Manque-t-il de diversité culturelle dans les fictions jeunesse? Des adolescents et des artistes et artisans du milieu télévisuel rencontrés par La Presse se prononcent sur la situation.

«Il n'y a pas de personnages qui me ressemblent.» Du haut de ses 14 ans, Noémie Castonguay, adolescente d'origine haïtienne et québécoise, ne se trouve aucun point commun avec la plupart des personnages fictifs des émissions jeunesse qu'elle voit défiler à la télévision.

«Je ne regarde pas vraiment d'émissions jeunesse, admet Romane Nagy, 14 ans. Ça ne me rejoint pas vraiment, je ne me vois pas à leur place.»

Jérémie, L'académie, Le chalet, Conseil de famille, Subito texto... Un bref tour d'horizon permet de s'apercevoir que les jeunes comédiens les plus présents dans les séries ont tendance à avoir la peau blanche. 

Il y a de la diversité, mais il y en a trop peu, croit Geneviève Hébert, directrice de casting, qui a notamment travaillé sur la fiction jeunesse Jérémie.

«Plus ça avance, plus c'est un problème et la télévision n'arrive pas à refléter la réalité.»

«Il y a une carence dans la présence de comédiens de communauté culturelle dans les émissions, dans le nombre de rôles qui leur sont attribués, tout le monde dans le milieu va le reconnaître», renchérit Pierre Pageau, directeur de casting pour Gros Plan, l'entreprise derrière la distribution de la première saison de Subito Texto et de la nouvelle série jeunesse Mehdi et Val.

Si au moins 20 % de la population montréalaise fait partie d'une des minorités visibles (plus de 10 % sur l'ensemble du Québec) et si 33 % est issue de l'immigration, nos écrans de télévision peinent à nous renvoyer cette image, nous offrant plutôt des programmes à la distribution très majoritairement blanche. «Quand tu te promènes dans la rue, il y a vraiment beaucoup de diversité, c'est ça la société ici, mais il n'y en a pas vraiment à l'écran», affirme Romane Nagy, 14 ans.

Beaucoup de chemin à faire

Kadidja Haïdara a écrit les premières saisons de la série Le chalet, l'émission régulière la plus regardée sur Vrak ces dernières années, mettant en vedette Catherine Brunet, Julianne Côté, Antoine Pilon, Félix-Antoine Tremblay, Sarah-Jeanne Labrosse, Pier-Luc Funk et Karl Walcott - acteur né d'un père barbadien et d'une mère croate. «Le casting proposé était vraiment pour des personnes blanches, affirme Kadidja Haïdara. J'ai dû insister pour qu'il y ait un peu de diversité, les producteurs savent que j'essaye toujours d'ajouter de la diversité.»

C'est un combat constant pour la jeune femme, qui doit présenter en audition des acteurs de la diversité de son propre carnet d'adresses pour augmenter les chances de voir de la couleur dans ses projets. «Ça avance, mais, au début, il fallait vraiment que je me batte.»

Lorsqu'elle a écrit sa toute première série, Les Béliers, avec des rôles destinés à des comédiens de couleur, on lui a conseillé de les changer, pour «les mettre blancs». Après avoir longuement débattu avec l'équipe du projet, quatre des cinq rôles principaux ont finalement été attribués à des acteurs issus de la diversité, comme le souhaitait l'auteure.

Cet automne, le Club Illico a présenté sa toute nouvelle série jeunesse, L'académie, créée par Sarah-Maude Beauchesne. À l'écran: Léa Roy, Juliette Gosselin, Sabrina Bégin Tejeda (une actrice d'origine dominicaine), Marianne Fortier, Antoine Desrochers, Antoine Pilon et Rémi Goulet. La faible diversité ethnique s'explique en partie par les expériences de vie de l'auteure, qui l'ont beaucoup inspirée. «Dans ma jeunesse, je n'ai pas eu la chance de côtoyer beaucoup de diversité», raconte celle qui est allée dans une école privée de Granby, admettant du même coup qu'elle «apprend tous les jours».

«On est tous bien intentionnés, mais on a beaucoup de chemin à faire, moi la première.» 

Pour L'académie, elle n'a bien sûr pas été la seule à prendre les décisions concernant la distribution, mais elle juge que ce sont les circonstances de casting, et non une discrimination quelconque, qui ont mené à engager un groupe d'acteurs peu diversifié. «On a misé surtout sur les émotions, sur la chimie», dit-elle.

Le cercle vicieux

Le milieu télévisuel jeunesse est «un marché encore plus petit» que celui des adultes; il est difficile de s'y démarquer. Le vedettariat dans le milieu de la télévision jeunesse appelle à voir souvent les mêmes visages à l'écran. 

«Les distributeurs et producteurs nous en parlent beaucoup. On se fait demander d'apporter de la diversité, mais, d'un autre côté, ils exigent aussi de gros noms», confirme Geneviève Hébert, ajoutant que pour l'émission Jérémie, les visages connus des comédiens (Karelle Tremblay, Antoine L'Écuyer, Lou-Pascal Tremblay, Claudia Bouvette, Pierre-Luc Fontaine et Stéphanie Arav-Clocchiatti) ont pesé lourd dans la balance.

Le sujet de la diversité au petit écran a fait couler beaucoup d'encre au Québec ces dernières années. Du côté des émissions mettant en vedette de jeunes comédiens, c'est de la relève qu'il est question. Les choix d'aujourd'hui sont donc appelés à avoir des conséquences à long terme.

«Dans le cas des jeunes, on comprend que si on les trouve maintenant, les comédiens vont vieillir et devenir les papas, les mamans et éventuellement les grands-parents de la télé», explique le directeur de casting Pierre Pageau.

Photo François Roy, La Presse

Pierre Pageau, directeur de casting pour Gros Plan, l'entreprise derrière la distribution de la première saison de Subito Texto et de la nouvelle série jeunesse Mehdi et Val

Les jeunes comédiens de la diversité d'aujourd'hui - les adultes de demain -, «il n'y en a pas tant que ça qui sortent des écoles», avance Geneviève Hébert. De plus, les tournages roulent généralement très vite et les réalisateurs demandent souvent aux directeurs de casting de recruter des acteurs qui ont de l'expérience de plateau.

«C'est un cercle vicieux parce qu'il n'y a pas d'acteurs de communauté ethnique à l'écran et les jeunes ne vont pas tenter leur chance parce qu'il n'y a pas de représentants qui les y encouragent», commente l'humoriste et comédien Mehdi Bousaidan, tête d'affiche de la série jeunesse de Vrak, Med.

Briser le mythe

L'auteure Kadidja Haïdara juge qu'il faut briser le mythe d'un soi-disant manque d'offre chez les acteurs de couleur. Il faut simplement faire l'effort de les inclure, selon elle. «C'est facile de dire qu'il n'y a personne pour des rôles "ethniques", mais ce n'est pas vrai.»

L'auteure estime que l'intérêt des jeunes est bien présent, qu'il s'agit de leur faire comprendre qu'une place les attend, s'ils le veulent. En discutant avec des adolescents, elle a compris qu'«il y a aussi des cultures où c'est plus difficile, par rapport aux parents, de travailler dans le domaine des arts». Une autre problématique à résoudre pour faire avancer les choses, selon elle. 

Mme Haïdara assure que les jeunes ont un intérêt, mais aucun contact avec la réalité du milieu de la télé, qui ne leur est pas vraiment présenté comme une option de carrière à l'école.

L'industrie ouvre toutefois ses horizons et met en place quelques initiatives, telles les Auditions pour la diversité, «une des actions concrètes qui ont été faites dans le milieu», rapporte Mélanie Ranger, directrice de casting. Elles visent à former une cohorte d'aspirants comédiens d'autres horizons qui aura accès à une formation et éventuellement aux Auditions générales du Théâtre de Quat'Sous. 

La Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) travaille elle aussi à élaborer des solutions pour remédier au manque de diversité dans les médias, dont l'espace télévisuel, notamment à travers des conférences dans des écoles.

Un comité d'artisans du petit écran créé il y a environ deux ans - le Groupe de réflexion sur la diversité dans les émissions dramatiques - a quant à lui pour mandat de «partir des initiatives à plusieurs niveaux pour la diversité», explique Mélanie Ranger. 

Ancienne employée de Radio-Canada et ex-membre du comité, la directrice de casting croit qu'il s'agit d'un vrai pas dans la bonne direction, un des plus tangibles à ce jour. 

«On est encore loin de ce que ça devrait être», tient à nuancer Kadidja Haïdara, qui croit que certains producteurs voient encore la représentation de la diversité culturelle à l'écran comme «quelque chose qui demande beaucoup de travail, pour une préoccupation qu'ils ne trouvent pas si problématique que ça».

Photo Martin Chamberland, La Presse

Sarah-Maude Beauchesne, scénariste de la série L'académie