« Toujours les mêmes ! » Voilà une plainte qui revient fréquemment lorsque les premiers invités d’une nouvelle émission sont annoncés. Pourtant, une analyse de 11 émissions choisies révèle qu’ils sont peu nombreux à avoir visité plusieurs plateaux. Pourquoi alors cette perception reste-t-elle si ancrée ?

La directrice générale de la Télévision de Radio-Canada, Dominique Chaloult, n’est pas du tout surprise d’apprendre que les trois quarts des invités de 11 plateaux télé recensés par La Presse n’y ont été vus qu’à une seule reprise.

« C’est une fausse perception qu’on voit toujours le même monde ! Mais quand on le dit, personne ne nous croit ! », lance-t-elle.

Dominique Chaloult retourne le miroir : « De qui les journalistes vont le plus parler dans leur média ? Ce sont des “A” qui passent à nos émissions. On va lire : “Ce soir, à Bonsoir bonsoir !, il y a Véronique Cloutier.” Mais si nous avons Véronique Claveau, personne ne va écrire : “Ce soir, il y aura Véronique Claveau.” C’est un cercle vicieux où tout le monde parle plus des “A”. »

L’animateur André Robitaille est lui aussi persuadé qu’il y a de la diversité parmi ses invités à Entrée principale et aux Enfants de la télé. « J’ai des statistiques qui confirment exactement vos chiffres. Ça va faire 10 ans que Les enfants de la télé existe et nous avons encore du nouveau monde. Oui, il y en a qui reviennent, mais c’est parce qu’ils ont beaucoup de matériel ou parce qu’ils ont vieilli et qu’ils ont fait du nouveau stock. »

Du côté de Groupe TVA, la directrice principale chaînes et programmation, Suzane Landry, nous a expliqué par courriel que des visages moins connus du grand public, comme l’était Ludivine Reding à ses débuts, ne restent pas dans l’ombre longtemps : « Parce qu’à TVA, nous avons la capacité de leur procurer rapidement de la visibilité et une notoriété en les invitant dans nos talk-shows. »

Ouvrir avec des « A »

Cette perception est peut-être due au fait que ce sont régulièrement les mêmes personnalités qui inaugurent les nouvelles émissions, ainsi que les débuts de saison.

Par exemple, Guy A. Lepage a été le premier invité de la dernière saison des Échangistes. Il a aussi donné le coup d’envoi au Show de Rousseau, aux côtés de Maripier Morin.

Cette dernière a ouvert la porte de son condo à Phil Roy pour la première émission de Phil s’invite à V. La coanimatrice du gala Artis a aussi été la deuxième invitée de Pour emporter à ARTV. Elle a également participé à la première de Bonsoir bonsoir !, avec Guylaine Tremblay, qui avait elle-même inauguré la deuxième saison de La vraie nature à TVA.

« Pourquoi invite-t-on toujours Véro ou Guy A. au show 1 ? Parce qu’ils sont de bons invités », affirme André Robitaille.

Pour Dominique Chaloult, c’est un fait : les « A » font monter les cotes d’écoute. Il faut commencer par inviter des supervedettes pour attirer un plus large bassin de téléspectateurs, dans l’espoir de les fidéliser à l’émission.

« Un exemple évident est Tout le monde en parle. Les six premiers mois, nous n’avons reçu que du monde très connu. Une fois que la notoriété et les cotes d’écoute se sont installées, nous nous sommes mis à recevoir des gens moins connus et à en faire découvrir au public. » — Dominique Chaloult, directrice générale de la Télévision de Radio-Canada

Jean-Philippe Dion partage ce constat. L’animateur et producteur délégué de La vraie nature explique qu’il a invité un plus grand nombre de personnalités très populaires à la première saison de l’émission qu’à la deuxième, justement parce qu’il devait d’abord attirer le public et « établir la marque de l’émission ».

« Il faut s’assurer d’avoir des noms assez porteurs pour qu’on puisse faire des couvertures de magazines, qu’on en parle dans les médias et sur les réseaux sociaux. Une fois que l’émission est établie, là, tu peux te gâter à rentrer des nouveaux noms. Et à ce moment-là, si tu regardes les cotes d’écoute, ça ne fluctuera pas tellement parce que les gens ont déjà adopté le concept de ton émission. »

Les animateurs omniprésents

Et si notre lassitude envers les « A » concernait avant tout les animateurs surexposés ? En plus de les voir à la barre de leur propre émission, ils apparaissent fréquemment sur d’autres plateaux.

L’émission Phil s’invite en est un bon exemple. L’humoriste y a reçu Maripier Morin, Pénélope McQuade, Valérie Roberts, Pascal Morissette, Étienne Boulay, Pierre-Yves Lord, Marilou, Maxim Martin, Jay Du Temple, qui ont tous animé une émission de télévision ou de radio au cours de la dernière année.

« Être interviewé, c’est un travail. Tu es payé, premièrement. Et il faut que tu te donnes. Se donner, ce n’est pas de faire six pirouettes à la Tom Cruise chez Ellen DeGeneres. Mais il faut que tu te prépares et que tu mouilles ta chemise. Les animateurs comprennent ça. » — L’animateur André Robitaille

En plus d’animer Mémorable ! à Radio-Canada, Deux hommes en or à Télé-Québec et Ma génération sur Tou.tv, Pierre-Yves Lord a entre autres été vu à La vraie nature à TVA, à Phil s’invite à V, à Prière de ne pas envoyer de fleurs à Radio-Canada et à L’effet wow à ARTV.

Il confie qu’il se sent « extrêmement choyé d’être invité » et ne se demande pas pour savoir s’il est surexposé. « Je n’ai rien à cacher, je n’ai rien à vendre. C’est dans des contextes plaisants que je suis invité, et je suis très relaxe avec ça », dit l’animateur.

Pour Jean-Philippe Dion, c’est à l’animateur qui reçoit une personnalité populaire de travailler pour ne pas servir du réchauffé. « C’est facile de recevoir un gros nom et de se dire qu’on va juste surfer dessus. Mais c’est là que le téléspectateur va se dire : “Ah non, c’est encore lui qui est invité !” Sauf que ce n’est pas sa faute à lui s’il se répète. C’est la faute de l’animateur. »

La pertinence avant tout

Lorsqu’on annonce à Pierre-Yves Lord que Deux hommes en or est l’émission qui a reçu le plus d’invités qui n’ont pas été vus sur les autres plateaux, il dit considérer cela comme « une tape dans le dos extraordinaire ». « Pour moi, ça vaut plus que n’importe quel trophée, parce que la notoriété d’une personnalité, ce n’est pas un critère pour nous », dit le coanimateur de l’émission.

PHOTO ANDRE PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le coanimateur de Deux hommes en or, Pierre-Yves Lord

« En réunion, on peut passer une demi-heure à s’obstiner sur la première question qu’on va poser ! Surtout si c’est quelqu’un qu’on connaît médiatiquement, on va tout faire pour qu’il ne nous répète pas ce qu’il a dit à Tout le monde en parle ou dans La Presse. » — L’animateur Pierre Yves Lord

Depuis Bons baisers de France, l’animatrice et productrice France Beaudoin confie être soucieuse de mettre en lumière des personnes moins connues des Québécois.

En plus de produire Banc public à Télé-Québec, où Guylaine Tremblay ne s’entretient pratiquement qu’avec des personnes inconnues du grand public, France Beaudoin a choisi d’animer Pour emporter à ARTV. Cette émission où elle passe une heure avec un invité offre un équilibre entre gens célèbres et moins célèbres.

Tout comme Dominique Chaloult, elle souligne que ce sont les émissions où elle a reçu des vedettes (Guy A. Lepage, par exemple) qui ont attiré le plus grand nombre de téléspectateurs : « J’aimerais dire qu’il y a eu des exceptions, mais il n’y en a pas eu. »

Malgré tout, la deuxième saison de Pour emporter ne misera pas que sur les « A ». Elle y recevra entre autres Raymond Saint-Pierre, le docteur en biochimie Richard Béliveau, la spécialiste des mammifères marins Lyne Morissette et la présidente de Médecins sans frontières, la Dre Joanne Liu. Mais aussi Éric-Emmanuel Schmitt, « parce que ce n’est pas vrai que les “A” ne sont pas pertinents ».

La guerre des réseaux

Avec la guerre des réseaux, il y a aussi des visages que nous ne voyons jamais aux chaînes concurrentes. Du coup, cela réduit le nombre de personnes que les animateurs peuvent recevoir à leurs émissions.

« Est-ce que j’ai vu des gens se faire dire non par TVA pour venir à mes shows ? Oui. Ce n’est pas illégal, c’est leur façon de gérer. Mais personnellement, je prône une multitude de plateformes pour les artistes et le discours. Nous sommes un petit milieu et je pense qu’il faut s’aider », dit France Beaudoin, qui assure avoir toujours eu le feu vert pour inviter qui il elle veut à Radio-Canada.

Il est possible que des personnalités associées à TVA n’aient pas le droit de visiter des plateaux d’autres chaînes, mais Jean-Philippe Dion affirme pouvoir inviter qui il souhaite à ses émissions diffusées à TVA.

« À La vraie nature, nous avons une grande liberté. Si vous regardez la liste [des invités], nous avons reçu Élise Guilbault, Pénélope McQuade, France Castel, Sophie Prégent… Ce sont tous des gens qui sont dans des émissions sur d’autres antennes », dit l’animateur.

Guerre des réseaux ou pas, Jean-Philippe Dion coanime ce soir le gala Artis, qui récompense les personnalités du petit écran, toutes chaînes confondues. L’an dernier, près de 1,8 million de téléspectateurs ont regardé cette soirée… Comme quoi les vedettes attirent toujours les foules !