Charles Lafortune est l'animateur de La voix à TVA, l'émission la plus populaire de la télévision québécoise, avec ses 2,7 millions de téléspectateurs. Ce comédien de formation, grand amateur de télévision, est aussi un producteur aguerri (chez Pixcom). Il animera de nouveau le Gala Artis, qui récompense les personnalités préférées du public, le printemps prochain.

Tu animes l'émission de télévision la plus populaire au Québec...

J'anime la version la plus populaire au monde! Toutes versions confondues, c'est la plus grosse part de marché: 58,5%. J'adore les statistiques: j'ai fait de la télé trop longtemps avec Paul Houde! C'est symptomatique de l'affection énorme qu'ont les gens pour leur télévision. Quand on parle du village gaulois, on a raison. Ce qui nous fait parfois dire qu'on fait la meilleure télé au monde. Je ne pense pas que c'est le cas, mais c'est un autre débat...

Avec la multiplication des chaînes et les nouvelles plateformes comme Netflix, tout le monde annonce la fin de la télévision telle qu'on la connaît, mais on est encore loin du compte au Québec quand on voit les résultats de La voix.

Il y a des émissions qu'on veut regarder en direct, comme la Coupe du monde ou le Super Bowl. Bizarrement, La voix est préenregistrée, mais le feeling est live parce qu'on répond aux gens, on est sur Twitter, ça s'enflamme. J'aime être au carrefour d'un show populaire comme celui-là. C'est un concours de chanson, mais avec le plus de styles différents, avec Pierre Lapointe comme coach ou encore Philippe B qui vient faire du mentorat. À TVA. L'an dernier, les gens se demandaient qui était Louis-Jean Cormier. L'intelligentsia disait: «Mais voyons, c'est Karkwa, tout le monde devrait connaître ça!» La réalité, c'est que non.

Ç'a été pour lui un tremplin incroyable...

Il est passé de «C'est qui, lui?» aux plaines d'Abraham en moins de six mois. Il y a une responsabilité qui vient avec le fait de piloter une grosse émission comme ça. J'aimerais beaucoup ça que tu regardes le show! Le banc numéro quatre est fait pour toi. On fait des efforts dans ce sens-là, pour que tous les publics s'y retrouvent, même ceux qui sont un peu plus à l'avant-garde dans leurs goûts musicaux.

Ce n'est pas le genre de télé que je regarde, mais j'aime bien l'idée des auditions à l'aveugle, où l'on fait abstraction de l'image. C'est le côté human qui me plaît moins. Tu aimes être capitaine d'un gros bateau, mais pourrais-tu te contenter d'une émission qui ne fait que 100 000 de cotes d'écoute?

Avec de la méthadone, peut-être! Ça va sans doute m'arriver un jour. Peut-être même que je n'aurai plus d'émission un jour.

Vas-tu le vivre comme un échec ou peux-tu aussi y trouver ton compte?

Je ne pense pas que je vais le vivre comme un échec. Dans le travail, j'essaie de suivre ces trois règles: il faut que j'apprenne quelque chose, que j'aie du fun et que je gagne ma vie. Si je remplis deux de ces trois critères, je suis heureux. À la limite, je ferais quelque chose juste pour le fun. Je vais faire SNL Québec à la fin février. J'aime faire des rencontres sur des plateaux de télévision. On s'est croisés quand tu étais à C'est juste de la TV, et récemment à Bazzo.TV. On n'est pas toujours d'accord, mais on ne se serait peut-être pas rencontrés si je ne faisais que des émissions populaires.

C'est vrai qu'on n'est pas toujours d'accord. Je défends une position en télé qui est souvent perçue comme élitiste. Parce que je trouve qu'on doit parfois se permettre de faire de la télé de niche. Que c'est le devoir des télévisions publiques, en particulier, de ne pas faire que des émissions populaires, destinées au plus grand nombre. Ce n'est pas ton avis...

Je pense que quand tu fais quelque chose et que tu ne fais que te divertir toi-même, c'est un peu l'équivalent de ce qu'est la masturbation à la sexualité: ça ne fait pas des enfants forts!

Il faut tenter de rejoindre le public...

Je pense que oui. Certains regrettent la disparition des Beaux dimanches à Radio-Canada. Mais à l'époque, ARTV et Bravo n'existaient pas. Cette multiplicité de niches n'existait pas. Est-ce que les diffuseurs généralistes doivent faire des choses pointues et nichées? Je n'en suis pas convaincu. Tous les contenus sont disponibles, avec la quantité de chaînes spécialisées auxquelles nous avons accès. Les chaînes généralistes étaient traditionnellement l'atrium, où tout le monde se réunissait. Certains ont vu les émissions qu'ils aimaient quitter l'atrium et ont trouvé injuste de devoir payer pour les voir ailleurs. C'est un débat qui concerne surtout ceux qui ont mal vécu cette transition. C'est un peu comme l'indépendance: c'est plus dur à vendre chez les jeunes!

Tu es un favori du grand public. Tu l'as toujours été. Les mamans t'aiment. Tu es perçu comme le bon gendre. Mais est-ce que tu aurais aimé être davantage adopté par l'intelligentsia? Je sens ça chez toi...

À une certaine période, oui. J'ai fait la même école de théâtre que Luc Picard, quand même! Mais en vieillissant, je me rends compte que j'ai plusieurs amis qui ont fait des affaires plus nichées, et quand je leur dis ça, ils me répondent qu'ils auraient aimé faire, eux aussi, des émissions grand public qui marchent! Il y a des gens dans le métier - ils sont rares - qui réussissent à avoir des succès populaires et à être appréciés par l'intelligentsia. Même que parfois, on a l'impression qu'ils feraient n'importe quoi et que l'intelligentsia les aimerait quand même!

Comme Marc Labrèche. C'est presque un intouchable. Un peu comme Pierre Lapointe à une certaine époque...

Maintenant, Pierre Lapointe est devenu «touchable» ! Le succès est suspect. Dans notre inconscient collectif, je ne sais pas d'où ça vient. Est-ce que c'est l'influence de l'Église? Né pour un petit pain, souffrir pour gagner son paradis, je ne sais pas. Un Américain gagne 1 million, on le félicite. Au Québec, on présume qu'il l'a volé. Les mentalités sont différentes.

As-tu souffert de cette mentalité-là?

Non. Ce serait se plaindre le ventre plein que de dire ça.

J'ai pourtant l'impression, quand on se croise, que tu te sens stigmatisé par ton succès populaire.

Tu sais, Marc, je suis vraiment un enfant de l'école privée, qui lisait Rimbaud et Zola et allait voir Carbone 14 en spectacle à l'adolescence. Au fond, je suis un bourgeois qui fait de la télévision populaire!