Elle a un horaire de fou. Mène plusieurs projets de front. Sillonne les quatre coins de la ville pour aller d'un rendez-vous à l'autre. Ne prend jamais vraiment le temps d'une pause, sauf peut-être dans sa loge, au théâtre. S'investit totalement dans tout ce qu'elle entreprend. Et entreprend toutes sortes de choses qui n'ont pas forcément de lien.

Non, je ne vous parle pas de Valérie Danault, personnage au bord de la crise de nerfs et du burn-out dans la nouvelle série d'Isabelle Langlois, Lâcher prise, qui débute lundi à ICI Radio-Canada Télé. Je vous parle de son interprète, Sophie Cadieux, actrice, créatrice et acrobate médiatique, pouvant passer d'un rôle «songé» et extrême dans un théâtre de poche devant 12 personnes à un rock'n'roll endiablé aux Dieux de la danse suivis par un million de téléspectateurs, d'une chronique littéraire chez Bazzo à une mise en scène pour Pierre Lapointe à Stéréo Pop ou aux FrancoFolies.

Ce grand écart que Sophie Cadieux pratique depuis qu'elle est sortie du Conservatoire d'art dramatique de Montréal, en 2001, semble lui venir naturellement et sans grand effort, ce qui ne veut pas dire que Sophie Cadieux ne travaille pas. Tant s'en faut. 

Sophie Cadieux est une bûcheuse, une travaillante, quelqu'un qui ne se repose jamais sur ses lauriers ou ses acquis et qui s'engage entièrement dans le rôle ou le projet du moment.

Je la vois arriver à travers la vitre du bar de la Cinémathèque, son éternelle tuque enfoncée jusqu'aux oreilles, les yeux rivés sur son téléphone intelligent où défilent sans doute des dizaines de textos. À ce moment précis, elle ressemble à Valérie Danault à s'y méprendre. Mais une fois entrée et assise dans le bar, l'effet Valérie se dissipera. Devant moi, il y aura cette actrice, créatrice et nouvelle mère de 39 ans, avec son sourire espiègle et la voix flûtée de la gamine qu'elle n'est plus, qui raconte toujours un peu les mêmes choses en entrevue, sans doute parce qu'on lui pose toujours les mêmes questions.

La tentation serait de voir son rôle dans Lâcher prise comme son premier grand rôle à la télé. Mais ce n'est pas tout à fait exact. Les rôles à la télé, Sophie Cadieux les accumule depuis des lustres, le premier étant celui de Vanessa, qu'elle a incarnée pendant plusieurs saisons à Watatatow, puis il y a eu la Clara un brin énervée de Rumeurs, la Sylvie des Lavigueur, la Sophie de Tactik, la Geneviève de Prozac, l'Ève d'Adam et Ève - son seul véritable échec -, la Karine d'Annie et ses hommes, la comédienne dans Les beaux malaises, pour ne nommer que ceux-là. Il est vrai, par contre, que c'est la première fois que Sophie a LE premier rôle et se retrouve dans pratiquement toutes les scènes de Lâcher prise. Ce que ça change ?

«D'abord, ça demande un état d'entière disponibilité. Beaucoup d'énergie et un souci constant de continuité, très important dans ce cas-ci, puisque Valérie perd pied, qu'elle sombre, et puis, tout à coup, elle pense que tout va bien alors que ce n'est pas le cas. Je l'ai jouée fébrile, comme si elle était constamment à broil, mais aussi avec un sanglot et une larme, bien que même quand elle pleure, ce qui la met en tabarnak, elle ne pleure pas, elle râle.»

Un rôle complexe

Valérie Danault n'est pas un personnage léger. C'est une femme en pleine crise de folie, en état de dissociation, qui disjoncte devant nos yeux et qui se retrouve temporairement à l'asile. Pour une actrice, ce n'est pas un rôle évident à jouer, sauf peut-être pour Sophie Cadieux, qui en a vu d'autres, surtout au théâtre. Que ce soit Braidie, l'ado tourmentée et suicidaire dans Cette fille-là, ou alors le rôle de l'auteure Sarah Kane dans 4.48 Psychose, qui vient de lui valoir le prix d'interprétation féminine de l'Association des critiques de théâtre, ou celui de Nelly Arcan dans La fureur de ce que je pense, les femmes extrêmes et aspirées par le bas, non seulement Sophie Cadieux les connaît, mais elles la fascinent.

«Toutes ces porteuses de noirceur qui sont à des années-lumière de moi et qui créent dans une perpétuelle soif de destruction, je ne peux pas m'empêcher de penser que si elles vont si loin dans la noirceur, c'est qu'elles ont l'espoir d'en faire quelque chose de beau. C'est du moins ce qui m'inspire quand je les joue.»

De son propre aveu, Sophie Cadieux n'était pas une ado triste, esseulée et suicidaire qui ruminait de sombres pensées dans sa chambre, lorsqu'elle grandissait à Laval. Elle était plutôt un paquet de nerfs, toujours en train de bouger. Une fois le souper terminé, c'était plus fort qu'elle, elle se mettait à danser. C'est son heure, acquiesçait son père, Yves Cadieux, représentant en agroalimentaire, habitué à ses sparages.

C'est dire qu'à l'adolescence, l'actrice très physique (et la danseuse souple avec un sens inné du rythme) était déjà en gestation à l'insu de la principale intéressée, qui se destinait à devenir prof de littérature. L'impro, qu'elle a découverte au cégep où elle étudiait en lettres, a fait basculer ses priorités.

Fille de la banlieue, issue d'une famille où il y avait des livres mais pas nécessairement de la grande littérature, Sophie Cadieux a été portée par une grande curiosité intellectuelle et par un goût pour l'audace. À 16 ans, non seulement elle adorait aller au théâtre, mais elle n'hésitait pas en plus à aller voir les spectacles pétés comme Helter Skelter de la troupe Momentum. Plus tard, en sortant du Conservatoire, avec une bande de camarades et d'amis, elle a participé à la création de la troupe La banquette arrière qui dure jusqu'à ce jour.

Sophie et Catherine

Valérie Danault n'est pas son premier grand rôle à la télé, mais c'est peut-être son premier vrai rôle de femme. Pendant longtemps, Sophie Cadieux a souffert du syndrome de la petite fille. Les années avaient beau passer, elle ne vieillissait pas aux yeux du public, qui ne cessait de la traiter comme si elle venait à peine d'avoir 20 ans. Ajoutez à cela qu'on l'a longtemps confondue, et on la confond encore aujourd'hui, avec l'actrice Catherine Trudeau.

Elle raconte à ce sujet une anecdote savoureuse. Au Salon du livre, à l'occasion de la parution d'Éloges, un album de photos d'actrices dans leur loge de Martine Doucet, avec Sophie Cadieux en couverture, une lectrice l'aborde en l'appelant par son nom, en saluant son talent et en lui tendant à signer la photo de... Catherine Trudeau, croyant visiblement que c'était la même personne. 

Cette confusion arrive encore à l'occasion, et comme Sophie et Catherine Trudeau sont amies dans la vie, elles s'envoient mutuellement des messages blagueurs dès que quelqu'un les confond.

«Nous avons la chance de travailler beaucoup toutes les deux, alors ça nous fait rire, mais si une de nous deux travaillait moins et se faisait prendre pour l'autre, là ça serait moins drôle.»

Travailler, jouer, créer, telles sont les grandes priorités de Sophie Cadieux comme de Mani Soleymanlou, son amoureux et le père de son enfant. Au dire de Sophie, les deux sont des boulimiques créatifs qui ne savent jamais trop ce que fait l'autre mais qui n'arrêtent jamais. Ainsi, pendant que Soleymanlou lancera le spectacle 8 à la Place des Arts cette semaine, Sophie travaillera à la mise en scène de Gamète, qui sera présentée à la Petite Licorne en février. Elle enchaînera avec les répétitions pour son rôle dans Toccate et fugues d'Étienne Lepage au Théâtre d'Aujourd'hui en mars, avant de préparer la mise en scène du spectacle Amours, délices et orgues avec Pierre Lapointe pour les Francos. 

Un burn-out avec ça? Non, pas de danger, m'assure Sophie Cadieux dont l'appétit et la passion pour ses projets créatifs ont fini par la sauver de bien des maux.

Photo fournie par ICI Radio-Canada

Sylvie Léonard et Sophie Cadieux dans Lâcher prise