Boudées récemment par les Emmys, les séries des grandes chaînes hertziennes américaines, autrefois incontournables, sont désormais noyées dans l'offre pléthorique de fictions, au point de poser la question de l'avenir de ce format.

La soirée du 18 septembre dernier a été longue pour ABC, CBS, NBC et Fox. Aucune de leurs séries n'a été primée lors de la cérémonie des Emmy Awards, les récompenses de la télévision américaine.

«C'est triste à dire, mais si les grandes chaînes ne changent pas leur approche, il y a des chances pour qu'elles ne soient plus là dans cinq ou dix ans», estime Martie Cook, professeure à Emerson College, scénariste et productrice.

«La télévision traditionnelle diffuse son propre enterrement», titrait le magazine spécialisé The Hollywood Reporter au lendemain des Emmys, la cérémonie ayant été diffusée sur NBC.

Les quatre grandes chaînes hertziennes américaines ont quasiment inventé le concept de séries et ont dominé ce format durant 40 ans, des années 50 à la fin des années 90, avec des programmes comme Seinfeld, le Cosby Show, Dallas, Star Trek ou Happy Days.

Mais leurs créations ne séduisent plus la profession, qui leur préfère désormais, lors des Emmys ou des Golden Globes, les plateformes de vidéo en ligne Netflix, Amazon et Hulu, mais aussi les chaînes câblées, principalement HBO.

«Elles doivent commencer à prendre des risques et arrêter de sortir le même genre de séries», juge Martie Cook, estimant nécessaire l'introduction de nouveaux auteurs et de «nouvelles idées». «Ils doivent comprendre que ce qui marchait avant ne marche plus aujourd'hui».

Certains parlent de snobisme. «L'industrie du divertissement honore les productions dont elle a le sentiment qu'elles leur donnent une bonne image, pas celles que le public préfère», écrit le journaliste Rich Heldenfels pour les quotidiens du groupe Tribune Media.

Le fait est que si certaines séries de Netflix, principalement Stranger Things, ou The Walking Dead et Game of Thrones des chaînes câblées AMC et HBO, font quasiment jeu égal avec les programmes phares de ABC, CBS, NBC et Fox, les grandes chaînes historiques sont encore capables de rassembler plus de 15 millions de personnes en moyenne sur une saison pour une série à succès.

«Réfléchir différemment»

Pour autant, ces derniers mois, de grands noms de la télévision traditionnelle, notamment la productrice Shonda Rhimes qui faisait les beaux jours d'ABC avec Grey's Anatomy, Scandal et How to Get Away with Murder, ont fait leurs valises.

Créateur de deux immenses succès de CBS, Two and a Half Men et The Big Bang Theory, le scénariste Chuck Lorre multiplie les projets pour Netflix, même s'il n'a pas renoncé aux «networks», les grandes chaînes hertziennes.

NBC a surpris avec son This is Us, de même que Fox avec Empire en 2015, mais les quatre grandes chaînes nationales américaines ne doivent, pour l'essentiel, leurs succès d'audience qu'à des séries anciennes, telles The Big Bang Theory (11 ans), NCIS (15 ans) ou la remise en route avortée de Roseanne.

«Aujourd'hui, ils arrivent encore à attirer les "baby boomers" avec des séries policières et des comédies familiales, parce que ces gens ont grandi avec la télévision à l'ancienne», analyse Martie Cook.

«Mais pour beaucoup» de téléspectateurs plus jeunes, dit-elle, «ce n'est même pas sur leurs écrans radar.»

Pour Amanda Lotz, professeure à l'Université de Michigan, les départs de quelques grands noms de la création sont un trompe-l'oeil. «Produire pour une grande chaîne reste, en général, bien plus lucratif» qu'ailleurs, dit-elle. «Donc il y aura encore du talent créatif disponible pour les "networks" tant qu'ils paieront à ce niveau.»

Même si elles sont désormais loin de Netflix (8 milliards de dollars en 2018), les grandes chaînes hertziennes investissent encore chacune, selon les estimations, entre 3 et 4 milliards de dollars par an dans leurs contenus, dont les séries ne représentent qu'une partie.

Amanda Lotz prévoit néanmoins qu'elles diminueront le temps d'antenne consacré aux séries, pour donner la priorité au direct, qui reste un domaine auquel les plateformes ne se sont pas encore vraiment attaquées.

L'offre en direct, même minoritaire, connaît déjà de bons résultats d'audience, avec le sport, mais aussi quelques émissions de téléréalité (America's Got Talent ou The Voice lors des finales) ou encore le Saturday Night Live de NBC.

«Ils doivent créer des événements que les gens ont envie de regarder en direct», estime Amanda Lotz, «ce qui n'a pas été leur priorité depuis bien longtemps».