderer et The Keepers, qui ont cartonné sur Netflix.

C’est d’ailleurs en s’inspirant du rythme et de la narration fascinante du premier titre et de la réalisation proche des protagonistes du deuxième que les producteurs-collaborateurs Guillaume Lespérance et Manuelle Légaré ont conçu Le dernier soir. Une série diffusée sur ICI Tou.tv, animée par la journaliste Monic Néron et retraçant l’assassinat de Diane Déry et de Mario Corbeil en 1975. L’un des seuls doubles meurtres d’enfants (ils étaient âgés de 13 et 15 ans) commis au Canada, et resté non résolu.

Pour raconter cette tragique affaire, les collègues se sont donné une règle capitale : « Pas de comédiens. Pas de reconstitutions de meurtres ou de discussions. » Que du vrai, donc. « On s’est inspirés des codes américains. Et des balados, surtout, précise Guillaume Lespérance. La télévision est un support extraordinaire, mais les podcasts, comme In the Dark, ça me fait capoter. »

On n’a rien inventé. Mais on le fait à la manière et avec les conditions québécoises. Par rapport à ce que l’on peut dire, aux documents disponibles, à la collaboration des corps policiers. Ce n’est pas la même réalité.

Manuelle Légaré, productrice du Dernier soir

Seconde règle, donc : respecter, oui, les limites légales, mais surtout éthiques et morales. « On aurait aimé ça, parfois, que ce soit spectaculaire, avoue le producteur. Mais on voulait aussi pouvoir croiser ces familles dans cinq ans et les regarder dans les yeux. »

Gagner la confiance

La participation de ces familles est du reste un facteur primordial quand on fait du true crime. Dans le cas du Dernier soir, « les gens n’ayant pas de références québécoises du genre, il a fallu gagner leur confiance, renchérit sa collaboratrice. Leur expliquer que – sans vouloir dénigrer –, on ne ferait pas Un tueur si proche ».

Il ne faut pas oublier : quand on fait du true crime, on a une instance directe dans la vie de gens qui ont été profondément blessés. Ce n’est pas vrai que le temps efface les choses quand on parle d’assassinat d’enfants. Le temps n’efface rien. La douleur est aussi vive qu’au premier jour.

Guillaume Lespérance, producteur du Dernier soir

Mais comment se fait-il que la tendance du crime-réalité a mis plus de temps à arriver dans la province ? Les collègues s’entendent : « La complexité d’un tel projet est énorme. Ça prend une équipe, des connaissances, des moyens. Et la volonté de donner une information juste, équitable, transparente et fondée. »

Pour leur enquête, ils ont ainsi fait une demande en bonne et due forme aux Archives nationales pour obtenir les rapports du coroner, parlé à plus de 110 personnes en espérant brasser les souvenirs, colligé les informations. Dans l’espoir, toujours, que se ravivent les mémoires. « Quand on brasse des choses comme ça, je ne sais pas si l’on amène vraiment du réconfort, analyse Guillaume Lespérance. Mais je crois que l’on apporte de l’écoute. Du respect. Et, surtout, de la visibilité. Pas juste aux intervenants, mais à leur histoire. »

N’oublie pas l’internet

C’est aussi pour « aider les victimes et les familles et donner de la visibilité à des cas délaissés » que Victoria Charlton anime sa chaîne. Accueillant ses 321 000 abonnés par les mots « Allô, internet ! », la youtubeuse québécoise qui habite à Monterrey, au Mexique, s’emploie à relater des cas de crime-réalité. « Je ne suis pas une journaliste, je raconte des histoires. Mais des histoires vraies », précise-t-elle.

C’est en 2016 que cette bachelière en études littéraires a entendu parler de la mort non élucidée, dans un hôtel de Los Angeles, de la Canadienne Elisa Lam. « Je n’en ai pas dormi de la nuit, se souvient-elle. Je cherchais des vidéos en français, mais il n’y en avait pas. » Elle en a donc créé une. Puis, elle a enchaîné avec d’autres consacrées, entre autres, au meurtre de la petite reine de beauté JonBenét Ramsey, qui a secoué les États-Unis. Encore une fois, elle trouvait « plein de théories, beaucoup de détails, mais rien en français sur le sujet ».

Depuis, la youtubeuse, qui s’apprête à publier un livre, sort aussi deux vidéos par semaine. Des commentateurs critiques lui ont déjà lancé : « Tu ne dois pas avoir d’enfants pour parler de choses horribles comme ça ! » Mais elle se défend de faire du sensationnalisme. Dernièrement, elle a même commencé une vidéo en priant ses abonnés – c’est tout à son honneur – de commenter non pas son maquillage ou ses jolis ongles, mais bien le cas présenté.

Elle s’est également mise à aborder de plus en plus de disparitions survenues au Québec, comme celles de Marilyn Bergeron et de Mélissa Blais – afin de ne jamais les oublier. 

Je me base sur les infos publiques. Je fais un résumé, avec des photos et des vidéos. Je suis, par exemple, en contact avec les proches de Nathalie Champigny, une jeune femme portée disparue à Cowansville en 1992. Je n’avais jamais entendu parler de cette histoire. Ça m’a tellement choquée.

Victoria Charlton

Parfois, le true crime dévie, par exemple quand elle fait une vidéo intitulée « Cardi B, une Illuminati ? » ou « Est-ce que Beyoncé est possédée ? ». « Ouin, ça, c’est du divertissement !, concède-t-elle. Mais j’essaie de m’éloigner des théories du complot. Plus je fais de recherches sur le paranormal, plus je vieillis, moins j’y crois. »

Si elle a été l’une des premières youtubeuses québécoises à faire du crime-réalité, elle remarque que de plus en plus entrent dans la vague. Comme elle-même l’a fait avec les balados, support qu’elle « ne connaissait pas avant de commencer sa chaîne ». En fait, ce sont les deux gars de Distortion qui l’ont jointe, il y a deux ans, pour faire une collaboration : « C’est là que j’ai réalisé : “Heille, il y en a d’autres qui font comme moi, au Québec !” »

Crime et Cie

Justement, Emile Gauthier et Sébastien Lévesque, les animateurs de la Distorsion susmentionnée, auront bientôt leur propre émission du même titre sur les ondes de Moi et Cie. Ils y parleront de légendes urbaines, de crimes non résolus.

La chaîne spécialisée est, en outre, habituée à offrir du docu-crime-réalité. Parfois même de la fiction basée sur des faits réels, tel le bien nommé Law and Order True Crime.

Mais pourquoi ce genre ne cesse-t-il de gagner en popularité ? « Probablement pour les mêmes raisons que bien des gens ralentissent pour regarder les accidents sur la route, répond Suzane Landry. Et puis, parce qu’il propose une quête de vérité. » La directrice principale des chaînes et de la programmation chez Groupe TVA sent l’engouement sans cesse grandissant pour les histoires vraies en général, et celles liées au crime en particulier. « Ce qui nous captive, c’est que nous devenons un peu à notre tour inspecteur. »

L’hiver dernier, justement, Hiver cruel revenait sur une série d’enlèvements d’enfants survenue dans la banlieue de Detroit il y a 30 ans. L’enquête était reprise, les preuves de nouveau examinées, des témoins interrogés. Il y a aussi eu le succès senti de Où es-tu ?. Une émission qui aura une seconde saison pilotée par Marie-Claude Barrette, qui allait à la rencontre de personnes cherchant toujours un proche disparu. Comme Guillaume, Manuelle et Victoria, Suzane Landry souligne que le procédé permet de « braquer la lumière sur une enquête qui pourrait donner l’impression de stagner ». « Ça nous permet de dire aux familles : vous n’êtes pas seules, nous sommes avec vous. De redonner un peu d’espoir. » Et puis, peut-être, d’apporter des éléments nouveaux. « Dans des crimes non résolus, il y a des gens qui savent des choses qui n’ont pas parlé. C’est sûr. S’il y a eu crime, il y a eu geste. »

Retour sur quatre baladoémissions de docu-crime-réalité

Cold

Une très bonne balado qui porte tout aussi bien son titre. Cold, froid. Pas d’effusion de sentiments, pas de musique pétaradante. Juste des faits, des faits, des faits. Le journaliste Dave Cawley reste en retrait, évitant le mot « je », laissant toute la place aux détails infinis qu’il a passé trois ans à recueillir sur l’affaire Susan Powell, femme disparue en 2009 après une vie passée dans un mariage triste et toxique. Top.

Synthèses

Dans le même ordre d’idées, à savoir une narration sensible et recherchée, mentionnons cet excellent titre diffusé par QUB radio qui retrace « l’évènement le plus invraisemblable et étrange de l’histoire récente de l’Outaouais », soit le meurtre non résolu de Valérie Leblanc. Les six épisodes sont réalisés par Steve Boivin et animés par Julien Morissette, qui fait preuve de grand respect et de transparence (son père étant coroner, il confie avoir pu créer des liens rapidement avec des personnes-clés du cas). Au fil de rencontres avec des amis, des membres de la famille, des journalistes, ils reviennent sur ce jour du 23 août 2011, afin que l’affaire « ne tombe pas dans l’oubli ». Travail réussi.

To Live and Die in L.A.

L’une des productions les plus populaires du moment, To Live…, souffre aussi de l’un des plus grands défauts du genre : un narrateur pompeux qui se met constamment en scène, faisant mine de pleurer avec les victimes et enchaînant les « cool ! » aux pires moments. Journaliste au Rolling Stone (« Habituellement, je traîne avec Snoop ou Johnny Depp pour ensuite écrire des portraits d’eux »), Neil Strauss ne cesse de commettre des gaffes. Pire : il ne semble pas s’en excuser. Dommage, car le récit de cette actrice macédonienne disparue dans de tragiques circonstances mériterait un traitement plus sobre.

A Very Fatal Murder

Pour rigoler un peu, car il le faut parfois, ce titre satirique de The Onion met justement en lumière les dérapes du style docu-crime-réalité. Mi-satire, mi-hommage aux classiques à la Serial, ces capsules comiques fort bien écrites mettent en scène un animateur prétentieux. Amoureux de l’hyperbole, il cherche le crime parfait avec la victime parfaite pour faire une balado parfaite au propos super allumé et pertinent, qui en dirait beaucoup sur « la condition de la classe moyenne de l’Amérique profonde au XXIe siècle ». Marrant.