Mélissa Désormeaux-Poulin est connue des cinéphiles pour ses rôles dans Dédé, à travers les brumes, Incendies et Gabrielle. L'actrice de 33 ans, qui fut la «nouvelle prof» de la série 30 vies l'automne dernier, est une enfant de la télé. Elle a débuté dans le métier grâce au téléroman Jamais deux sans toi et n'a jamais cessé de travailler depuis.

Je commence par une confession: je ne savais même pas que tu avais été une enfant actrice. Fidèle à ma réputation de snob, je t'ai découverte au cinéma...

Dans Incendies...

Dans À vos marques... party!.

Ah oui?

Ce n'est pas un film que j'ai beaucoup aimé, mais je me souviens très bien d'en être sorti en me disant que tu avais un vrai talent naturel, une grande justesse de jeu. Sans savoir que tu travaillais ton art depuis des années. Tu as commencé à 6 ans...

J'ai rencontré Micheline Lanctôt dans une pub de lait au chocolat et elle m'a référée à l'équipe de Jamais deux sans toi. C'est là que j'ai vraiment commencé à apprendre mon métier.

Et le désir de tourner, il est venu de toi?

Vraiment. Mes parents n'étaient pas dans le métier. Mon père est professeur de littérature et ma mère, directrice de communications. Le côté artistique était quand même encouragé dans la famille. Je voulais être à la télévision, faire des pièces de théâtre. C'était ma passion. Je n'en avais pas d'autres. Je mettais mes amis en scène. J'étais obsédée par ça.

Ce qui m'intéresse dans ton parcours, c'est comment tu as négocié tous ces virages. Souvent, on voit des jeunes mal vieillir à l'écran, perdre de leur naturel à l'adolescence. Tu as grandi à la télévision, sans interruption...

Le fait que tu ne saches pas que j'étais actrice enfant, comme d'autres, est ce qui explique que j'ai pu perdurer dans le métier, je pense. Je n'ai pas été très populaire quand j'étais enfant. J'ai travaillé fort, tout le temps. J'ai appris mon métier, mais je n'étais pas reconnue ou étiquetée pour une chose en particulier. Je n'ai pas souffert d'être l'enfant qui devient ado et l'ado qui devient femme dans le regard des gens. Je n'étais pas assez populaire pour ça. Tant mieux.

Ça t'a aidée dans ton parcours...

Beaucoup. J'ai vu des gens être très populaires et ensuite s'écraser. Je n'ai pas vécu ça. J'ai franchi les étapes une à une. Cela m'a rendue malheureuse parfois, quand j'étais jeune, parce que je me demandais pourquoi ce n'était pas à moi que ces rôles populaires étaient confiés.

Mais avec le recul, c'était une bénédiction.

Aujourd'hui, je ne me fais pas d'illusions sur mon métier. Je sais que c'est éphémère. Je sais qu'il faut saisir les occasions quand elles passent. Je sais que demain, c'est très possible que je ne sois plus la saveur du mois. S'enfler la tête, ça ne fait pas partie de moi.

Même quand tu avais 12 ans?

À 8 ou 9 ans peut-être, je me trouvais très hot de faire de la télé. Mais j'ai compris assez vite que si je parlais de ça, les gens ne m'aimeraient pas. Je ne voulais pas me retrouver seule dans ma tête.

Les jeunes acteurs sont souvent naturels parce qu'ils ne sont pas trop conscients de la caméra. Mais ils arrivent à l'adolescence et ils perdent l'étincelle. Ça ne s'est pas passé comme ça pour toi?

Peut-être. Mais j'avais un coach, qui m'a permis de travailler les tics que j'avais gardés de l'enfance et qui sont si naturels à cet âge-là mais agacent à l'adolescence. Quand t'es enfant, tu n'as pas de barrière, tu oses n'importe quoi. Mais à l'adolescence, tu veux être cool. C'est déjà difficile de se connaître soi-même à cet âge-là. D'être jugé pour son travail, dans un milieu d'adultes, ce n'est vraiment pas simple. Ceux qui vieillissent mal à l'écran ne sont pas bien encadrés, je pense.

Ah oui? Ce n'est pas juste une question d'inhibitions?

C'est beaucoup ça, mais ce n'est pas seulement ça. Ce n'est pas un passage facile. Il faut «rechoisir» son métier. Enfant, c'est un jeu. Ensuite, ça devient un métier. Il faut apprendre ses textes plutôt que d'aller jouer dehors. Il y a aussi une pression qui vient avec l'argent, dont on est plus conscient à l'adolescence.

Tu as déjà eu envie de tout abandonner?

Il y a eu une période de flottement, à 16 ou 17 ans. Le téléphone sonnait moins. J'étais entre deux. Je me suis inscrite au cégep. Je me suis imaginée psy, ou maquilleuse. Mais la flamme était toujours là. Plus tard, j'ai tenté d'entrer à l'École nationale et ça n'a pas marché. Puis j'ai eu un bébé, ce qui a vraiment changé ma vie. Depuis, je n'ai jamais arrêté de travailler.

Comment expliques-tu qu'on n'ait pas vu à l'École nationale ce que Micheline Lanctôt avait vu 15 ans plus tôt?

Ce n'est pas qu'on ne l'a pas vu. On m'a conseillé de revenir l'année suivante, en étant plus prête à travailler en groupe. J'ai appris mon métier seule. L'école, ç'a toujours été difficile pour moi. Mais je n'acceptais pas, à l'époque, de ne pas avoir de formation.

Tu avais des complexes?

Bien sûr. Quand les jeunes sortaient des écoles, j'avais l'impression de ne pas avoir les outils, même si ce n'était pas vrai. Le corps, c'est un outil que l'on travaille beaucoup pour jouer au théâtre à l'école. Je ne fais pas beaucoup de théâtre. Je fais de la télé et du cinéma. J'aime l'intériorité de ce jeu-là.

Y a-t-il, comme le veut le cliché, quelque chose de l'enfance volée quand on travaille comme enfant acteur?

Ben oui. J'allais à l'école à moitié. C'est sûr qu'on ne fait pas partie d'une gang dans ce temps-là, qu'on se sent un peu exclu. Je n'ai pas eu une enfance comme les autres. Il y a quelque chose de l'enfance volée parce que tu n'as pas le choix d'être plus mature. L'important, c'est d'être bien encadré par ses parents, pour ne pas absorber soi-même le stress qui vient avec le métier. Il y a des comédiens qui ont vécu une vie d'adulte à 12 ans. Je regarde ma fille de 9 ans jouer dehors, sans aucune responsabilité, et je mesure la différence.

Aurais-tu des appréhensions si elle te disait qu'elle avait envie d'être comédienne?

J'en ai souvent parlé avec des amis comédiens. On a même eu des chicanes. Je suis passée de ne pas vouloir qu'elle fasse ça à ne pas vouloir l'empêcher de faire ce qu'elle veut faire. Mais pour l'instant, ça ne l'intéresse pas.

Beaucoup d'acteurs que tu as côtoyés plus jeunes n'ont pas poursuivi leur carrière, même si certains l'auraient voulu...

Je ne pense pas que ce soit une question de talent. Les gens qui ont connu des acteurs enfants n'ont pas nécessairement envie de les voir adultes. Il y a quelque chose qui les dérange. Les voir user de leur sex-appeal, à l'âge adulte, alors qu'ils sont surtout connus pour l'image d'enfant cute qu'ils projetaient, ça ne passe pas toujours.

Tu parlais d'argent. Comment ça se passe quand on est enfant acteur et qu'on sait qu'on fait un bon salaire? C'est une préoccupation?

Seulement à l'adolescence. Mes parents ont placé mon argent, ce qui m'a permis de voyager quand j'ai eu 18 ans. J'étais consciente que j'avais plus d'argent que d'autres, mais ce n'était pas important pour moi.

Il y en a qui dérapent...

C'est l'argent et la popularité qui font ça pour certains. Ils ont l'impression qu'ils peuvent faire n'importe quoi, que tout leur est permis parce qu'ils sont connus. J'en ai connu qui sont partis sur des ballounes!

C'est aussi un cliché, les enfants acteurs qui virent mal. As-tu déjà eu peur de ça?

Je pense que c'est pour ça que ma vie est si rangée. Tout est très solide dans ma vie parce que mon travail est si incertain. C'est comme ça que je trouve mon équilibre.