Demain, tous crétins ? C'est le titre provocateur d'un documentaire captivant, qui tente d'expliquer la baisse du quotient intellectuel (QI) depuis une vingtaine d'années. Un phénomène inquiétant que des scientifiques lient à l'augmentation des perturbateurs endocriniens.

L'image d'un adulte tentant de faire entrer une brique rectangulaire dans une fente circulaire - extrait du film Idiocracy - donne le ton. Tout comme ce commentaire de la biologiste du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Barbara Demeneix, qui se demande si la naissance d'un autre Bach ou Beethoven est aujourd'hui possible...

Depuis sa sortie en France au mois de novembre dernier, le documentaire de Sylvie Gilman et de Thierry de Lestrade, qui évoque la thèse d'une évolution inversée, est loin de faire l'unanimité. Accusés d'être alarmistes, les auteurs répliquent qu'ils ne font que relayer le point de vue de nombreux scientifiques de renom.

Le point de départ : une étude d'Edward Dutton, qui a eu accès aux mesures de QI des armées scandinaves. Le scientifique conclut qu'après avoir crû de manière constante depuis le début du siècle dernier, le QI de certains pays occidentaux (notamment la Finlande et la France) est en déclin depuis le milieu des années 90.

L'anthropologue anglais ne mâche pas ses mots.

« Nous devenons de plus en plus stupides, ça se passe en ce moment et ça ne va pas s'arrêter. Si nous ne faisons rien, la civilisation, qui repose sur l'intelligence, ira en sens inverse, et tout laisse croire que c'est déjà en train d'arriver. »

Quelles sont les causes de ce déclin ? Les documentaristes s'intéressent au mauvais fonctionnement de la glande thyroïde, essentielle dans le développement du cerveau. Une carence en iode chez les femmes enceintes est d'ailleurs à l'origine de la maladie du crétinisme et pourrait expliquer la baisse du QI, selon ces spécialistes.

Edward Dutton estime que la cause principale de ce déclin est génétique. Selon lui, les personnes avec un QI élevé ont tout simplement moins d'enfants depuis trois générations. Les documentaristes ont toutefois choisi d'explorer les causes environnementales pour expliquer cette baisse.

On parle essentiellement des perturbateurs endocriniens comme les pesticides ou les PCB, qui interagissent avec le système hormonal. Le déploiement des retardateurs de flammes (riche en tris), que l'on retrouvait abondamment (jusqu'à récemment) dans les vêtements pour enfants, les coussins, matelas ou tapis, sont aussi mis en cause. Un segment très intéressant du film.

Le titulaire de la Chaire en neuropsychotoxicologie environnementale de l'UQAM, Dave Saint-Amour, qui étudie l'impact des toxines environnementales sur les fonctions cérébrales, appelle à la prudence. « Oui, les perturbateurs endocriniens ont un impact sur le fonctionnement du cerveau et du système nerveux, affirme-t-il, mais de là à faire un lien avec la baisse du QI, il faut être prudent. D'autant plus que la baisse généralisée du QI n'est pas admise par tous... »

« L'exposition à l'alcool ou la malnutrition auront un impact beaucoup plus grand sur le QI d'un enfant que les perturbateurs endocriniens. »

- Dave Saint-Amour, titulaire de la Chaire en neuropsychotoxicologie environnementale de l'UQAM

Une des études citées dans le documentaire a été réalisée auprès d'une cohorte d'enfants latino-américains issus de milieux défavorisés, qui travaillent dans des champs et qui sont exposés à des pesticides, précise Dave Saint-Amour. « Donc, il faut considérer ces facteurs-là, dit-il. Le milieu socioéconomique, le mode de vie, les conditions de vie, l'alimentation, etc. »

Dave Saint-Amour, qui reconnaît l'expertise des spécialistes interrogés dans le documentaire, affirme qu'il a lui-même mené une étude avec des chercheurs européens afin d'établir un lien entre les perturbateurs endocriniens et le QI. « Dans le cadre de cette étude, on a conclu qu'il n'y avait pas d'effet néfaste, affirme-t-il. C'est pour vous dire que d'une communauté à une autre, ce ne sont pas les mêmes facteurs qui entrent en ligne de compte. »

L'augmentation du nombre d'enfants avec un trouble de l'attention ou du spectre de l'autisme (de l'ordre de 600 % en Californie !) - augmentation qui fait consensus - serait également liée aux perturbateurs endocriniens, selon ces mêmes spécialistes. Un lien que Dave Saint-Amour n'est pas prêt à faire. « On ne connaît pas la cause de cette augmentation. Il se pourrait qu'elle soit due aux changements de critères diagnostiques et à notre prise de conscience collective. Par ailleurs, il y a des études qui semblent indiquer que le stress prénatal peut avoir un impact sur le développement du cerveau. Les perturbateurs endocriniens jouent peut-être un rôle, je ne l'exclus pas, mais c'est impossible que ce soit l'unique cause. »

Demain, tous crétins ? sera diffusé sur la chaîne ICI Explora, demain, à 21 h ; le 25 février à minuit ; puis le 28 février, à 14 h. Le documentaire sera aussi mis en ligne sur ICI Tou.tv Extra demain.

Photo fournie par ICI Radio-Canada

Fluor, chlore et brome : des produits dérivés de ces trois familles perturbent le fonctionnement hormonal et sont susceptibles de nuire au développement cérébral du bébé.