L'animateur Yann Barthès a annoncé hier son départ du Petit Journal, l'émission qu'il animait - sous différentes formes - depuis plus d'une décennie à la télévision française. Son rendez-vous quotidien était devenu une référence pour toute une génération qui ne fréquentait plus les téléjournaux traditionnels. Le mois dernier, La Presse a pu assister à l'enregistrement de deux épisodes.

Dans le studio étincelant de l'Ouest parisien, début avril, le public réagit à peine lorsqu'on annonce que l'acteur octogénaire Pierre Richard sera l'invité du jour au Petit Journal. Les souvenirs sont diffus.

Rémi, l'animateur de foule, râle. Il lui faut de l'enthousiasme à l'écran. «Qui ici est né dans les années 80?» Une petite dizaine de mains se lèvent. «Dans les années 90?» Une marée. Les «dinosaures» qui dépassent la trentaine sont quantité négligeable.

Réunir une génération qu'on dit détachée de la télé traditionnelle, c'est le tour de force du Petit Journal. Yann Barthès, son animateur pince-sans-rire aux complets ajustés, a annoncé hier son départ, après 12 ans à la barre de l'émission. Il quitte Canal + pour TF1, l'autre grande chaîne privée de France.

Chaque soir, il décryptait sur un ton satirique l'actualité du jour: téléjournal dans la forme, satire parfois grinçante sur le fond. Avec des segments parfois très sérieux - une incursion à Kobané ou un reportage sur les viols en Inde - et d'autres carrément délirants.

Botter le derrière des politiciens

Avec son producteur Laurent Bon, Yann Barthès aura transformé un segment d'une autre émission, devenue émission à part entière, en phénomène médiatique. Un succès assez fort pour pousser certains segments de l'autre côté de l'Atlantique, malgré l'absence de diffusion à la télé.

«C'est à la fois un succès d'audience, mais aussi en matière d'impact», analyse Virginie Spies, maître de conférences en analyse des médias à l'Université d'Avignon.

«Il y a un très fort côté dérangeant pour les politiques et ils touchent beaucoup les jeunes, ce que recherchent toutes les chaînes parce qu'elles ont du mal à le faire, surtout en matière d'information.»

Raphaël Garrigos, journaliste spécialisé en télévision à Libération puis fondateur du média en ligne Les Jours, est du même avis.

«C'est vraiment très bien fait; on sent que c'est fait de façon très maligne, explique-t-il. Le Petit Journal a vraiment mis un coup de pied aux fesses du personnel politique et des journalistes politiques.» Tout en devenant le média de prédilection des jeunes pour s'informer sur le sujet.

Incognito sur le plateau

Reste que l'émission tombe parfois dans les péchés qu'elle dénonce. Une entrevue de Marine Le Pen à Radio-Canada où la politicienne d'extrême droite a fait preuve de solidité s'est ainsi transformée en véritable humiliation pour celle-ci sur la table de montage du Petit Journal.

Et l'émission qui ouvre toutes les portes en verrouille une à double tour: la sienne. Les entrevues de Yann Barthès sont extrêmement rares, celles de ses collaborateurs, inexistantes, et pas question d'accueillir des journalistes en studio. La production ne nous a d'ailleurs pas rappelé.

Au menu du jour, lors du passage incognito de La Presse dans les studios de Canal +, un exemple parfait de la magie du Petit Journal: le décryptage d'une vidéo patriotique mise en ligne par le ministre français de l'Économie et qui vante les mérites de l'Hexagone... sur fond d'images génériques tournées aux États-Unis, en Allemagne, en Angleterre ou en Autriche.

«Pour ce clip "authentique et vrai", ne me dites pas, ne me dites pas que tous ces gens qu'on voit dans le clip ne sont pas français!», badine Yann Barthès, dont le sourire en coin s'affiche dès que la caméra tourne. «Et paf! On me le dit. L'équipe "authentique et vraie" s'est servie dans plusieurs banques d'images étrangères.» Puis, démonstration par le détail.

Tout de suite après, les deux extrémités du spectre Petit Journal: dans le coin droit, un sketch déjanté sur les ambitions politiques mal dissimulées du même ministre; dans le coin gauche, l'intervention du reporter international Martin Weill, Tintin à la gueule de jeune premier, parti griller le premier ministre islandais sur son compte au Panamá.

Le public, sur son 31 branché en chemise-jeans ou hauts colorés, en redemande.

«C'est pas gagné de continuer»

Reste à savoir si Le Petit Journal pourrait survivre au départ de celui qui l'incarne.

«La place de Yann Barthès est très importante, parce que ce n'est pas que l'animateur, mais aussi le producteur avec Laurent Bon, rappelle Virginie Spies. Si Le Petit Journal reste  - ce qui semble être la volonté de Canal + -, ce ne sera pas la même chose, forcément. Il n'y aura pas la même production, pas le même animateur. Ce sera compliqué de garder l'identité. C'est pas gagné de continuer.»

Le départ de Yann Barthès n'est qu'un chamboulement de plus chez Canal +, un réseau en crise depuis l'arrivée de l'homme d'affaires controversé Vincent Bolloré comme actionnaire principal de la société mère.

Le magazine culturel Les Inrockuptibles, qui publiait fin avril une enquête sur le thème «Yann Barthès, nouvelle cible de Bolloré», voyait hier l'influence directe de ce dernier dans le départ du premier.

Quatre moments marquants du Petit Journal

Visite de Sarkozy

L'ex-président Nicolas Sarkozy était l'une des cibles préférées de Yann Barthès et de sa bande. Pendant la campagne présidentielle de 2012, le chef d'État a visité le plateau de l'émission satirique.

Brandon et les «méchants»

Le petit Brandon est devenu un symbole de la réaction française aux attentats de novembre avec son entrevue touchante réalisée par le reporter Martin Weill. Lui et son «papa» ont ensuite été interviewés par Yann Barthès sur le plateau.

Les coups du Front national

Le Petit Journal n'a jamais accepté de traiter le Front national autrement qu'en parti politique d'extrême droite. Les affrontements entre les équipes de l'émission et les militants frontistes ont été nombreux. Ici, un élu s'en prend directement à un preneur de son et à un caméraman.

Le couple Chirac

Le couple Chirac était un sujet de prédilection de Yann Barthès, qui parlait de Bernadette comme d'une «reine mère». Dans cet extrait de 2009, alors que Le Petit Journal n'était qu'un segment du Grand Journal, une scène de ménage rigolote.