The Handmaid's Tale est la série féministe de l'heure, qui fait écho aux préoccupations de l'actualité. Une illustration des pires peurs des femmes, mais aussi de leur résistance. De l'élection de Trump jusqu'aux marches des femmes et au mouvement #metoo, cette série, en poussant à l'extrême ce qui existe déjà dans nos sociétés, est en quelque sorte une mise en garde permanente. Nous en avons discuté avec Martine Delvaux, écrivaine et professeure de littérature à l'UQAM, et Julie Ravary-Pilon, stagiaire postdoctorale à l'Institut de recherches et d'études féministes de la même université.

«Aucune série ne m'a fait faire des cauchemars, mais celle-là, oui, avoue Martine Delvaux, auteure de l'essai Les filles en série, qui suit The Handmaid's Tale avec intérêt depuis le début. Je l'ai regardée en entendant dans le texte toutes les mises en garde, parfaitement justifiées, et qui demeurent, c'est ça qui est terrifiant. Dans les flash-back, on voit comment la société se morpionne, comment un régime comme celui-là arrive, et un des personnages dit: "Un jour, tout ça va devenir ordinaire." Et on doit constater, par exemple, que l'élection de Trump est devenue quelque chose d'ordinaire, malgré les scandales. J'ai rarement vu une oeuvre aussi forte.»

Au fond, nous sommes tous aussi ahuris face aux dérapages politiques dans le réel que l'est June/Offred (Elisabeth Moss) dans cette fiction. La narration en voix hors champ nous rappelle cependant qu'elle n'en pense pas moins - dans le premier épisode de la saison 2, on l'entend dire «What the fuck?», et c'est à peu près ce que nous ressentons comme spectatrices.

Cette voix off est l'un des éléments qui fascinent Julie Ravary-Pilon. «Elle apporte un côté sardonique au personnage, ça ajoute une sorte d'humour qui rappelle qu'il y a toujours une femme libre du XXIe siècle chez Offred. Cette voix off, l'humour et l'utilisation de la musique populaire apportent un peu de lumière et d'espoir à la série.»

«Nous avons tendance à lire les oeuvres de là où on est. Et le fait est que les femmes sont maltraitées dans le monde», explique Martine Delvaux, écrivaine et professeure de littérature à l'UQAM.

D'ailleurs, la principale critique dont la série a fait l'objet concerne l'évacuation de la question raciale aux États-Unis. «J'espère que les auteurs en ont pris note, ajoute Martine Delvaux. Parce que si on remarque, ce système totalitaire annule toute diversité, les femmes sont toutes réduites à des corps. La question de la suprématie blanche, j'espère qu'elle sera abordée.»

«Après tout, on a abordé la question de l'homosexualité», rappelle Julie Ravary-Pilon. Ce qui renforce le propos de la série, notamment lorsqu'une des servantes écarlates, lesbienne, se fait exciser pour cette raison. «C'est éclairant de parler de l'oppression hétérosexiste sur les personnages. Je pense que les auteurs ont entendu les demandes des fans et que la question du racisme doit être abordée.»

Enjeux féministes

Martine Delvaux salue quant à elle une série dystopique - un genre très prisé en ce moment, mais généralement très masculin - qui s'adresse clairement aux femmes.

«Cette télésérie, d'une immense qualité et qui connaît le succès, a tracé le chemin pour d'autres téléséries qui vont mettre à l'avant-plan des femmes et des enjeux politiques, sans faire de concessions par rapport à un public qui pourrait trouver cela rébarbatif, croit-elle. C'est rare qu'on soit le public cible de ce genre-là, et je n'ai jamais vu la violence masculine représentée de façon aussi frontale. Ce qui est fascinant, c'est le côté banlieusard riche de Gilead, alors qu'on veut tous s'identifier au rêve américain. Mais ce rêve est devenu absolument macabre. On est coincé, parce que ce que nous voulons va nous tuer. C'est le lieu de grandes inégalités, et si on part de ça, on est forcé de reconnaître, à la lumière de The Handmaid's Tale, qu'on est dans un système qui reproduit déjà ça, à une autre échelle.»

D'ailleurs, Margaret Atwood a toujours dit qu'elle s'était inspirée, pour son roman écrit dans les années 80, de systèmes d'oppression bien réels, rappelle Julie Ravary-Pilon.

«Margaret Atwood n'a rien inventé. Les violences envers les femmes étaient là avant Trump et c'est un enjeu qui va continuer d'être important.»

Ce qui est intéressant, c'est qu'on parle aussi de l'oppression des femmes par les femmes, souligne Julie Ravary-Pilon. «Les comédiennes ont beaucoup souligné le travail de Bruce Miller, le créateur de la série, dans la foulée du scandale Weinstein, explique-t-elle. Cette série n'est pas binaire: il y a des hommes et des femmes qui oppriment les femmes, et il y a des hommes et des femmes qui sont des alliés. Ce qui est clair, c'est que ce sont les femmes qui sont opprimées.»

«Cette série tombe dans le mille, conclut Martine Delvaux. Pour une fois, on n'a pas peur d'aller jusqu'au bout. Parce que ce n'est pas comme si rien de tout cela n'était là avant. Si le mouvement #metoo est arrivé, c'est que tous ces viols existaient avant Trump, et existent toujours. Cette série ne peut pas être trop sombre. C'est un rappel à l'ordre qui doit continuer.»