À quelques plaintes près, le trip à trois et les deux scènes de masturbation dans Trop, à 19 h 30 à Radio-Canada, ça passe. Jeanne qui est violée par deux motards dans Unité 9? Ça crée beaucoup plus de remous, tout en contrevenant aux règles des télédiffuseurs en matière de violence chapeautées par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

L'épisode de cette semaine d'Unité 9 a été ponctué d'avertissements aux téléspectateurs qui ont été prévenus qu'il s'agissait d'une émission pour 16 ans et plus et qu'ils allaient voir un épisode «particulièrement difficile».

De fait, on y voit Jeanne (interprétée par Ève Landry), menacée par une arme, se faire violer par deux motards, à tour de rôle. On voit les deux colosses défaire leur ceinture, puis Jeanne être secouée par leurs brutaux mouvements de hanches.

Contraire au code du CRTC

Dans les réseaux sociaux, des internautes ont salué la performance d'Ève Landry et l'audace de l'auteure Danielle Trottier de montrer crûment ce qui arrive trop souvent dans la vraie vie.

Mais ils ont été extrêmement nombreux, aussi, à dire que Radio-Canada avait dépassé les bornes.

«C'est trop pour moi ce soir, désolée, vous me perdez. [...] Je me sens agressée dans mon salon», a écrit hier une internaute.

 Ça m'a carrément fait revivre les agressions dont j'ai été victime. J'arrête pas de pleurer. J'aurais jamais dû regarder» - Commentaire sur la page Facebook de l'émission

Sur la seule page Facebook d'Unité 9 de Radio-Canada, plus de 900 commentaires ont été envoyés.

Sur le site internet du CRTC, il est précisé que les télédiffuseurs suivent des codes «qui indiquent que la diffusion de scènes de violence n'est permise qu'à compter de 21 h. Les émissions diffusées avant cette heure ne peuvent pas comporter de scènes de violence visant un public adulte».

«Oui, le code du CRTC est clair, répond sans détour Marc Pichette, premier directeur aux relations publiques et à la promotion de Radio-Canada. Avant 21 h, on ne peut pas mettre de scène de violence. Mais tout dépend du thème : Unité 9, ça parle d'un milieu dur.»

Ne faudrait-il pas envisager alors de diffuser Unité 9 à 21 h, histoire de respecter le code du CRTC? À cela, M. Pichette répond qu'il s'agit d'une seule scène, que les avertissements étaient nombreux et que si les téléspectateurs ont été confrontés à une scène dérangeante, «ils en comprendront en janvier les raisons» qui ont trait à la trame narrative.

Au CRTC, hier, on ne signalait pas de plainte pour l'épisode de mardi.

Des téléspectateurs indignés

En après-midi hier, 33 personnes avaient cependant téléphoné à Radio-Canada pour exprimer leur indignation. C'est nettement plus qu'à lhabitude, dit M. Pichette, mais beaucoup moins qu'à l'époque des Bougon, donne-t-il comme exemple.

De nos jours, c'est surtout sur les réseaux sociaux que ça se passe. L'actrice Ève Landry a décidé de se débrancher de tout ça en pleine diffusion de l'épisode, mardi soir. C'était trop pour elle.

«Je voyais bien qu'il y avait beaucoup de commentaires de gens qui trouvaient cela trop difficile, trop violent, et ça me donnait le goût de répondre à chacun, mais ce n'est pas possible.»

Pour sa part, elle trouve que la scène était tout à fait nécessaire. «C'est cru, c'est violent, mais ça fait réfléchir, et je pense que c'est la responsabilité première des artistes de faire réfléchir sur des enjeux de société. La télévision ne doit pas servir qu'à divertir.»

Mais bien sûr, elle savait que ça ne passerait pas comme une lettre à la poste. «Entre nous, sur le plateau, on se disait que la dinde allait passer de travers cette année et qu'à Noël, on allait nous parler que de cela.»

On lui soumet qu'à TVA, dans le téléroman O', le personnage incarné par Isabel Richer, victime de la drogue du viol avec tout ce qui s'ensuit, était autrement moins explicite. «Mais moi, quand je vois des publicités nous indiquant de ne pas texter au volant, ça m'interpelle beaucoup plus si je vois la petite fille qui est décédée que si je ne vois à l'écran qu'une mère qui est triste.»

En entrevue téléphonique, avec à ses côtés deux responsables de la promotion de Radio-Canada, Danielle Trottier, auteure d'Unité 9, explique la forte réaction des téléspectateurs par «leur attachement au personnage».

Elle signale qu'ils ont aussi été nombreux à se manifester lors de la tentative de suicide de Marie Lamontagne. «Pour moi, le sujet [de l'épisode de mardi], ce n'était pas la violence», mais «les survivantes d'agressions», un thème qui sera développé au retour des Fêtes.

S'il y avait violence, il n'y en avait pas plus «qu'aux nouvelles de 18 h», ajoute Mme Trottier, précisant par ailleurs qu'il n'y avait pas de nudité dans la scène, mais plutôt le visage d'Ève Landry, filmé en gros plan. 

Ce qui passe... ou pas

Pierre Barrette, professeur à l'École des médias de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) qui se spécialise notamment dans l'analyse de la télévision, juge que «les gens semblent avoir beaucoup ressenti l'épisode comme une provocation». 

Cela étant dit, les auteurs, les réalisateurs et les producteurs «ont toujours le doigt dans le vent. Ils cherchent à repousser les limites, à voir jusqu'où ils peuvent aller, et Unité 9 est beaucoup de cette eau-là».

M. Barrette fait référence aux nombreuses scènes de douche, «évoquant une sexualité plus marginale, la sexualité entre femmes en prison».

«Mais au Québec, la sexualité, ça passe mieux que la violence, alors que c'est tout le contraire aux États-Unis.» 

Le professeur fait remarquer que le contexte actuel de dénonciation d'agresseurs ajoute sans doute aux réactions épidermiques de certains téléspectateurs. 

Vérification faite à Radio-Canada, les scènes de trip à trois et de masturbation dans l'émission Trop ont suscité une douzaine de commentaires négatifs. Ce qui a surtout dérangé, précise M. Pichette, ce n'est pas tant la sexualité que la consommation d'ecstasy.

Impact sur les victimes

Bien que la page Facebook d'Unité 9 invite les gens à contacter les centres d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC) en cas de besoin après visionnement de l'épisode de mardi, Marie-Christine Michaud, porte-parole de l'organisme, explique qu'elle ne peut pas se prononcer sur le bien-fondé de cette scène de viol. 

«Notre mission est d'aider les gens, pas d'émettre notre opinion sur le contenu d'émissions. Ce que je peux cependant dire de façon générale, c'est que lorsque des scènes de violence sont diffusées, elles peuvent entraîner des reviviscences pour des victimes, avec des conséquences physiques possibles comme des troubles du sommeil ou des maux de tête.»

PHOTO BERNARD BRAULT, archives LA PRESSE

Danielle Trottier, auteure d'Unité 9