De plus en plus de scènes érotiques LGBTQ+ meublent les séries américaines, au grand plaisir de la communauté, qui voit enfin sa réalité intime au petit écran. Qu'en est-il au Québec?

Depuis quelques décennies déjà, la télé américaine regorge de personnages de gais et de lesbiennes (Will and Grace, Modern Family, Sex and the City...), mais les auteurs ne mettaient pas en scène leur intimité. Alors que depuis très longtemps, les scènes sexuelles entre des personnages hétérosexuels sont fréquentes.

Les temps changent, et les relations intimes LGBTQ+ sont de moins en moins taboues dans les séries grand public aux États-Unis.

Dans Dear White People, deux jeunes hommes font l'amour de manière explicite. Une relation située dans un campus universitaire, dans une série originale de Netflix qui s'adresse à un large public. Alors que Lionel Higgins (DeRon Horton) pénètre son partenaire Wesley (Rudy Martinez), ce dernier éprouve de la douleur et lui demande de se retirer. Ce que fait Lionel, qui met alors plus de lubrifiant avant de recommencer.

Dans bien des médias, surtout de la communauté LGBTQ+, cette séquence a été chaudement applaudie. «La scène gaie la plus RÉALISTE de tous les temps», lit-on en titre du magazine Pop Buzz.

Autre scène d'amour qui a fait grand bruit: celle dans American Gods avec deux hommes musulmans. Dans The Guardian, sous le titre «Comment American Gods a changé le jeu du sexe gai à la télé», il est écrit: «En ce qui concerne le sexe entre deux hommes, il s'agit d'un tournant: un moment explicite, franc et profondément intime.»

Ces séries télé contribuent «à normaliser dans l'espace public leur existence et leur visibilité, estime Martin Blais, sexologue, sociologue et professeur à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). C'est aussi important [de les voir] que de voir des couples hétérosexuels s'embrasser ou faire l'amour. Les téléséries jouent un rôle important de socialisation. Elles transmettent des normes sur ce qui est acceptable ou non, des façons de dire et de faire. Ne pas montrer certaines réalités, c'est suggérer qu'elles ne sont pas montrables, pas dignes d'être montrées, voire inacceptables ou indésirables.» 

Chez nous

Au Québec, Unité 9 a déjà présenté des scènes érotiques entre une détenue et une IPL. Son auteure Danielle Trottier explique qu'elle a toujours créé des personnages LGBTQ+ dans ses oeuvres, puisque cette diversité fait partie de son quotidien.

Il y a plus d'une décennie, dans Emma, diffusée à TVA, le personnage de Marc Béland a adopté un enfant avec son conjoint. La scénariste précise quand même qu'à cette époque, elle était très discrète sur la sexualité de ce couple: «Treize ans plus tard, je peux m'en permettre un peu plus», dit Danielle Trottier.

Parmi les scènes érotiques entre deux femmes qu'elle a écrites pour Unité 9, elle affirme que celles entre les personnages d'Ève Landry et de Mélanie Pilon sont les plus belles, puisqu'il y a véritablement de l'amour entre elles. La scène de leur relation sexuelle dans une douche a particulièrement fait jaser.

«Ç'a fait le tour des réseaux LGBT! Ç'a été repris dans de grands réseaux, nous étions même top 1 sur des sites à New York! C'était tellement une belle histoire d'amour que ç'a retenu l'attention», se rappelle Danielle Trottier, fière d'avoir montré cette réalité au petit écran.

«La scène a eu énormément de résonance! ajoute Mélanie Pilon. J'étais très, très surprise. Sur Facebook, je suis passée de 300 abonnées à 16 000. Il y avait des gens du large public, mais aussi beaucoup de personnes de la communauté [LGBTQ+] qui nous remerciaient de mettre enfin cette réalité en lumière.»

«Une partie des téléspectateurs vont me dire: "Pourquoi tu montres ces affaires-là?" Il y en a d'autres qui vont me dire que je n'en ai pas assez montré. Mais dans la réalité, il y a beaucoup plus d'amour, de sexualité et d'affection dans les prisons que ce que je montre», explique Danielle Trottier.

Mélanie Pilon, qui affirme qu'elle n'accepterait pas de jouer une scène érotique et de nudité si elle n'apportait rien à l'histoire, a aussi joué dans la première websérie gaie au Québec, Coming out, diffusée sur Sympatico de 2011 à 2013.

Son auteur, réalisateur et acteur Mathieu Blanchard a créé deux saisons, dont chaque épisode dure une douzaine de minutes. Sept pays ont acheté cette création: «Elle a eu une belle vie à l'extérieur du pays. Au total, ce serait des millions de vues, mais je n'ai pas les données exactes», explique-t-il.

«Ç'avait fait jaser, mais c'était juste du positif. On me disait: enfin, on voit des gais se frencher! Et on voit de l'amour, pas juste du sexe.»

Sa série n'a pas révolutionné le genre, au dire de Blanchard, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une dramatique comme nous en voyons régulièrement. Sauf que ses personnages étaient issus de la communauté LGBTQ. D'après lui, le succès de sa websérie vient d'ailleurs de cette particularité: il montrait une diversité que nous n'avions pas l'habitude de voir au Québec.

«À l'époque, il n'y avait pas vraiment de présence [issue de la communauté] et quand il y en avait, c'était surtout dans des comédies. Il y avait Tout sur moi avec Éric Bernier, mais nous n'allions jamais dans la vie intime de son personnage. Il n'y avait jamais de scène de sexualité», juge Mathieu Blanchard.

Comme restriction, il ajoute que Sympatico avait seulement demandé de ne pas avoir de nudité frontale. Pour le reste, il a eu carte blanche. Les scénaristes Danielle Trottier et François Létourneau (Série noireLes invincibles) disent aussi que les diffuseurs ne sont pas frileux quant aux scènes érotiques.

«Nous n'avons jamais eu de problème avec Radio-Canada, qui est assez game. Je pense que lorsque ça se peut dans l'histoire, on va l'accepter», indique François Létourneau, coscénariste de Série noire et Les invincibles.

Il a abordé la bisexualité dans Les invincibles grâce au personnage interprété par Patrice Robitaille. Dans Série noire, il y avait le couple Claudio (Hugo Dubé) et Bruno (Martin Drainville), à la tête d'une organisation criminelle homosexuelle. Même si, avec le coscénariste et réalisateur Jean-François Rivard, ils n'ont pas montré l'amour homosexuel à l'écran, ils ont mis en scène un couple très amoureux.

«C'est ce que les gens ont aimé aussi, croit François Létourneau. Longtemps, les homosexuels ont eu des rôles de gars un peu parfaits. Là, les gens ont été surpris et se sont dits: "Ben oui, il y en a, des homosexuels criminels!" Cela dit, je n'écris pas pour convaincre ou sensibiliser les gens à des causes.»

«C'est une bonne chose quand nous osons bousculer les téléspectateurs, ajoute Danielle Trottier. Si je reste dans le spectre de la bousculade, le viol de Jeanne a tellement fait réagir! Le premier mandat est de divertir... mais oui, les gens aiment les histoires qui sont le reflet de la société.»

Ces téléséries ont le pouvoir d'envoyer un message clair aux personnes LGBTQ+, conclut Martin Blais: «Elles soutiennent que leurs vies sont légitimes, valables et montrables.»

Et la téléréalité?

Dans les téléréalités de rencontres amoureuses, les futurs couples commencent à sortir du moule standard femme/homme. En Grande-Bretagne, le chanteur et drag-queen Courtney Act anime cet automne la première téléréalité pour des bisexuels + (bi, pansexuel, fluide, etc.), The Bi Life sur E! Inspirés par Loft Story, les participants cohabitent dans un appartement à Barcelone: «Il est plus que temps d'avoir une émission de rencontres pour les jeunes d'aujourd'hui, comme moi, attirés par plus d'un genre», a expliqué Courtney Act, à E!

PHOTO FOURNIE PAR Netflix

Rudy Martinez (à gauche) et DeRon Horton dans Dear White People