À la barre de son émission éponyme depuis six ans, Denis Lévesque mène en moyenne 600 entrevues par année, aussi à l'aise avec les vedettes et les spécialistes qu'avec le citoyen ordinaire. Populiste pour les uns, divertissant pour les autres, Denis Lévesque n'en demeure pas moins un incontournable du petit écran, qui n'en fait qu'à sa tête. Portrait d'un homme proche des gens.

La veille de notre rencontre, Denis Lévesque avait discuté à son émission du verdict au procès Shafia, du procès pour meurtre de Vanessa Tremblay accusée d'avoir démembré un homme, et du perroquet Paco, en studio avec son propriétaire si heureux de l'avoir retrouvé après un vol.

C'est précisément ce mélange des genres qui fait le succès de l'émission Denis Lévesque, l'une des rares où l'on voit des gens qu'on ne verrait nulle part ailleurs. Cela, pour le meilleur et pour le pire, car certaines de ses entrevues sont devenues virales sur le web, tandis qu'il est devenu un personnage que les humoristes aiment parodier.

«Nous pouvons avoir une émission qui commence avec Hubert Reeves et qui finit avec un bénéficiaire de l'aide sociale, dit-il. Mais c'est comme ça qu'on est dans la vie! Moi, je ne suis pas juste un être sombre qui s'intéresse aux gens démembrés, je m'intéresse aussi aux perroquets! (rires).»

À l'ère des médias sociaux, nombreux sont ceux qui ne retiennent parmi ses centaines d'entrevues que les plus étranges. Par exemple cette histoire d'une femme dont le bichon maltais avait été violé par un voisin. Ne tombe-t-on pas dans le freak show? Denis Lévesque a une explication intéressante à offrir à ce sujet: «En 30 ans de carrière, j'ai souvent entendu parler de maltraitance envers les animaux, mais personne n'a jamais fait de prison pour ça. Dans ce cas-là, c'était la première fois que quelqu'un faisait de la prison pour cruauté envers un animal. Personne n'osait aborder cette histoire, mais moi, oui.»

L'information du coeur

Son mandat, dit Denis Lévesque, c'est de faire de l'information «humaine». Et l'humain est souvent une drôle de créature. Il ne sait pas toujours dans quoi il met les pieds avant d'entrer en ondes - ce sont les joies du direct, même en différé, car ses émissions ne sont jamais «remontées».

L'un des talents de Denis Lévesque, c'est de ne jamais perdre ses moyens face à des invités qui n'ont pas l'habitude des caméras. Tout de même, il avoue qu'à la fin de certaines semaines, il est complètement vidé, particulièrement lorsqu'il reçoit des témoignages déchirants. «Car pour recevoir ces confidences, il faut s'ouvrir et je ne suis pas toujours capable de me protéger.»

Après une pause, il ajoute: «Une dame m'a dit un jour: "Vous faites de l'information du coeur." C'est un peu ça. Moi, je calcule le potentiel d'une entrevue avec l'émotion. On rit, on pleure, on se fâche, mais ce n'est jamais banal.»

Denis Lévesque, lui, demeure toujours le même à l'écran. Il soutient d'ailleurs qu'il n'y a aucun décalage entre l'homme qu'on voit à la télévision et celui qu'il est dans la vie. Alors que la mode est aux animateurs indignés et en colère, autant à la télévision qu'à la radio, Denis Lévesque détonne dans le paysage avec sa bonhomie. Si certains trouvent qu'il pose parfois des questions de «mononcle», personne ne peut en revanche l'accuser de vouloir coincer ses invités. Et ce n'est pas son but non plus.

«J'ai fait ce genre d'animation dans une vie antérieure, explique-t-il. Mais, médiatiquement, il y a un avant et un après pour moi, lorsque j'ai fait un infarctus à 43 ans. Ça chamboule ton échelle de valeurs. Des fois, je revois des entrevues que j'ai faites, et je trouve que j'étais imbuvable. La vie m'a donné l'occasion d'avoir mon émission à moi et blaster le monde, ça ne me disait plus rien. Inviter un politicien pour qu'il me répète quatre fois la même réponse aux mêmes quatre questions que je vais poser de façon de plus en plus baveuse, ça ne m'intéresse pas. C'est un plus grand défi pour moi de prendre quelqu'un de démuni face à l'appareil de l'État, de le faire témoigner et de changer les choses.»

Recommencer à zéro

Denis Lévesque insiste sur l'immense privilège de pouvoir parler à qui il veut comme il le veut, car c'est un privilège qu'il a perdu pendant une dizaine d'années, lorsque, à 40 ans, il lui a fallu recommencer au bas de l'échelle. Passionné par la radio, il a eu son premier micro à 16 ans, l'été, pour payer des études en sciences politiques, qui ne l'intéressaient pas. À 24 ans, il était morning man. Il a travaillé à Roberval, sa ville natale, et au Saguenay pendant une quinzaine d'années. «J'avais l'air tellement jeune qu'on modifiait les panneaux publicitaires pour me vieillir!», se souvient-il.

À l'aube de la quarantaine, il fait le grand saut vers Montréal, à RDI, où il doit faire ses preuves. «C'est dur pour l'ego, admet-il. À 25 ans, je faisais des entrevues avec des premiers ministres et des vedettes qui venaient au Saguenay, et pour moi, ça coulait de source. J'ai dû recommencer en étant rédacteur de nuit la fin de semaine à RDI.»

Il y a fait tous les boulots et lorsque TQS lui a offert un poste, il était à «un doigt» d'une permanence à Radio-Canada. «J'étais bien, mais je ne m'actualisais pas», dit-il.

Il retrouve ce qu'il aime faire en animant les débats de fin de soirée à TQS, mais il affirme qu'il a dû se battre pour imposer sa vision des choses. C'est pourquoi, lorsque les patrons ont voulu revoir la formule en intégrant l'animatrice Isabelle Maréchal, il a claqué la porte pour aller à LCN. «Je n'étais pas content. Je l'ai fait savoir dans les journaux, avec l'espoir que TVA allait entendre le message et c'est ce qui est arrivé. La meilleure décision de ma vie.»

Ce qu'on lui offre, en plus, c'est une carte blanche d'une heure. Visite à CNN, consultations auprès de spécialistes américains pour établir une formule qui deviendra celle que l'on connaît, jusqu'à ce claquement de doigts qui ferme les lumières du studio à la fin, sa signature. Ses trois plus grandes influences, dit-il, sont Larry King, David Letterman et Pierre Pascau. Après une longue éclipse, Denis Lévesque était de retour dans ce qu'il aime le plus: parler aux gens, à sa manière, en toute liberté.

Jeune marié

La quarantaine a été difficile pour Denis Lévesque. Retour à la case départ, infarctus, décès de son père, séparation... Mais, de toute évidence, c'est un homme vraiment heureux qu'on voit à la télé tous les soirs. D'autant plus qu'il a trouvé le grand amour puisqu'il s'est marié en août dernier avec la journaliste Pascale Wilhelmy, qui tient une chronique à son émission. Lorsqu'il en parle, son visage s'illumine comme celui d'un adolescent - «nerveux comme un puceau», avait résumé son ami Jean Lapierre aux noces.

«C'est un grand cadeau de la vie, confie-t-il. L'âme soeur, le grand amour, je ne croyais pas à ça. Je pensais que ce n'était pas pour moi.»

Tout le monde a vu avant eux la chimie - Denis Lévesque passait ses petits compliments en ondes, Pascale rougissait, et il n'a pas cessé depuis!

Bref, c'est le bonheur? «Oui. Mais c'est un grand défi pour moi d'apprendre à être heureux. Je n'avais pas une grande propension au bonheur quand j'étais plus jeune. J'ai fait une thérapie parce que j'étais quelqu'un de très anxieux et d'angoissé, qui avait peur du bonheur. Comme dans la chanson de Gainsbourg, «fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve»... C'est nouveau pour moi de l'embrasser et de ne pas penser qu'un jour, il va s'en aller.»