La 16e saison de la téléréalité Keeping Up with the Kardashians s'est amorcée cette semaine sur les ondes de E!. Adorée par certains, symbole de vacuité pour d'autres, la «nouvelle famille royale américaine» ne laisse personne de marbre. Est-il antiféministe de critiquer les Kardashian? Qu'est-ce que le clan nous apprend sur notre société? Coup d'oeil sur un phénomène polarisant.

Kim au MBAM

La présence de Kim Kardashian à Montréal le 25 février dernier sur le tapis rouge de l'exposition Thierry Mugler n'est pas passée inaperçue. La vedette de la téléréalité Keeping Up with the Kardashians, invitée personnellement par le couturier, était attendue par une cinquantaine de médias sur le tapis rouge. Décriée par certains sur les réseaux sociaux, sa venue a été vécue comme un véritable choc des cultures. «J'ai été très surprise de voir à quel point Kim Kardashian avait un fan-club à Montréal, des gens qui l'admirent et l'aiment, venus à la porte du musée juste pour la voir. C'est très rare qu'on voie ça au musée! On a vu des gens fous d'elle qui auraient payé cher juste pour une photo à ses côtés! D'autres regardaient ça un peu comme une étude sociale», se souvient Pascale Chassé, directrice des communications du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), qui a également dû composer avec des commentaires virulents sur les réseaux sociaux.

«Les gens pensaient que nous avions payé pour qu'elle soit là, ce qui n'était pas le cas: M. Mugler a invité Mme Kardashian, qui est venue à ses propres frais», précise-t-elle.

Présentée par le MBAM comme une invitée du couturier parmi tant d'autres, Kim Kardashian lui a tout de même permis de jouir d'une visibilité sans précédent. «Elle a juste un peu plus d'abonnés Instagram [133 millions] que les autres, disons!», s'amuse Pascale Chassé.

«Les retombées ont été nombreuses pour nous. En tant que directrice des communications du musée, mon premier travail est que tout le monde sache qu'il y a une expo Mugler à Montréal. La venue de Mme Kardashian a attiré beaucoup de journalistes au tapis rouge, alors le travail de notoriété s'est fait beaucoup plus rapidement que d'habitude. Ç'a été repris partout. On a régulièrement une presse internationale, mais rarement une presse people», explique-t-elle.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le designer Thierry Mugler a invité Kim Kardashian à l'ouverture de l'exposition qui lui est consacrée au Musée des beaux-arts de Montréal, le 25 février.

Est-il antiféministe de critiquer les Kardashian?

Présentées par leurs détracteurs comme de mauvais modèles pour les jeunes femmes, Kris, Kim, Khloé, Kourtney, Kylie et Kendall sont régulièrement la cible de virulentes critiques. Récemment, Jameela Jamil, actrice de la série The Good Place, s'en est prise à la famille qu'elle qualifie d'«agent double du patriarcat» et de «terrible et toxique influence sur les jeunes filles», notamment en raison des régimes dont ses membres font la promotion sur les réseaux sociaux.

Directrice du Research Centre for Global Lives, Meredith Jones considère toutefois qu'aucune féministe ne devrait critiquer d'autres femmes, surtout en disant qu'elles sont un mauvais exemple. «On est très critiques face aux femmes qui sont dans la sphère publique, et on leur demande d'être des modèles à suivre, ce qu'on ne demande pas aux hommes. Personne ne va parler de David Beckham comme d'un bon ou d'un mauvais modèle. On va simplement observer ses réussites», indique la chargée de cours en études sur le genre et les médias à l'Université Brunel de Londres.

«On pourrait très bien dire que Kris est un modèle pour les femmes dont le partenaire est devenu transgenre ou que Kim est un modèle pour celles qui ont des opinions politiques différentes de celles de leur conjoint. Ou encore que Kylie est un modèle pour les jeunes mères célibataires», ajoute la chercheuse qui s'est penchée sur l'impact des Kardashian sur les femmes britanniques.

«La plupart des jeunes femmes voient les Kardashian comme des princesses de Disney. Elles vivent une vie irréelle, un quotidien dramatique, une existence utopique où les femmes se soutiennent entre elles et n'ont pas besoin des hommes. Ce sont des personnages fantastiques, un peu comme une famille royale!», s'exclame-t-elle.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @KIMKARDASHIAN

La 16e saison de Keeping Up with the Kardashians a débuté cette semaine.

Redoutables femmes d'affaires

Selon Forbes, Kylie Jenner est actuellement la plus jeune milliardaire du monde. Sa soeur Kendall Jenner est quant à elle la mannequin la mieux rémunérée de la planète alors que Kim Kardashian a déjà amassé plus de 100 millions de dollars US avec sa gamme de maquillage. La valeur nette de leur mère et agente Kris Jenner est de 60 millions de dollars US, récoltés en grande partie grâce à son rôle de productrice déléguée de Keeping Up with the Kardashians.

Le 30 mars dernier, la journaliste du New York Times Amy Chozick, auteure du livre Chasing Hillary, s'est intéressée dans un article intitulé «Keeping Up with the Kardashian Cash Flow», à l'empire commercial des Kardashian, présentant les femmes de la célèbre famille comme de redoutables femmes d'affaires.

«Les critiques disent qu'elles sont célèbres simplement pour être célèbres. Le monde de l'art a dit la même chose d'Andy Warhol quand il a présenté ses premières soupes en conserve», lance la journaliste. «Le succès de leur téléréalité et notre incapacité à leur donner du mérite en disent long sur notre société et ce n'est pas tout le monde qui aime se regarder dans le miroir! s'amuse Amy Chozick en entrevue avec La Presse. Mais les Kardashian méritent qu'on leur donne le mérite d'être des pionnières dans l'art de monétiser l'influence.»

Un argument que partage également Meredith Jones. «On vit dans une culture où les gens sont récompensés pour des choses qui n'étaient pas valorisées par le passé. Elles font partie d'un nouveau style entrepreneurial. Elles travaillent fort et sont motivées, mais ne font pas leur argent de façon traditionnelle», analyse-t-elle.

Pour Amy Chozick, du New York Times, le succès de la téléréalité des Kardashian n'est pas près de s'estomper alors que les membres de la famille mettent le public en appétit sur les réseaux sociaux à travers de petits scandales, dont il ne pourra connaître les dessous sans regarder Keeping Up with the Kardashians.

Mais quel genre d'héritage culturel vont laisser les femmes de la famille Kardashian derrière elles au bout du compte? «Elles vont avoir de l'influence pendant encore quelques décennies! Kim s'implique de plus en plus socialement, notamment à travers son travail dans les prisons. Elle a l'air de faire de grands changements à cet égard, en tentant de changer les politiques. Kanye a déjà été pressenti pour se présenter à la présidentielle, mais je crois qu'il y a plus de chances que Kim devienne une puissante politicienne», conclut l'universitaire Meredith Jones.

Lisez l'article du New York Times (en anglais)

Les Kardashian à l'université

En 2015, Meredith Jones, aussi chargée de cours en études sur le genre et les médias à l'Université Brunel de Londres, a organisé le premier Kimposium!, un symposium consacré à l'étude des Kardashian.

«Cette famille est intéressante de différents points de vue sociologiques. Tout d'abord, comme phénomène de la culture populaire, particulièrement sur les réseaux sociaux. Les Kardashian en disent long sur notre société et elles sont aussi des décideuses culturelles à plusieurs égards. La famille est aussi intéressante à analyser dans sa manière de représenter les genres et les races. Les Kardashian ne peuvent être ignorées par quiconque veut faire une analyse sérieuse sur la culture populaire», précise Mme Jones.

Alors que le Kimposium! a connu un véritable succès auprès des universitaires, il a été très critiqué par le grand public. «J'ai reçu beaucoup de commentaires négatifs de la part des gens sur les réseaux sociaux. Ça m'a beaucoup choquée. J'ai des collègues qui ont étudié toutes sortes de téléréalités, mais ils n'ont pas reçu le genre de propos haineux qui m'ont été envoyés. Je me suis demandé pourquoi les gens étaient si passionnés dans leur haine des Kardashian. Ça a beaucoup à voir avec le genre. Si j'avais proposé une conférence sur toute autre star de téléréalité masculine, comme Bear Grylls [Man vs Wild], je ne pense pas que cela aurait été reçu de la même manière. Il y a une université britannique qui tient une conférence sur les Beatles, mais son utilité scolaire n'a jamais été remise en question. Je crois sincèrement que ce qui porte le plus grand préjudice à cette famille, c'est qu'elle soit composée de femmes puissantes», lance Meredith Jones.

PHOTO JORDAN STRAUSS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le rappeur Travis Scott et Kylie Jenner ont eu une fille, Stormi, en février 2018.