Les prix Gémeaux sont décernés cette année dans un contexte tendu. La Soirée des artisans et du documentaire se tenait hier soir, tandis que l’éventualité d’une grève générale qui pourrait paralyser le milieu se fait de plus en plus menaçante.

Techniciens de plateau et producteurs de télévision se sont réunis cette semaine pour célébrer le talent des artisans, créateurs et producteurs du milieu. Dimanche suivra la cérémonie principale de remise des prix Gémeaux.

La Soirée des artisans et du documentaire s’est déroulée dans une humeur festive, presque sans allusion à la querelle intestine dans l’industrie.

Car dans les coulisses, techniciens et producteurs nagent en pleine mésentente depuis plusieurs mois. Au cœur du conflit de travail, une convention collective échue depuis près d’un an et des négociations qui n’aboutissent pas.

De part et d’autre du conflit, on s’accorde pour dire que le nœud du problème concerne les demandes salariales. « L’enjeu crucial est la rémunération des techniciens, dit Gilles Charland, directeur général de l’Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son (AQTIS). Cela fait 10 ans qu’il n’y a pas eu d’augmentation de salaire. »

Hier, l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM) a dit avoir joué ses dernières cartes. À la suite d’une assemblée extraordinaire, mercredi, durant laquelle les membres ont rejeté à l’unanimité les dernières demandes de l’AQTIS, l’AQPM présente aujourd’hui une offre bonifiée. La balle est dans le camp des techniciens.

« Les producteurs ont mis leur meilleure offre sur la table. La marge de manœuvre est [désormais] inexistante. Il est impossible que les conditions soient bonifiées avec la menace de grève », explique Hélène Messier, présidente-directrice générale de l’AQPM.

La nouvelle proposition prévoit une augmentation des cachets minima de plus de 10 % en télévision et d’environ 5 % en cinéma, ainsi qu’une progression des minima à un rythme supérieur à l’indice des prix à la consommation pour les quatre années de l’entente proposée.

D’après Hélène Messier, le syndicat est allé au-delà de ses limites avec cette proposition. « Et les conséquences vont se refléter dans le futur, dans un contexte où l’industrie de l’audiovisuel peine à financer ses productions », dit-elle.

Notons que les négociations en ce qui concerne la rémunération visent à établir un cachet minimum, selon les normes de la Loi sur le statut de l’artiste.

La menace de la grève

Représentants des techniciens de plateau et des producteurs discuteront aujourd’hui et demain afin de tenter d’adopter une entente de principe. Mais en période faste de production télévisuelle, la mésentente s’est envenimée ces dernières semaines.

Si ces dernières négociations ne débouchent pas, l’AQTIS fait planer la menace du déclenchement d’une grève dès dimanche. Alors que la cérémonie des Gémeaux s’amorcera au Théâtre St-Denis, les membres de l’AQTIS décideront lors d’une assemblée extraordinaire d’accepter ou non les propositions de l’employeur.

Le cas échéant, les syndiqués pourraient adopter un mandat de grève générale illimitée.

En ce qui concerne le bon déroulement du gala principal des prix Gémeaux en cas de débrayage, l’AQTIS a assuré à La Presse ne pas avoir prévu d’actions de perturbation.

La grève illimitée est un moyen de pression extrême. L’association des techniciens l’assume pleinement. Déjà, le 29 août, les techniciens de plateau ont débrayé une première fois. Une dizaine de plateaux de tournage avaient dû suspendre leurs activités. « Que des pigistes votent en faveur d’une grève à 89 % [celle du 29 août] démontre de la détermination et un grand ras-le-bol, dit Gilles Charland, directeur général de l’AQTIS. On veut que l’industrie se développe, qu’elle soit pérenne. Mais il faut se rendre compte qu’il est question d’êtres humains qui ont des familles et le goût que les choses changent. »

« Ça aurait des conséquences désastreuses que les plateaux cessent de tourner pendant plusieurs mois. J’ai de la misère à imaginer l’impact sur l’industrie et comment elle pourrait s’en remettre », ajoute Hélène Messier.

D’autres enjeux tels la cadence de travail, la formation professionnelle, la priorité d’embauche et les régimes d’assurance et de retraite faisaient partie des demandes de l’AQTIS. Toutefois, les deux parties s’accordent également pour dire que la plupart des enjeux normatifs ont été réglés.

Gala dans la bonne entente

Durant l’événement d’hier, animé par Émilie Perreault et Olivier Niquet, le conflit aurait pu prendre l’avant-scène.

Dans la salle, remplie d’acteurs du milieu, le sujet était au centre de certaines conversations alors que chacun s’installait en début de soirée.

Mais une fois venu le temps des discours, alors qu’une cinquantaine de techniciens et autres artisans étaient récompensés pour leur travail, le sujet au cœur des discussions sur les plateaux et dans les coulisses n’a presque pas été abordé.

Hélène Choquette, après avoir reçu le Gémeaux du meilleur scénario de série documentaire, a fait valoir que l’industrie télévisuelle traverse une époque de crise. Elle a déploré le fait que les équipes techniques sont invariablement réduites sous la pression de budgets insuffisants.

Sans dire un mot, l’un des gagnants pour le meilleur son dans la catégorie humour, pour le Bye bye 2018, a pris le temps de montrer à la caméra (la cérémonie était diffusée sur la page Facebook des prix Gémeaux) un t-shirt portant le mot « AQTION ! », slogan de la lutte syndicale de l’AQTIS.

Luc Wiseman, colauréat du Gémeaux de la meilleure série documentaire (société), a pris le temps d’affirmer son souhait de voir plusieurs générations de techniciens continuer à travailler sur les plateaux de tournage. « Je suis inquiet pour la suite et ce qui va se passer dans le lieu », a-t-il avoué.

Crainte ambiante

L’insécurité règne dans l’industrie de la télé et du cinéma, alors que la grève risque de compromettre de nombreux horaires de plateaux.

« Si [l’AQTIS] endosse une grève illimitée, je ne vois pas comment l’industrie va s’en sortir, lâche Hélène Messier. Le débrayage une journée et l’annonce de la possible grève illimitée à eux seuls ont fait annuler et ont retardé des tournages. »

Les producteurs étant responsables des budgets, qui découlent majoritairement de fonds publics, ils ne veulent pas s’engager sans la certitude qu’ils pourront mener les projets qu’on leur propose à terme, explique Mme Messier.

Et l’absence de techniciens pourrait saboter des tournages d’émissions déjà en cours. L’émission hebdomadaire Infoman voit ses tournages mis en péril. Même problème pour En direct de l’univers, tournée en direct.

Sur les réseaux sociaux, quelques personnalités publiques ont expliqué les conséquences qu’a le conflit sur leur travail. C’est le cas de l’animatrice et actrice Bianca Gervais. Elle a indiqué cette semaine, dans une publication sur Instagram, avoir été informée que la nouvelle série dans laquelle elle devait jouer allait « sans doute » être reportée.

À moins d’un mois du tournage, la comédienne dit qu’elle aura du mal à rebondir, puisque « tous les rôles » ont déjà été attribués au mois de septembre.

Sous le message de Bianca Gervais, l’animatrice de l’émission Vendre ou rénover Maïka Desnoyers a indiqué que son émission aussi se trouvait sous la même épée de Damoclès.