Dans une même année, certains comédiens composent des personnages aux antipodes. Si le costume fait parfois une grande partie du travail, plusieurs rôles imposent une démarche, un accent, voire une énergie qui change tout.

Vincent Leclerc passe de Séraphin au dandy contemporain de Ruptures avec une aisance déconcertante. Julie Le Breton incarne la plantureuse Délima dans Les pays d'en haut avec autant de crédibilité que la policière rustre de Victor Lessard. Alex Godbout personnifie avec brio la petite racaille de L'heure bleue et le garçon un peu niais dans En famille, alors que Mikhaïl Ahooja se fait rarement reconnaître d'un personnage à l'autre, même si ses costumes ne sont pas toujours très différents. Les quatre acteurs expliquent leur démarche.

Des rôles exigeants

La composition de Séraphin Poudrier a exigé une grande réflexion à Vincent Leclerc. «Avec 150 scènes costaudes par année, il faut nuancer davantage, dit-il. Le personnage est écrit très large dans la méchanceté et la fragilité. C'est assurément le rôle le plus complexe et le plus intéressant que j'ai eu à faire.»

Il s'est d'ailleurs permis d'entrer en relation avec les différents services liés au costume, à la coiffure et au maquillage pour élaborer le vilain personnage. «Au début, je m'excusais de faire ça, parce que je respecte le travail de chacun. Mais au fond, tout le monde veut composer quelque chose de fort et avoir un apport artistique au projet.»

Sa collègue dans Les pays d'en haut, Julie Le Breton, a l'habitude d'étirer l'élastique de son jeu, elle qui a déjà joué la blonde gentille dans Les beaux malaises, alors qu'elle donnait vie à la méchante de toutes les méchantes, Milady, dans Les trois mousquetaires

«C'est très tonique de jouer des rôles aussi polaires et différents dans leur essence et leurs façons de voir le monde. J'adore ça!»

Cela dit, certains rôles sont particulièrement exigeants, comme celui de Jacinthe dans Victor Lessard. «C'est un personnage dont je ne serai jamais entièrement satisfaite. Elle est rough, mais attachante et drôle en même temps. La première saison joue à TVA présentement, alors qu'on commence bientôt le tournage de la troisième, et je vois que je suis rendue ailleurs. Les traits un peu grossiers au début se sont affinés avec le temps.»

Un détail qui change tout

Mikhaïl Ahooja fait partie de ceux qui se transforment avec de simples éléments, comme en témoignent son personnage de résident en médecine gêné dans Au secours de Béatrice et le père de famille évoluant en construction dans Une autre histoire. «Que ce soit avec le costume, un accessoire ou la coiffure, j'essaie de donner une indication qu'on est ailleurs.» 

«C'est mon grand plaisir de créer des personnages différents. Je tripe sur des acteurs comme Michael Fassbender, lorsque ça me prend 15 minutes pour réaliser que c'est lui.»

Très doué pour changer d'accent, le comédien québécois s'inquiète toutefois du naturel des actions physiques qu'il n'a jamais faites. «Quand je dois manier un marteau ou scier une planche en faisant croire que c'est mon boulot depuis des années, alors que je n'ai jamais fait ça, c'est un grand défi pour moi.»

Affirmant avoir ni l'âge ni l'expérience pour se faire confier des personnages plus grands que nature comme Séraphin Poudrier, Alex Godbout s'efforce néanmoins de faire en sorte que ses personnages se démarquent les uns des autres. Dans le film La petite fille qui aimait trop les allumettes, il devait même accepter de détonner avec le reste de la distribution. «Les trois quarts du film portent sur les enfants et leur père, qui ont leur atmosphère et un langage propre à eux. Moi, je jouais l'étranger, qui avait un rythme complètement différent. Je devais éviter d'être affecté par le jeu de mes partenaires, tout en restant connecté à eux et conséquent avec mon rôle.»

Se baser sur le texte 

De manière générale, Ahooja se fie à ses premières impressions de lecture d'un scénario pour visualiser l'allure d'un personnage. «S'il ressemble à quelque chose que j'ai déjà joué dans une série, je vais faire exprès pour être différent et éviter que les gens me reconnaissent d'emblée. Certains acteurs aiment qu'on sente leur personnalité à travers les rôles, mais pas moi. Je suis assez discret dans la vie.»

Même chose pour l'interprète de Séraphin. «Mon désir de vérité est prioritaire, mais ensuite, je veux offrir de la surprise. J'essaie volontairement de présenter quelque chose de nouveau, sans nuire au projet et sans aller dans l'excentricité.» Il croit d'ailleurs tirer avantage d'être associé si clairement à l'avare des Laurentides. 

«À partir de cette image que les gens ont de moi, je peux m'éloigner très loin. Plusieurs personnes croyaient que le personnage allait me nuire, mais c'est finalement l'inverse.»

Si plusieurs choix se font à partir du texte, d'autres se font en étroite collaboration avec le réalisateur et les partenaires de jeu. «Mon travail s'inscrit en gang, affirme Julie Le Breton. Quand je tourne une scène avec Vincent Leclerc, on ne peut pas jouer la même note, car ce serait plate. S'il incarne une espèce de manipulateur, je dois aller ailleurs.»

Photo David Boily, archives La Presse

Mikhaïl Ahooja

Dissociation de soi

Alex Godbout parle quant à lui d'une démarche d'empathie. «Quand je découvre une situation que vit un personnage, je laisse passer mes propres impressions, afin d'imaginer ce qu'il a vécu, lui. J'essaie de marier ma signature artistique d'acteur avec le spectre émotif d'un personnage qui ne m'appartient pas du tout. Je me dissocie de mon vécu et de mes émotions.»

Il analyse également son allure physique pour offrir autre chose quand il joue un rôle. «Je fais un genre de scan pour voir comment je me tiens, pour plein de raisons, comme le fait d'avoir joué au hockey ou d'avoir grandi à Val-d'Or. Ensuite, je crée une nouvelle entité qui, par exemple, n'a pas fait de sport et qui a plus l'habitude de flâner, en observant l'effet sur mon corps.»

Cette recherche visuelle le pousse à évaluer d'infimes subtilités de son visage. 

«Je m'observe pour comprendre si un rictus est trop pointu ou approprié pour un personnage. Évidemment, tout n'est pas réfléchi et calculé. J'improvise sur le plateau.»

Quand il est question de visuel et d'esthétique, Mikhaïl Ahooja précise qu'il ne fait pas partie des acteurs qui tiennent à bien paraître. «Si le personnage le commande, je vais l'assumer, mais je n'ai pas besoin d'être beau à tout prix à l'écran. J'aime être laid, ça m'amène ailleurs.»

Puisqu'il joue souvent dans plusieurs séries en même temps, il fait un effort pour que son apparence ou son énergie soient différentes. «Puisque j'ai commencé en faisant de l'impro, j'arrivais toujours avec des propositions variées, et ça me sert aujourd'hui.»

Si plusieurs acteurs adorent jouer l'opposé de ce qu'ils sont, ils ne peuvent pas toujours éviter ce genre de personnages. «Si ça colle à qui je suis, je n'ai pas de problème avec ça, répond Vincent Leclerc. Une carrière va être beaucoup plus faite de rôles qui nous ressemblent, car c'est ce qu'on dégage. Il ne faut pas se casser la tête avec ça. Tu ne veux pas devenir l'excentrique de l'UDA!»

Photo Marco Campanozzi, archives La Presse

Alex Godbout