Des milliers de fans de Game of Thrones filment leurs réactions aux épisodes de la série, qu'ils partagent sur YouTube, où les vidéos sont vues parfois des millions de fois. Que signifie ce phénomène ?

Devant leurs webcams, ils crient, ils pleurent, ils sont bouche bée, ils lancent des jurons ou ils applaudissent en regardant Game of Thrones, l'une des séries les plus populaires de l'histoire. Et sur YouTube, les compilations des réactions de fans sont parfois vues des millions de fois, particulièrement après un tournant dans l'intrigue. Mais pourquoi allons-nous voir les réactions des autres à ce que nous avons nous-même vus la veille ? 

Il s'agirait, selon Antonio Dominguez Leiva, professeur de littérature à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et codirecteur de Pop-en-stock, d'une nostalgie de la communauté. « Il y a un paradoxe au fait d'être ensemble sans être physiquement ensemble, explique-t-il. Il est clair qu'il y a une nostalgie de la présence réelle, et on trouve des moyens, à travers la culture numérique, de partager des impressions. » 

« Le paradoxe lui-même, c'est qu'on est seul devant son écran, mais on peut mettre en scène à la fois cette solitude et cette envie de la communauté. »

- Antonio Dominguez Leiva, professeur de littérature à l'UQAM

Antonio Dominguez Leiva rappelle que ce qui a rendu des films « cultes », c'était par exemple les cinémas de minuit, où les fans se retrouvaient pour célébrer ensemble une oeuvre - c'est un peu ce que l'on retrouve au festival Fantasia, par exemple. On peut voir ça quand, toutes les semaines, au Burlington Bar de Chicago, des fans de Game of Thrones se réunissent pour regarder les épisodes en groupe devant quelques caméras soigneusement placées pour filmer leurs réactions - le public réactif du Burlington Bar est très populaire sur YouTube. Et quand le téléspectateur regarde ces vidéos, il valide en quelque sorte ses propres émotions. Il n'est pas seul à souffrir de la mort de Jon Snow ! 

« On sait qu'il y a des événements traumatisants dans Game of Thrones, souligne le professeur, et on s'amuse à retrouver le moment de la surprise par rapport à une "twist" de la narration, on prend plaisir à voir décuplé cet effet de surprise, d'horreur, de rire nerveux. C'est un peu comme si on se prenait soi-même comme observateur et observé. Le problème, c'est qu'avoir 5000 amis Facebook, ça reste abstrait, et une façon d'incarner une communauté, c'est de partager et de valider nos expériences les uns par rapport aux autres. Parce que les communautés de fans sont essentiellement marquées par leur réaction globale. N'oublions pas que le mot "fan" vient de "fanatique." »

Il se pourrait bien aussi que les lecteurs des livres de George R. R. Martin, au courant depuis longtemps des revirements inattendus de la série, aient eu envie de filmer leurs amis ignorants des chocs à venir - d'ailleurs, l'auteur d'A Game of Thrones a régulièrement félicité ses lecteurs qui ont préservé les secrets de l'intrigue.

Viralité et concurrence

Bien sûr, les créateurs de la série connaissent ce phénomène, dit Antonio Dominguez Leiva. Game of Thrones et The Walking Dead fonctionnent beaucoup avec ce que l'on appelle des cliffhangers, qui nous tiennent sur le bout de notre divan. « C'est un vieux procédé, comme les romans-feuilletons au XIXe siècle. Et ces moments de tension n'arrivent pas seulement à la fin de l'épisode, c'est toutes les cinq ou dix minutes pour assurer l'intérêt des téléspectateurs dans un milieu très concurrentiel, car tout ce que l'on visionne est en compétition avec le reste. Toutes les séries suivent de près les réactions des fans, et les artisans sont très conscients des effets viraux des moments les plus importants. »

Avec des téléspectateurs aux quatre coins du monde, ce partage des émotions rassemble les fans, à une époque où les chaînes d'État n'ont plus le monopole des publics. Autrefois, tout le monde regardait en même temps les mêmes émissions, qui allaient devenir le lendemain la conversation autour de la machine à café au travail - les gens sont aussi nostalgiques de ça, selon le professeur. 

« Ce rituel intime, ensemble à la maison, c'était l'idée même de la télévision, alors que maintenant, on est tellement perdus entre les séries que l'on suit. »

- Antonio Dominguez Leiva, professeur de littérature à l'UQAM

Game of Thrones et The Walking Dead sont diffusées une fois par semaine, ce qui augmente le suspense, au contraire de Netflix, qui propose ses séries d'un bloc. Est-ce une façon de démontrer que les chaînes télé ont encore de la puissance dans le monde du streaming ? « Netflix a fait le pari, pas évident au début, du binge watching [visionnement en rafale], note Antonio Dominguez Leiva. Du coup, le suspense n'est pas dans l'étalement des épisodes, mais dans l'attente de la prochaine saison. Ce ne sont pas toutes les séries qui ont les budgets de Game of Thrones, et le binge watching permet de mettre de l'avant des séries qui probablement seraient perdues si elles étaient hebdomadaires. Ça donne une chance à des séries aux budgets moyens. »

Cinq moments qui ont fait crier les fans

La mort de Ned Stark

On avait bien vu quelques morts violentes dans la saison 1, mais lorsque l'honorable Ned Stark, que tout le monde aimait, a été décapité sur l'ordre du méchant Joffrey, les téléspectateurs ont commencé à comprendre que même les personnages les plus aimés n'étaient pas à l'abri d'une mort violente. Et ce n'était que le début de la descente aux enfers des Stark...

Le « Red Wedding »

Ce moment sanglant, bien connu des lecteurs de George R. R. Martin, a été un véritable traumatisme pour les fans de la série qui n'avaient pas lu le livre. Ces noces, qui sont en fait un piège tendu par Walder Frey, sont un véritable massacre où Robb et Catelyn Stark, entre autres victimes, sont sauvagement tués. À l'émission de Conan O'Brien, George R. R. Martin a bien ri quand on lui a présenté les réactions virales des fans.

La mort de Jon Snow

Jon Snow, c'est un peu le « Jésus » de Game of Thrones, dont le destin passionne les fans, l'un des personnages les plus importants de la série. Devenu lord Commandant de la Garde de nuit, il fait face à une mutinerie où il est mis à mort. Même Olly, son jeune protégé, lui assène le dernier coup de poignard, tel un Brutus, tel un Judas. Si bien que ce moment a été rebaptisé « Fuck you Olly » sur les réseaux sociaux.

La résurrection de Jon Snow

Le premier épisode de la saison 6 était immensément attendu par les fans, qui refusaient la mort de Jon Snow, alors qu'il était impossible qu'il ait survécu à tous ces coups de poignard. Mais c'était sans compter sur les pouvoirs magiques de la prêtresse Melisandre. Aussi, quand Jon Snow s'est réveillé d'entre les morts, les téléspectateurs ont hurlé de joie.

La « bataille des bâtards »

C'est l'une des batailles les plus épiques et sanglantes de Game of Thrones (du moins, avant de voir la saison finale qui promet des combats encore plus mémorables). Au Burlington Bar de Chicago, cet épisode a fait passer les fans par toute la gamme des émotions, jusqu'à la mort horrible du tout aussi horrible Ramsay, qui a procuré la plus belle des revanches à Sansa. Jouissif.