Le 13 décembre dernier, l'acteur Tony Conte a eu 50 ans. Il venait à peine de sortir de prison après 22 mois d'incarcération. Il vivait en maison de transition. Ses efforts pour travailler comme serveur dans un resto étaient tombés à l'eau. La vie n'était pas rose.

Le jour de ses 50 ans, il a utilisé les transports en commun pour aller rejoindre sa conjointe dans la Petite Italie. Il se sentait seul au monde, abandonné de tous, un bouchon balloté par le courant, un moins que rien. Lui qui, depuis sa sortie de prison, tentait de profiter de chaque seconde de sa liberté retrouvée, ce jour-là il s'en sentait bien incapable.

Il est descendu de l'autobus, a marché jusqu'au lieu du rendez-vous, a ouvert la porte du resto et, subitement, le nuage noir qui pesait sur lui s'est levé pour laisser entrer un grand rayon de lumière. Debout, devant lui, une trentaine d'amis et de proches réunis pour son anniversaire l'attendaient dans le resto de la Petite Italie. La vie, finalement, valait encore la peine d'être vécue.

Je retrouve Tony Conte deux mois et demi plus tard, toujours dans la Petite Italie, mais cette fois au Caffé Italia, où la patronne et quelques vieux Italiens le saluent. L'acteur est accompagné de son agente Chantal David, qui a insisté pour assister à l'entrevue, la première depuis sa sortie de prison, sinon depuis son arrestation, le 29 octobre 2008, alors qu'il tentait d'acheter 30 kg de cocaïne à deux agents doubles dans une chambre de l'Auberge des Gouverneurs de la Place Dupuis.

Si l'acteur est nerveux, il le cache bien. Souriant, affable, il ressemble à n'importe quel acteur en tournée de promotion, sauf lorsqu'il est question de sa mère, morte pendant son procès. À la mention de la disparue, les larmes lui montent aux yeux et le réduisent au silence pendant de longues minutes. Savoir qu'elle est partie avec cette image accablante de son fils le remplit encore de honte et de culpabilité.

En principe, nous ne devons pas aborder ce qu'il a vécu en prison, mais nous ne pouvons pas non plus faire comme s'il avait passé les dernières années de sa vie aux îles Fidji. Je lui demande ce qu'il retient de l'expérience carcérale. Il n'hésite pas longtemps avant de répondre: «Ç'a été une grande leçon de vie, une retraite fermée où j'ai été face à moi-même sans pouvoir me sauver, ce que je n'ai cessé de faire toute ma vie. Ça m'a poussé à une prise de conscience énorme. Sur le coup, c'est comme si tu te vidais de tout, comme si tu mourais, en somme. Et après ça, t'as pas le choix, faut que tu passes au travers.»

Pendant 22 mois, l'acteur a vécu avec sept autres détenus dans une unité semblable à celle d'Unité 9, une série qu'il suivait en dedans. «Sauf que nous, c'était une autre réalité que six filles dans un condo qui se maquillent», ironise-t-il, laissant entendre par la remarque que la télé n'est jamais aussi dure et affolante que la vraie vie, surtout celle de huit détenus sous tension, pris pour vivre ensemble dans un espace réduit.

«Je me sentais comme le personnage de Guylaine Tremblay, poursuit-il. Je ne suis pas un criminel de carrière. Je n'ai jamais été un danger pour la société. Je me suis retrouvé là à cause d'une grosse erreur de jugement de ma part, mais on s'entend que j'ai rien à voir avec ce milieu-là.»

Va pour l'erreur de jugement. Reste qu'une telle erreur n'arrive pas par magie. Elle a un historique, une chronologie, une cause floue ou précise. Pourquoi un type charmant et apprécié de son milieu décide-t-il un jour de sauter la clôture? Pourquoi prendre le risque d'une aussi dangereuse transgression?

«À cause d'une maladie qui s'appelle le manque d'estime de soi, répond-il. À un moment donné, les seules offres que je recevais, c'était de jouer un Italien cinq minutes dans un film ou une série. Je me suis senti rejeté par le milieu. La frustration m'a gagné. Je me suis fermé, puis je me suis éloigné du métier. Je me suis ramassé avec d'autre monde. Comme je ne suis pas le genre à juger les gens, j'ai pas vu qui était correct et qui ne l'était pas. C'est comme ça que ça s'est passé, mais je pense qu'au fond, à la base, c'est le manque d'estime qui m'a conduit là.»

Contrairement à la croyance populaire, Tony Conte est Italien par son père, mais Québécois pure laine par sa mère, Nicole Valois. Il a grandi à Hochelaga-Maisonneuve, un enfant unique élevé seul par sa mère dans un quartier dur où il était le rare petit Italien du coin et pas vraiment le bienvenu.

Plus tard, il a travaillé à la Molson, avant d'entreprendre au cégep des études en éducation spécialisée, puis en administration, vite abandonnées.

«Révélation»

Finalement, à 27 ans, l'âge où les acteurs commencent leur carrière, il a décidé de tenter sa chance dans les auditions des écoles de théâtre. Il a été accepté au Conservatoire d'art dramatique de Québec, mais a traversé une première année difficile, n'arrivant pas vraiment à s'ouvrir et à s'investir comme on le lui demandait. L'aspirant acteur était à un cheveu d'être renvoyé, lorsqu'on lui a proposé le rôle-titre dans Un simple soldat de Marcel Dubé.

«Ç'a été une révélation pour moi et pour eux. Tout a débloqué à ce moment-là. C'est ce qui m'a permis de terminer ma formation et de jouer par la suite au Trident, au Périscope et à la Bordée, à Québec.»

En 1996, son rôle de mafieux dans la série culte Omertà le fera connaître du grand public et le ramènera pour de bon à Montréal. Suivront des rôles à la télé dans Virginie, Urgence, Fortier, 4 et demi, et au cinéma, dans Québec-Montréal, Matroni et moi, Nitro et Laura Cadieux.

L'acteur plaide qu'il se sentait rejeté du milieu, mais en même temps, il était embauché régulièrement, et a même obtenu des rôles dans Liverpool et Filière 13 après son arrestation.

Aujourd'hui, Tony Conte est déterminé à redevenir un acteur à part entière. Il a déjà un engagement au Théâtre des Grands Chênes, grâce au producteur Jean Bernard Hébert qui a décidé de donner une deuxième chance autant au théâtre de Kingsey Falls qu'à son ami de longue date. L'acteur va aussi tenter de ressusciter son adaptation pour le cinéma d'Un simple soldat, avec la bénédiction de Marcel Dubé, qui est venu témoigner en sa faveur à son procès.

Même si l'accueil du public l'inquiète un peu et qu'il a peur que les gens ne lui pardonnent pas son erreur, Tony Conte veut à tout prix revenir sur scène. Il a aujourd'hui l'intime conviction qu'il a sa place comme acteur. Et tant pis si le métier est toujours le même, Tony Conte, lui, a changé.