Trois cancers, huit opérations, des dizaines de séances de chimio, des hauts, des bas, la publication d'un livre, le tournage d'un documentaire, un rôle dans une pièce de théâtre qu'elle a joué l'été dernier avec un sac accroché à l'estomac, une bande herniaire et une bonbonne de chimio dans sa poche, un tourbillon d'émotions fortes et violentes, voilà de quoi est faite la vie de l'actrice Johanne Fontaine depuis cinq ans.

Plus précisément depuis ce jour fatidique de mars 2010 où, après une opération, une jeune oncologue sans compassion lui a annoncé brutalement qu'elle était atteinte d'un cancer du côlon incurable avec des métastases au foie et à l'estomac et qu'il lui restait au plus un an et demi à vivre.

«Ce jour-là, j'ai compris que j'avais trois options: me réfugier dans la colère, sombrer dans la dépression ou aller vers la lumière. Comme je connaissais trop bien la colère et la dépression, j'ai choisi la lumière. Et même si j'étais intubée de partout, je me suis levée de mon lit, je me suis mise à danser en jurant que c'était pas vrai que j'allais mourir dans un an et demi.»

Le ton est intense, pétri de conviction et de théâtralité: le ton d'une actrice, ce que Johanne Fontaine n'est plus tout à fait. Enfin, moins qu'avant, mais toujours un peu quand même.

La femme devant moi a 60 ans. Je l'ai connue à 20 ans quand elle était une petite boule d'énergie blonde, extravertie à l'extrême, portée par le féminisme et les créations collectives de l'époque.

Celle que j'ai devant moi, 40 ans plus tard, n'est en fin de compte pas si différente. Oui, elle a les cheveux à moitié blancs, des cicatrices visibles et quelques cernes d'insomniaque, mais l'énergie vive, presque volcanique qui anime son corps souple et musclé n'a pas diminué. Ou peut-être même a-t-elle été décuplée par la peur de mourir à laquelle Johanne résiste avec l'énergie du désespoir.

«Je suis en vie, tonne-t-elle. Je devrais être morte! Morte! Pis je peux-tu te dire que l'hostie de peur de mourir, c'est ça qui, tous les jours depuis cinq ans, me pousse à me battre comme une folle pour vivre!»

Accro à la vie

Nous sommes au milieu de son loft dans le nord de la ville, assises à sa grande table en bois sombre, devant une théière, un ordinateur et un tas de papiers, d'agendas et de dossiers pour ses projets futurs: des projets de coach de vie et de formatrice en hygiène de vie et en gestion de stress.

Autour de nous, des statues de déesses, des tapis aux couleurs éclatantes, mais également des samouraïs en crinolines aussi imaginaires que la queue de dinosaure que Johanne affirme déployer quand elle est sur le point de s'écrouler et qui, d'un coup de baguette magique, la redresse.

Dans Accro à la vie, le documentaire qui lui est consacré et qui sera diffusé sur Canal Vie le 28 avril, elle confie à sa copine Isabelle Maréchal qu'elle n'a pas eu la carrière qu'elle souhaitait.

«C'est vrai, me répète-t-elle, mais tu sais quoi? Je m'en fous. Je suis contente pour les filles qui ont du travail. Moi, on dirait que tout s'est arrêté en 2003, après la fin de l'émission Les copines d'abord. On ne me proposait plus de rôles. Je ne faisais pas partie des choisies. Je me suis sentie rejetée. J'ai capoté. Des fois, je me dis que mon cancer est né de ma frustration de ne plus jouer, mais tout cela est bel et bien fini. J'espère encore pouvoir jouer, mais si ça n'arrive pas, ça ne sera pas plus grave que ça.»

Du tempérament à revendre

Quand j'ai rencontré Johanne au tournant des années 70, elle sortait de l'option théâtre de Sainte-Thérèse et avait fondé avec sa grande amie Danielle Proulx l'Organisation Ô, une compagnie de théâtre vouée à la création collective féministe.

C'était une époque de grands idéaux romantiques, de pureté créatrice sans compromis. Johanne faisait partie de ces jeunes acteurs enflammés, survoltés, un brin prétentieux pour qui faire de la pub ou des téléromans était hors de question. Plutôt mourir!

Et puis, un jour, les créations collectives sont passées de mode. Il a fallu redescendre sur terre et gagner sa vie. Des petits rôles au théâtre, des apparitions dans des téléromans et puis, en 1998, Johanne a été recrutée pour faire partie de la quotidienne Les copines d'abord, l'émission phare de Canal Vie, qui a pris fin après cinq saisons.

La petite boule d'énergie blonde qui carburait à la création, aux groupes et aux troupes s'est retrouvée sur le carreau. Alors que son amie Danielle Proulx accumulait les rôles, souvent de mère, au cinéma et à la télé, Johanne payait son loyer en donnant des cours d'occupation de l'espace à une nouvelle génération d'acteurs de son alma mater à Sainte-Thérèse.

Le milieu de la production la boudait. Pas parce qu'elle était dépourvue de talent. Peut-être parce qu'elle avait trop de tempérament, une substance intangible, inscrite dans son ADN, qui pouvait effaroucher ceux qui en manquaient.

Du tempérament, Johanne Fontaine en avait à revendre et elle en a payé le prix. Pourtant, aujourd'hui, elle se dit que c'est probablement ce qui lui a sauvé la vie le jour où son monde s'est écroulé et où les épreuves ont pratiquement fait la file devant chez elle pour la tester.

«Petite, quand je pognais les nerfs, mon père m'appelait "Cécile". Un jour, j'ai compris qu'il fallait que je me débarrasse de Cécile, des saboteurs et des folles du logis qui occupaient une partie de mon esprit. Sinon, ils allaient avoir ma peau et j'allais en mourir. Et ça, il n'en était pas question.»

Cécile et ses saboteurs ont donc été congédiés, de même que la jeune oncologue sans compassion. Et Johanne Fontaine a repris sa vie et son corps en main en occupant toute la scène de son nouveau théâtre: le système de santé québécois qui, dit-elle, l'a bien servie et sauvée, mais aussi qu'elle a affronté et rabroué à l'occasion pour son manque d'humanité et sa désorganisation.

«Si tu ne prends pas tes affaires en main dans ce système-là, personne ne le fera à ta place.»

La voilà, cinq ans plus tard: une survivante comme on en rencontre peu, à la fois fragile, fébrile, émotive, mais aussi d'une grande force et animée chaque jour par une immense, puissante et infinie gratitude. La gratitude de celle qui a compris qu'elle n'avait qu'une vie à vivre.

Peu importe ce qui lui arrive, demain ou dans 25 ans, où elle compte bien se rendre, Johanne Fontaine entend danser jusqu'à la fin et vivre sa vie jusqu'à la lie.