Pendant sept ans, Danielle Trottier a réussi un tour de force: intéresser le public québécois au sort des femmes qui vivent en milieu carcéral. Cette aventure professionnelle unique, l'auteure de la série Unité 9 n'est pas près de l'oublier. Elle se raconte.

La prison des femmes

«Quand j'ai commencé à écrire Unité 9, il n'y avait pas grand-chose d'écrit sur les femmes incarcérées. Il a fallu que je fasse de la recherche de fond, que je lise beaucoup. Ce qui a été le plus difficile, c'est d'établir un lien de confiance entre les femmes et moi. Au départ, je me suis beaucoup intéressée aux peines à vie. C'étaient des femmes qui avaient reçu des peines de 25 ans, elles avaient une longue route derrière elle. Il a fallu que j'aille les rencontrer à plusieurs reprises. Elles ont tout de suite compris l'intention que j'avais. Et elles m'ont appris beaucoup de choses. Ça m'a permis d'installer les bases. Après, ç'a été un échange continuel, à un point tel que je fais partie maintenant du clan des femmes qui ont vécu l'incarcération.

«C'est vraiment particulier quand on réalise qu'il y a quelque chose qu'on sait que les autres ne savent pas, parce qu'ils ne l'ont pas expérimenté. Je communique avec les femmes, elles me donnent des nouvelles. Après chaque épisode, il y en a une qui reçoit tous les appels des femmes qui sont à l'intérieur et à l'extérieur des murs. Elle m'appelle et me fait un compte rendu des commentaires. J'ai constamment du feedback. Chaque année, je contribue financièrement afin qu'il y ait des cours de communication non violente à la prison des femmes de Joliette. Écrire Unité 9 m'a permis de prendre conscience de la grande souffrance des femmes ainsi que de MA propre souffrance. Parce que moi aussi, j'avais un certain sentiment d'être emprisonnée. Je peux dire que je me suis moi-même libérée à travers ce processus-là.»

Avant d'écrire

«Quand je me suis assise devant mon ordinateur, c'était pour écrire, pas pour réfléchir. La réflexion avait eu lieu avant. J'avais passé deux ou trois mois à écrire tous mes personnages. Je savais qu'ils iraient du point A au point B, mais je ne savais pas encore comment chacun allait s'y rendre. J'avais dosé leur évolution psychologique, l'impact émotif de certains événements sur leur vie, etc. Tout était dans ma tête. Quand je commence à écrire, la saison est placée. Pour Unité 9, je travaillais avec des maquettes. C'est sans doute l'ancienne muséologue en moi [rires]. Avant d'écrire un seul mot, je déplaçais les personnages dans la maquette de la prison.»

La routine de l'écriture

«Quand j'écris, je me lève à 5 h. Je prends une tasse de café et je pars dans ma cabane qui est installée à l'écart de la maison, près de la rivière. J'en sors vers 9 h 30-10 h. Si je suis en forme, je travaille jusqu'à 10 h 30. Ça dépend de mon état psychologique et physique. J'essaie de m'arrêter à un moment crucial, quand j'ai hâte de savoir la suite. Ensuite, je nage une heure. Et là, je vis pendant deux ou trois heures. Je mange seulement une fois par jour, au milieu de la journée. Alors comme c'est le seul repas, mon conjoint et moi en faisons quelque chose de spécial. Si ça ne s'est pas passé comme je le voulais le matin, je retourne écrire l'après-midi. J'écris sept jours par semaine, je saute rarement une journée. Ma vie est centrée autour de l'écriture, il faut accepter ça. Je suis au service d'une histoire et ça prend toute la place. Je n'écris pas dans la douleur, c'est un vrai plaisir. Mes doigts ne vont pas assez vite pour ma pensée. Quand je suis en période d'écriture, je suis couchée à 19 h. Je m'impose une routine absolument exigeante.»

La décision de terminer Unité 9

«J'ai décidé de mettre fin à Unité 9 quand j'ai senti que j'arrivais à des fins de cycle avec plusieurs personnages. Il y avait aussi chez moi un désir de sortir de prison. Sept ans, c'est long. C'est bête à dire, mais c'est presque une moyenne de peine au fédéral. Dès le départ, je savais que j'avais pour environ sept ans de matériel dramatique. D'ailleurs, j'avais donné une peine de sept ans à Marie, symboliquement. Je savais comment je voulais finir et je savais comment m'y rendre. Tout était inclus dans le premier épisode. Je disais aux téléspectateurs: je vais m'approcher des femmes, je vais les déshabiller et je vais vous montrer ce qu'elles cachent. Dès le début, il y avait tout ça et après, il fallait que je le déploie.»

Le viol de Jeanne

«Il y a eu toute une réflexion à propos de la scène de viol. D'abord, de toutes les femmes que j'ai rencontrées, autour de 85 % ont été victimes d'agressions sexuelles, d'attouchements, etc. Or, je n'avais pas encore traité ça de front. C'était important pour moi d'en parler. Je ne voulais pas trahir la souffrance des femmes, je l'avais trop entendue. J'avais accepté de la porter avec elles et je la portais à l'écran. Je leur donnais une parole. Si j'étais passée à côté de cela, je m'en serais voulu. D'autant qu'à travers toute cette histoire, je m'adresse aussi aux hommes. En écrivant cette scène, il y avait un objectif.

«Alors dans cette scène, tu as le coupable, tu as celui qui regarde et qui ne fait rien (il incarne tous ces gens témoins de violence sexuelle qui ne font rien), et tu as le troisième, qui est victime de l'effet de groupe. Le gars aussi est une victime, c'est extrêmement puissant. C'est ça que je voulais illustrer. Et les téléspectateurs l'ont compris. J'étais sur le plateau avec Jean-Philippe Duval lorsqu'il a tourné la scène. On ne voulait vraiment pas la rater. On a parlé de notre intention aux acteurs, à Jeanne et à l'équipe technique. Quand je l'écrivais, quand on la tournait et quand on la montait, on était conscients de ce qu'on faisait. Ce n'était pas innocent.»

La dernière saison

«La dernière année a été très difficile à écrire. Si je n'étais pas en possession de mes moyens pour écrire une scène pour un personnage qu'on verrait une dernière fois, je ne pouvais pas l'écrire. Je ne pouvais pas lui faire ça, on avait travaillé trop fort pour arriver là. D'épisode en épisode, j'ai vécu. C'était exigeant émotivement et psychologiquement. J'ai également dû annoncer aux femmes que c'était la fin. Elles ont eu le sentiment qu'elles allaient de nouveau disparaître, qu'elles allaient retourner derrière les murs. Moi, je pense que les gens ont eu l'occasion de comprendre que derrière les murs, il y a des humains.»

La dernière scène

«J'ai écrit la dernière scène d'Unité 9 en mars dernier [il y a un an]. J'étais en Uruguay, où nous possédons une maison depuis 15 ans. C'est une ferme qui s'appelle El Cielito, ce qui signifie "le petit ciel au-dessus de ma tête". On y passe de quatre à cinq mois par année. Mon bureau est dans la sellerie, un bâtiment qui est détaché de la maison. J'ai la même routine là-bas qu'ici.

«Cette journée-là, mon chum savait que j'allais écrire la dernière scène. Et il savait que ce serait très difficile pour moi. Et ça l'était. Laisser des personnages qu'on a tant aimés... je les ai tellement aimés... J'ai aimé les autres personnages que j'ai écrits, mais à cause du réalisme et de leur humanité, c'était plus difficile de laisser ceux d'Unité 9. Des fois, c'est tellement proche, tu oublies que c'est un personnage. Je quittais des amies, un pays. Comme beaucoup de femmes me l'ont témoigné, on a hâte de quitter la prison, mais en même temps, on y laisse quelque chose de très important.»

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

C'est dans sa «cabane» aux abords de la rivière que Danielle Trottier s'installe pour écrire.