En braquant sa caméra sur des cultivateurs clandestins qui parasitent les champs de maïs ou qui purifient leur pot à coups d’injections de butane, le journaliste Simon Coutu nous plonge, avec son documentaire Cannabis illégal, dans l’univers nébuleux des petits trafiquants à l’ère de la légalisation. Une démarche de terrain délicate mais réussie.

Déjà un vieux routier du sujet du cannabis et des drogues, Simon Coutu, jeune reporter de Vice Québec, voulait «marquer le coup» de la légalisation en s’intéressant à ceux qui en sont exclus.

Avec une modeste équipe de production (Éric Picolli à la réalisation, Carlos Guerra à la recherche), Simon Coutu a convaincu une demi-douzaine d’acteurs du marché noir de dévoiler leurs méthodes. 

Le trio livre une œuvre remplie d’action et de scènes d’adrénaline captées sur le vif, dans un style très «terrain» rappelant un peu le journalisme de guerre. «Tu n’as pas le choix d’être une petite équipe comme ça pour avoir ce genre d’accès, dit Simon Coutu. Plus tu es nombreux, plus tu exposes les personnes qui ont accepté d’être filmées. Ce sont des personnes qui n’avaient strictement rien à gagner à se retrouver devant une caméra.»

Les «voleurs de cannabis»

La démarche d’incursion donne lieu à des scènes troublantes, comme celle où un producteur clandestin se rend compte, en débarquant en pleine nuit au milieu d’un champ que sa récolte de 80 000 $ a été dérobée par un voleur. En colère, il révèle avoir déjà commis un crime odieux: «V’là deux ans, on a trouvé le téléphone d’un gars qui nous a volés… On a pogné ses enfants à la garderie, pis man, il nous a pas revolés.»

Sans commenter l’action, le documentariste nous emmène ensuite dans le ciel du Québec en compagnie d’un de ces «voleurs de cannabis», qui explique son modus operandi pour détrousser cette confrérie sans foi ni loi de mariculteurs masqués. La séquence est une perle journalistique. 

«C’est un super beau personnage à la moralité trouble», indique Simon Coutu, qui a bien failli ne jamais lui donner le micro, ne voyant pas son intérêt dans le cadre d’un documentaire traitant de la légalisation du cannabis. 

«Mais on a réalisé que ça fait partie de la légalisation aussi: comme il y a de plus en plus d’offre légale, il y a de moins en moins d’argent à faire pour les producteurs illégaux, ce qui génère de plus en plus de crime... incluant entre eux.»

Tout au long du film, l’équipe a fait le choix de ne pas prendre le téléspectateur par la main ; la parole est principalement laissée à des trafiquants et à des acteurs de l’ombre: «Je challenge l’aspect criminel de leurs activités, mais c’est vrai que je le fais avec une approche empathique, sans jugement. Tu ne peux pas avoir un accès comme celui-là en étant toujours dans un combat de boxe pendant l’entrevue», estime Simon Coutu.

Le résultat n’est pas complaisant pour autant. «J’ai abordé ce sujet de la même façon que j’aborde les groupes d’extrême droite ou d’extrême gauche», lance le reporter.

Reportages percutants

Pour ceux qui l’ignorent, Simon Coutu s’est aussi fait connaître par ses reportages donnant la parole à des groupes identitaires d’extrême droite comme Atalante Québec et les Soldats d’Odin. Un de ses reportages lui a valu, en mai dernier, une visite de militants masqués qui sont venus l’intimider dans les bureaux de Vice Québec. L’auteur présumé de cette attaque est actuellement devant les tribunaux pour harcèlement criminel, intimidation, introduction par infraction et méfait.

Cannabis illégal explore avec un rythme intense les mêmes franges marginales de la société. Le style est légèrement rebelle, un peu gonzo, mais il offre un regard unique sur le côté trash de la légalisation. On reconnaît d’ailleurs là la signature typique de Vice, qui a agi à titre de producteur.

«C’est le gouvernement qui devrait regarder ce film pour voir comment le marché noir fonctionne. Ça l’aiderait à mieux s’adapter», suggère l’auteur.

À Télé-Québec le 17 avril, 20 h.