Vingt-quatre adolescents sont réunis sur un plateau de télévision. On leur présente une vidéo où deux acteurs s'apprêtent à avoir une relation sexuelle. Au moment de l'acte, il n'est toutefois pas clair s'il y a consentement ou non. L'animateur de l'émission demande alors aux jeunes de se prononcer: si cette scène fictive avait été réelle, aurait-elle constitué un viol?

Is This Rape? Sex on Trial [Est-ce un viol? Le procès du sexe en français] a été diffusée hier sur la chaîne BBC Three, la télévision publique britannique destinée aux adolescents et aux jeunes adultes. Or, avant même sa diffusion, l'émission a créé une polémique qui a secoué le Royaume-Uni tout entier.

Pour alimenter le débat, la BBC a invité ses téléspectateurs à se prononcer eux aussi sur la question du consentement, relativement à la vidéo diffusée. Pour ce faire, il suffisait de répondre à un sondage sur le site internet de l'émission, dont les résultats étaient diffusés en direct pendant l'émission.

Cette idée du vote a fait bondir Katie Russell, porte-parole d'un groupe d'aide pour les victimes de viol. «Si on ne parle pas de cet enjeu de façon responsable, particulièrement en faisant voter le public, on risque de bouleverser les victimes de viol et de les rendre moins enclines à demander de l'aide», a-t-elle vivement déploré, selon ce que rapporte The Telegraph.

«Le consentement est un enjeu vital qu'il faut soulever au sein de la population. Plusieurs études ont démontré à quel point il y avait de la confusion, particulièrement chez les adolescents, sur cette question et sur ce qui constitue un viol ou une agression sexuelle», a-t-elle poursuivi.

Un concept importable au Québec?

Devant cette controverse, La Presse s'est posé la question suivante: pourrait-on (ou devrait-on) produire une telle émission de télévision au Québec? Les avis à ce sujet sont partagés. Ici aussi, le concept du vote divise.

«Cette émission présentée par la BBC colle vraiment à ce que je souhaite faire et ce que j'aime faire. Il faut parler de ce genre de trucs. On doit se mettre le nez là-dedans et se brasser la cage», affirme pour sa part Denis Dubois, directeur général des programmes à Télé-Québec.

Le 30 novembre prochain, la télévision publique québécoise présentera d'ailleurs L'amour au temps du numérique, un documentaire en deux épisodes réalisé par Sophie Lambert, qui demande si la façon d'aimer a changé avec la nouvelle génération qui consomme tout sur l'internet.

«Avec ce genre d'émissions, on ne dit pas aux gens quoi penser. On les amène à être plus nuancés. À l'heure où on ne s'informe plus avant de prendre position, je pense que c'est notre rôle d'inviter les gens à se questionner davantage.»

En demandant au public de voter, la BBC a certainement voulu engager son public dans le débat, pense-t-il. Mais il y a plus. «Dans les jours qui suivent, si jamais la jeunesse a répondu que la scène présentée n'était pas un viol, alors que c'en était un, le sondage pourrait devenir la base d'un enjeu de société. C'est très intéressant comme stratégie», affirme-t-il.

Martine Delvaux, essayiste féministe et professeure au département d'études littéraires de l'UQAM, n'est pas entièrement opposée à l'idée d'un sondage. «Je suis mitigée... Ça permet de prendre le pouls, mais je me demande s'ils vont faire quelque chose avec les résultats. Ce serait intéressant de voir l'échantillon que ça donne», dit-elle.

«En ce moment, on laisse les jeunes face à eux-mêmes. Ils ont accès à tout, et tout le monde s'en plaint. Pornographie, hypersexualisation, etc. On se déresponsabilise comme société!»

«Selon moi, il faut investir dans les médiums qui rejoignent les jeunes et leur parler de cet enjeu», ajoute-t-elle.

La présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, est d'accord avec la professeure de l'UQAM sur l'urgence d'engager un dialogue avec les jeunes Québécois sur la notion de consentement.

«Je crois que l'idée de l'émission, qui est de réunir des jeunes et de voir s'ils comprennent ce qu'est le consentement, est une bonne idée, dans la mesure où on sait que cette notion n'est pas comprise par la population.» 

«Or, ce n'est pas un enjeu que l'on soumet à des sondages! C'est comme si on transformait l'émission en jeu-questionnaire. Ça enlève du sérieux à la problématique», défend-elle.La BBC répond aux critiques

Devant la controverse qu'a suscitée son émission, la BBC a défendu son choix de réaliser un sondage. «Après le vote des participants et du public, un juriste explique en ondes ce qui définit réellement la notion de consentement selon la loi», a expliqué la télévision publique britannique, selon The Telegraph.

Il n'a pas été possible de visionner l'émission, hier. Selon le site internet de l'émission, les jeunes participants étaient toutefois divisés face aux questions qu'on leur posait et démontraient une certaine incompréhension de la notion de consentement.

«Si elle n'a pas montré de signe qu'elle était intéressée, mais qu'en même temps elle n'a rien fait pour arrêter l'acte sexuel, je pense que ça pourrait être considéré comme du consentement», a affirmé une jeune panéliste.

Au Canada, selon le Bureau d'intervention et de prévention en matière de harcèlement de l'UQAM, le consentement «désigne l'accord volontaire d'une personne à se livrer à une activité sexuelle [...] qui peut être retiré à tout moment de la rencontre sexuelle». De plus, «si la personne est sous l'effet de l'alcool ou de drogues, elle n'est pas en mesure de donner son consentement», ajoute-t-on.